A travers Champs Préambule

Jeudi 28 février 2013

 

 

J’ouvre une nouvelle fenêtre dans ce site : A travers Champs.

Pourquoi ce titre ?

Je pense à tous les champs dans lesquels peut s’investir l’écriture : tous les possibles, et c’est infini. L’actualité, le passé, le devenir me sont ouverts ; parler de tout, écrire sur tout est un espace de liberté infini.

Quant à la façon de traiter un sujet, là encore ma liberté sera totale.

Aucune contrainte extérieure : je m’auto-censurerai, néanmoins, m’interdisant la vulgarité, la grossièreté, le prosélytisme…

Aucune prétention, pas plus dans le domaine des sciences que ceux de la philosophie ou la théosophie, mais mes réflexions personnelles, en toute liberté…

Liberté de forme aussi, bien sûr.

J’essaierai d’être court. D’être assidu. D’être à l’écoute de vos suggestions, éventuellement, dans le cadre de ma liberté.

En route pour cette aventure !...



Descartes

A travers Champs N°1

Jeudi 28 février 2013

Je pense, donc je suis

(Cogito, ergo sum)

 

A partir de ce simple constat de Descartes, que dire ?

Tout d’abord : prise de conscience de sa propre existence…et de celle des autres êtres humains, des autres êtres vivants, du monde qui m’environne. Mais aussi du fait que je suis doté de l’aptitude à penser. Ce qui ne signifie pas que pour être il faille penser…Mais si je pense, c’est que je suis.

Evidemment, on peut décliner cette maxime – pour rire un peu – sous d’autres formes : je ponce, donc je suis, pourraient dire le menuisier ou le peintre, je ponce donc j’essuie, je fonce donc je suis, diraient les moutons, bref, le champ de l’imaginaire est assez vaste pour que chacun s’y exerce.

Je me pose la question de savoir à partir de quel moment je pense. L’être humain est, dès sa conception, dans la matrice : pour autant, pense-t-il dès lors ? On n’en sait rien, ou sait-on qu’il pense déjà ? Est-ce parce qu’on ne garde pas trace de cette vie utérine qu’on doit en déduire qu’à ce moment on ne pense pas encore ?

Ce qui ferait dire qu’on peut être, humains, sans penser, à certains moments de notre vie (rêver n’est pas penser) ?

Ce qui est sûr, c’est que prendre conscience de sa pensée, c’est aussi se révéler celle de sa propre existence.

 

Mais qu’est-ce donc que penser ? Qu’être ?...

 

Penser semble prendre sa source dans le cerveau, du réseau de nos neurones, bref, des molécules qui nous composent, molécules organiques, bien sûr, donc matière. Or, penser est abstraction pure, tout sauf de la matière. De l’énergie, diront certains.

Penser c’est se souvenir, réaliser, projeter. Acte ( ?) qui s’appuie sur la mémoire, stockée, paraît-il, dans nos cellules (de matière organique), car sans mémoire, on ressemble plus à un paquet de cellules désorganisées et en danger qu’à un être humain. Un seul exemple : se souvenir d’une brûlure peut vous protéger d’une nouvelle brûlure. Le raisonnement permet aussi de se protéger et de permettre la survie, car chaque instant de vie n’est que de la survie.

Pour vivre, il faut se protéger et s’alimenter en eau et en nourriture : cette recherche de ces éléments est essentielle, vitale. Toutes les fonctions abstraites de notre cerveau y concourent. De même concernant la protection de notre corps. Le réseau des nerfs menant au cerveau n’est pas autre chose : sans eux, nous ignorerions tout de notre environnement, et nous serions exposés à toutes les agressions du monde extérieur au monde de notre corps, donc, en danger de mort, et ne saurions nous procurer les éléments indispensables à notre survie.

Ainsi, l’œil ou l’oreille m’informent (via les nerfs) du danger d’un véhicule qui survient. Après analyse des données, je (dans mon cerveau, via des molécules, quelque chose…) décide de la situation à tenir afin de mettre l’être que je suis à l’abri du danger, et ordonne aux muscles de la conduite à tenir.

Bien sûr, on ne pense pas à tout ça au quotidien. Souvent le corps fonctionne en automatismes. Le mode pensée se juxtapose en permanence au mode automatique ou réflexe, semble-t-il. Je réfléchis. La réflexion, le raisonnement caractérisent de façon significative notre pensée.

Les formes que peut revêtir la pensée sont multiples et ses champs d’application infinis : pensez au simple bricolage, et au réseau complexe de pensées qu’il met en œuvre, au scientifique dans son laboratoire de recherche, au médecin qui vous ausculte, au chirurgien, au patron d’entreprise, au pilote d’avion…

Songez à la littérature, la poésie, à la musique…Que de formes spécifiques de communication de la pensée : car pour échanger de l’information entre nous, humains, il faut passer par le matériel : la voix (nerfs auditifs…), l’écrit (le visuel…), le regard, l’odeur, le goût…On en revient toujours à nos cinq sens, portes de notre survie.

Du coup, penser réclame forcément un minimum d’intelligence : je ne ferai que poser la question : mais qu’est-ce donc que l’intelligence ? De quoi naît-elle ?...

Viennent se greffer là-dessus une kyrielle d’abstractions vitales pour la survie de l’espèce, via la sociabilisation : les valeurs, la foi, les notions de bien et de mal,…Mais comment tout cela existe-t-il en nous ?...

Du coup, un autre terme me vient à l’esprit : l’âme.

Voyez comme nous avons créé des concepts complexes, pour rendre plus performante notre pensée : les mots que vous lisez ou entendez évoquent pour chacun d’entre nous un concept singulier : on le croit identique pour tous, mais je ne suis pas sûr de cela, du moins, dans les détails. Comme le daltonisme, tant qu’il n’a pas été révélé, chacun croit voir la même chose, évoquée par un mot, mais ma perception m’est propre et rien ne dit que la perception du même objet (matériel ou intellectuel) par mon voisin est précisément la même.

Je reviens donc à ce terme précis : âme. A mon sens, il est délicat d’en donner une ou des définition(s). Mais on « sent » que l’on en a une, sans pour autant pouvoir en définir les contours. Peut-on penser qu’elle préside à l’ensemble de toutes nos pensées concourant à notre survie ? Où résiderait-elle ? Quand naîtrait-elle ? Mourrait-elle avec la mort matérielle, celle du corps organique ?

Pour ma part, comme vous, je n’en sais rien. Il nous reste, et c’est merveilleux, la liberté de penser ce que nous voulons puisque nous sommes

 

 

Commentaire :

Je ne pouvais pas débuter cette série d’écrits sur tous les champs possibles dans lesquels l’écriture peut s’investir librement autrement que par ces quelques considérations sans prétention. Je n’en ai d’ailleurs aucune. Je cherche simplement à partager mes pensées (j’expose les miennes, j’attends les vôtres, éventuellement) puisque je suis humain, cela semble naturel, non ?...



A travers Champs N°2

Vendredi 1er mars 2013

Vendredi 1er mars 2020

 

« Mets ton masque !

Le môme, pâle, obéit. Son nez coule. Ses yeux coulent. Il pleurniche. Parvient pas à attacher les courroies.

« Merde ! Grouille-toi ! C’que t’es godiche ! Viens là !

La mère l’attrape par le poignet et le tire. Violemment.

Mouchoir papier. Mouche le gosse qui pleure.

« Tu m’as fait mal…

« Arrête ! Ça suffit.

Elle boucle les courroies, assujettit le sien.

« En route ! Dépêche-toi !

La voix est déformée, bien sûr, à cause du masque.

Dehors.       

Brouillard.

Peu de piétons sur les trottoirs. Tous sous le masque respiratoire. Des bagnoles. Beaucoup de bagnoles. De pots d’échappement qui envoient des petits nuages blancs au ras du macadam. Ça roule pas. Ça bouchonne.

La mère traîne le loupiot vers la grille de la maternelle. Une flique surveille l’entrée. La maman jette le gamin dans la cour et se hâte vers son boulot.

Les bambins ont interdiction de courir.

On dirait des petits esquimaux, emmitouflés dans leurs manteaux et leurs cache-nez, ou des petits moineaux. Immobiles. Par groupes de deux ou trois.

Sonnerie stridente. Ils entrent dans le sas, calmes, dociles. Tous ont leur masque sur le visage, qui les rend méconnaissables.

Ils déposent tout cela aux porte-manteaux, masques et vêtements d’extérieur. Des femmes les aident à enfiler leurs chaussons, leur blouse, à se moucher. Ça tousse dur.

 

La classe.

Les mômes sont en ateliers. Lui peint. Elle dessine…

L’un s’agite nerveusement. La maîtresse intervient.

Il a de la peine à respirer, cet enfant. Il bat l’air de ses petites mains, tire le col de son pull. Sur le petit visage plus blême que le lait, ses veines sont un réseau bleuté très fin de fleuves et de rivières.

Il est allongé sur un petit lit blanc de l’infirmerie. La ventoline ne fait plus aucun effet. Son visage devient violacé. Il étouffe.

Pendant que l’ATSEM[1] lui fait le bouche à bouche, la maîtresse appelle le SAMU.

 

 

Longtemps, les pompiers et le médecin du SAMU demeurent penchés sur la petite victime inerte.

« C’est le cinquième depuis ce matin, dit l’un d’eux, un grand gaillard aux yeux clairs. Son masque pend autour de son cou. Il a des cernes bleutés, comme des poches flasques, sous les yeux.

« Y’a plus de pouls ! souffle le médecin, stéthoscope aux oreilles.

« Il est mort !

« Prévenez les parents. Pour les papiers, on peut voir avec vous ?...

 

 

« Voici le bulletin météo.

Niveau de pollution exceptionnel ce matin. Dix enfants morts dans la seule ville de Paris. Ne sortez pas sauf nécessité absolue… »

  



[1] Aide maternelle





A travers Champs N°3

Dimanche 3 mars 2013

A votre écoute

 

 

Je suis en séance de dédicaces dans la galerie marchande du Leclerc. A vrai dire, je commence à m’ennuyer ferme. Je me demande si je ne somnole pas un tantinet.

Il y a une urne non loin de moi. Pas une urne funéraire, non, une urne. Une boîte avec une fente sur sa face supérieure. Une affichette la surmonte :

 

 E.Leclerc

ici à votre écoute

vos suggestions 

 

J’y suis allé pour voir si Leclerc était réellement à l’écoute.

J’ai parlé dans la fente. J’ai appelé :

« Leclerc, es-tu là ? »

Pas de réponse.

J’ai crié plus fort :

« Leclerc, tu m’entends ? »

Après trois ou quatre tentatives à m’égosiller dans la boîte, toujours pas de réponse.

Quelqu’un, alors, du magasin, est venu :

« Monsieur, ça va ?... »

« Oui, ça va, mais ça ne marche pas, votre truc. Voilà plusieurs fois que je crie dans la fente, en vain. »

« Mais, Monsieur, qu’espérez-vous en criant ainsi dans la fente ? »

Un fort attroupement s’était produit autour de nous.

« Mais il est écrit : Leclerc à votre écoute

« Mais, Monsieur, ceci est une urne destinée à recueillir vos suggestions… »

« Eh bien ? J’en avais une. C’est pour cela que j’appelle. »

« Vos suggestions écrites, Monsieur. Ecrivez votre suggestion sur une feuille de papier, puis glissez-la dans l’urne. Et que vouliez-vous suggérer, Monsieur ? »

« Que Leclerc me réponde quand je l’appelle. »

 

 

Oui, je sais, pas terrible. Mais c’est tout ce que j’avais sous la main ce soir…Soyez indulgent(e)s…



A travers Champs N°4

Lundi 4 mars 2013

L’infirme

 

Un homme passe devant moi. Poussant un fauteuil roulant.

Sa femme est assise dedans. Jambes inertes. D’ailleurs, son pied gauche a glissé du marchepied.

La pointe de la chaussure frôle le sol.

Lui n’a rien vu. Il fonce.

Soudain, le pied croche dans un relief du sol. Ça coince le fauteuil. Il bascule. L’infirme est éjectée.

L’homme, emporté par son élan, s’affale sur le fauteuil renversé sur cette pauvre femme…

Je me secoue. Cette scène s’est imposée comme un flash et me laisse un goût amer dans la bouche.

Là-bas, tous trois continuent leur chemin et s’éloignent rapidement.

Ce pied qui rase le sol me fait tort…

 

Au restaurant

 

Je suis seul, devant mon assiette.

Entre un groupe. Ce sont des jeunes gens. Un couple de jeunes mariés, très tendres. Un jeune homme. Et, dans un fauteuil, un homme jeune et costaud, genre rugbyman, les jambes inertes, mortes. Il fait contourner la table à son engin à roues. De ce fait, je ne le verrai plus que de dos.

Mais apparaît un petit souci : il ne peut s’engager sous la table. La hauteur du fauteuil ne lui permet pas d’y glisser ses jambes.

Ce qui paraît anodin, au départ, prend vite des proportions alarmantes. Je vis cette scène comme un drame.

Ses amis explorent rapidement les proches alentours pour trouver un objet, une idée, pour résoudre ce problème. La patronne apparaît, gentille, mais étant fort occupée à son service, pense qu’ils vont s’en sortir seuls.

Ils ne trouveront rien de mieux que des piles de dépliants publicitaires abandonnés sur le comptoir du bar à glisser sous les pieds de la table. Mais en nombre insuffisant. Les voici à quatre pattes, soulevant la table qui danse sous leurs efforts, entraînant les couverts et les assiettes dans une gigue dangereuse.

Le jeune homme dont je ne vois que le dos, attend, assis dans son fauteuil…

J’ai le cœur serré, vraiment.

Après quelques essais infructueux, les jeunes gens seront finalement parvenus à surhausser suffisamment la table pour que leur ami handicapé puisse y prendre place.

Mais, les pieds seront plus hauts du côté de leur ami que de celui du jeune couple : ils mangeront donc sur une surface en pente…

Mon malaise fut long à se dissiper.

Il reste tant à faire pour rendre notre monde accessible à tous…

 



A travers Champs N°5

Mardi 5 mars 2013

Fiat lux

 

Par ces mots débute la Génèse : « Que la lumière vienne » [Génèse, 1 ; verset 3].

Acte 1 : création des cieux et de la terre.

Acte 2 : création de la lumière : « Fiat lux, et lux fuit » (que la lumière soit, et la lumière fut).

 

Mon propos ce soir ne sera pas de vous parler de Dieu, mais de la lumière.

Quoi de plus évident, banal, habituel que la lumière ?

Je réfléchissais tout à l’heure, au cours d’une lente promenade qui faisait suite à ma visite journalière à mon âne, à ceci : où passe la lumière, quand sa source s’éteint ?

Comprenez-moi. Dans une bouteille, vous mettez du vin ou de l’eau, de l’air…et de la lumière. Cependant, l’air ou le liquide demeurent dans le contenant, pas la lumière : elle ne fait que passer. Elle traverse les parois, éventuellement l’eau, puis continue son chemin.

Difficile, donc, de la piéger.

La flèche que j’ai lancée continue d’exister une fois mon arc détruit. Il n’en va pas ainsi de la lumière.

 

Ce soir, j’observais les étoiles. C'est-à-dire la lumière partie de lointains corps célestes qui me parvient après avoir voyagé souvent très longtemps. A titre d’exemple : celle du soleil met environ 10 minutes à nous parvenir ; celle de la lune environ 1 seconde ; celle de la plus proche étoile, Proxima du Centaure, un peu plus de 4 ans.

Cette lumière voyage à la vitesse de 300 000 km par seconde.

La plus lointaine étoile observée nous livre sa lumière venue d’un peu plus de 13 milliards d’années-lumière (10 000 milliards de km x 13 milliards), en d’autres termes, la lumière que nous en observons a été émise il y a 13 milliards d’années (j’espère que je ne dis pas de bêtise : corrigez-moi si je me trompe.)

 

Ce qui signifie que si aucun obstacle ne l’arrête, la lumière voyage dans toutes les directions de l’espace, quasi indéfiniment.

 

Le crépuscule était tombé : une lumière diffuse baignait encore la campagne, les champs et les bois. Elle trouvait son origine, bien entendu, dans la diffraction de la lumière solaire en déclin (le soleil basculant derrière l’horizon). Plus le temps passait, plus la lumière s’atténuait.

J’observais celle des villages lointains, des véhicules sur la RN 10. Celle des réverbères et celle qui passait par les fenêtres éclairées des maisons du village.

Toute source lumineuse diffuse sa lumière en tous sens (je ne parle pas des lasers). Si rien ne l’arrête, cette lumière traverse donc les espaces interstellaires, à la fabuleuse vitesse indiquée plus haut. Tant que la source est en action. Si cette source s’éteint, immédiatement, c’est l’obscurité. Pareillement dans une pièce close.

Mais que devient cette lumière, après avoir été émise ?

On a vu qu’en l’absence d’obstacle, elle poursuit son chemin indéfiniment. Ce qui ne manque pas d’être étonnant. Il n’en va pas de même pour la chaleur, par exemple.

Mais que se passe-t-il si elle se heurte à un obstacle ?

On a vu qu’elle est en capacité de traverser certains matériaux : l’eau, le plastique, le verre. Elle ne traverse pas la pierre, le bois, les métaux. Mais que devient-elle alors ?

Dans certains cas, et dans une certaine mesure, elle peut être réfléchie, ou réfractée : son chemin est dévié.

Elle peut être décomposée en ses différents constituants (arc-en-ciel). Mais dans ma chambre, tout est limité : la voici prisonnière de cette boîte : j’éteins ma lampe : c’est l’obscurité totale : la lumière émise depuis une heure ou plus dans ma chambre a disparu ! Evidemment, sinon, je la verrais. Où est-elle passée ?...

Je vous laisse réfléchir à la question…

Expérience de pensée : j’envoie de la lumière dans une boîte noire, hermétiquement close : y reste-t-elle ? Sinon, que devient-elle ?...

Passionnant, à mon sens !

 

D’autre part, quelle est l’origine de la lumière ?

De nombreux corps célestes émettent de la lumière. Sur terre, les volcans ou la foudre, les incendies qu’elle provoque sont à ranger au chapitre des causes naturelles de lumière.

Certains animaux émettent de la lumière : des insectes (lucioles, ver luisant [Lampyris noctiluca],…), des poissons des grandes profondeurs…

Pour notre part, depuis les temps préhistoriques, notre espèce a appris à créer la lumière, en apprenant à créer le feu. Puis à utiliser l’électricité pour s’éclairer.

Dans le cas des sources naturelles physiques, elle accompagne des phénomènes qui mettent en cause de formidables quantités d’énergie. Il en va de même pour les autres sources : les animaux consacrent – à leur insu, évidemment – une certaine part de leur énergie vitale à la création de ce phénomène : la vie c’est de l’énergie. Quant à l’électricité, le plus souvent cause de nos éclairages, c’est de l’énergie.

La lumière semble donc accompagner certains phénomènes où se libère de l’énergie.

 

Quant à son rôle dans le vivant, il est essentiel : sans lumière, pas de chlorophylle, pas de plantes, pas d’herbivores, pas de carnivores pour dévorer les herbivores, pas d’humains, donc. Sans parler de ses influences sur les comportements du vivant…

Il faut donc qu’elle soit absorbée, puis transformée en énergie vitale, dans la plante.

Mais la lumière de ma lampe, perdue à tout jamais, où est-elle passée ? A qui ou à quoi a-t-elle servi, hormis mon éclairage ?

S’il y a conservation ou transformation, ce qui revient au même, de la matière et de l’énergie, pour la lumière, sa nature étant différente, il est difficile de déterminer ce qu’elle devient dans ma chambre…

Qui saura m’expliquer ce qu’elle est devenue ?

Je commence à peine à appréhender à la fois l’importance et le mystère de cette invention…

Mais je ne suis ni physicien, ni philosophe. Eux sauraient peut-être m’éclairer ?...

 

Un mot, encore.

Ne dit-on pas d’une personne emplie d’amour, qu’elle rayonne ? Ne parle-t-on pas souvent de la quête de la Lumière ? Ne parle-t-on pas d’aura lumineuse ?

En ce cas, Amour serait-il Lumière ?...C’est ainsi qu’est décrit le Christ dans les Ecritures…

D’ailleurs il dit : « La lampe du corps, c’est l’œil. Si donc ton œil est clair, tout ton corps sera lumineux… » [Matthieu : 6 ; 22]

La boucle est bouclée, ce me semble…



A travers Champs N°6

Mercredi 6 mars 2013

Campus stellae

 

Campus stellae : le champ de l’ étoile…

 

La légende dit que le corps de Jacques (l’apôtre) fut déposé dans une auge de pierre après son martyre, et l’auge lancée sur la mer. Les flots, un jour, la déposèrent sur un rivage. Un moine fut averti en songe, se leva en toute hâte, et, suivant l’étoile qui le guidait, découvrit la barque de pierre et le corps de Jacques. Il lui donna une sépulture. Tout était en place pour que prenne naissance le fameux pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle.

C’est une belle histoire. Il est facile d’y retrouver les thèmes religieux les plus connus.

Je remarque, incidemment, que de nombreux moines d’Irlande vinrent évangéliser la Bretagne. Les légendes de cette contrée armoricaine parlent aussi de saints venus en barque de pierre jusqu’à ses rivages.

Cette idée de barque de pierre est étrange, fascinante, même.

Quant aux étoiles qui guident les hommes, ne les ont-elles pas guidés de tous temps ?

C’est donc sur la lumière de ces étoiles que, depuis la nuit des temps, les hommes font reposer leur destin. Cette lumière si forte et si fragile, qui vient de si loin de nous, après avoir effectué un si long voyage à travers les espaces glacés et obscurs intersidéraux…c’est elle qui a dirigé les navigateurs sur mer, sur terre, et dans les cieux, jusqu’à aujourd’hui.

J’ai appris, un jour, les constellations et les planètes. Dès lors, le nez vers la voûte céleste, je puis, nommant telle ou telle constellation, me repérer dans ce ciel immense et d’apparence semblable. J’en fus et suis encore satisfait. Je me sens rassuré dans ma promenade céleste nocturne. Tout comme il m’est nécessaire de nommer les arbres de la forêt que je traverse. Afin de me retrouver en terrain connu. A tel point que, débarquant de l’avion en terre africaine, un jour, je fus complètement déboussolé : je ne reconnaissais aucun arbre ! Quelle angoisse ! Je crois bien que la première chose que je demandai alors fut : « Comment nommez-vous ces arbres ?... ».

Ne pensez pas que je cherche à devenir savant pour épater je ne sais quelle galerie. Non. Il m’est simplement indispensable de placer des repères dans mon environnement, pour me sécuriser.

 

Au vrai, ces tâches de base accomplies, je puis oublier totalement le nom de ces objets pour me laisser aller librement à la contemplation du ciel étoilé, de la forêt profonde, ou des baobabs et des nérés du Burkina Faso…

Et ça, c’est bien plus important que leur nom…



A travers Champs N°7

Jeudi 7 mars 2013

Chaud ou froid ?

 

 

Avez-vous de la peine à déterminer ce qui est chaud ? Ce qui est froid ? Tiède ? Pas vraiment.

Si je vous demande : à quel moment ce n’est plus chaud et que c’est tiède, ou à quel moment ce n’est plus tiède mais froid, ça se corse.

En fait, si vous plongez vos doigts dans l’eau de vaisselle, vous savez immédiatement si elle est trop chaude ou pas assez.

Mais si vous entrez dans l’eau du bain, et qu’elle vous semble trop froide, vous ouvrez le robinet d’eau chaude, vous remuez l’eau du bain. A quel moment précis fermerez-vous le robinet ?

A 15° dans ma chambre, je peux accepter de passer la nuit, à 14° il me semble que la perception du froid est plus intense : j'allume le radiateur.

Affinons. La température a baissé de 1°. Pas d’un seul coup. Progressivement. Car la température ne « saute » pas de 15° à 14° : elle décroît progressivement. Ce qui fait qu’il est très difficile de déterminer la limite entre une température et une autre, proche. Pourtant, en théorie, on pourrait diviser le degré en dixièmes de degrés, et ainsi de suite…

 

Pour vous permettre de mieux toucher du doigt de votre pensée où je veux en venir, songez que les bonnes manières ne vous feront vous servir que de la moitié du petit morceau de fromage qui est dans l’assiette. Votre voisin fera de même après vous, sa voisine aussi, etc…à l’infini !...

 

Il en est de même de la vitesse. On peut la mesurer à 1 km/h près. On peut affiner, pour plus de précision. Le radar va se déclencher à partir d’un seuil. Mais entre la vitesse la plus proche de ce seuil, et ce seuil, il peut n’y avoir presque rien : quelle est la limite précise ?...une certaine incertitude…

Bref, on peut diviser les écarts les plus ténus en une infinité d’approches plus précises, repoussant ainsi la limite à l’infini.

 

On peut appliquer ce raisonnement aux objets proches. Ainsi, on peut estimer que deux objets se touchent, au centimètre près, au millimètre près, …au nanomètre près…Tout dépend des objets en cause. Pour deux planètes, la distance ne sera sûrement pas calculée au micron près, pour deux cheveux, il va falloir affiner un peu plus que le centimètre. Mais il reste qu’il me paraît difficile de déterminer, avec une précision absolue, la frontière entre deux mesures dites précises, puisque l’on peut toujours être plus précis…

 

Toute frontière me paraît vague, impossible à fixer. Dieu sait pourtant si nous en avons, des frontières ! En fait, on les fixe en fonction des besoins. De l’infiniment petit à l’infini grand. Du point de vue pratique, on s’accommode toujours d’une certaine marge d’imprécision.

 

Dans l’arc-en-ciel, on dénomme chaque couleur apparue, dans l’ordre que nous connaissons. Mais où se trouve la frontière entre le violet et l’indigo ? Tirerez-vous un trait bien droit dans le spectre solaire pour en marquer la frontière ? D’ailleurs, votre trait droit, vu au microscope, ne l’est pas…

 

Les saisons illustrent aussi très bien cette considération. Le calendrier détermine précisément la date du printemps ; allez expliquer aux enfants que le printemps arrive, alors que vous direz quelque temps plus tard : « Tiens, aujourd’hui c’est le printemps… ». La ronde des saisons n’est qu’une évolution permanente et inquantifiable d’un ensemble de paramètres multiples qu’il est difficile de situer dans le temps de façon ponctuelle, de par ce caractère même de changements subtils et progressifs. La perception de la venue ou du départ d’une saison n’a rien à voir avec la date établie au calendrier : ce sont deux concepts différents, avec, néanmoins, un lien fort, bien sûr.

 

J’ai tendance à penser que la notion même de distance perd de son sens dès lors qu’on s’éloigne de notre planète.

Pour moi, estimer la distance entre deux corps dans l’espace – même si je sais que les astronomes et les astrophysiciens y excellent – est un non-sens. Tout bouge, dans l’espace, en tous sens. Parler de sens dans l’espace, déjà, est un non-sens. Mais, si mesurer une distance sur terre paraît simple, grâce à nos étalons, cela semble moins évident dans l’espace (essayez de définir une ligne droite dans ce vide intersidéral ; c’est un peu comme se perdre dans la forêt…). D’une façon générale, les distances usuelles prises à la surface de la terre utilisent des règles plates (le mètre rigide du marchand de tissus, les règles d’écolier ou des professeurs, etc…), alors que la surface du globe est courbe. Rapporté à nos besoins quotidiens, le rayon de courbure de la terre est un paramètre négligeable. Dans d’autres cas, il nous faudra en tenir compte. De toute façon, ces mesures terrestres sont prises sur un matériau solide : la croûte terrestre, où foisonnent les repères stables.

 

Dans l’espace-vide interstellaire, il n’y a plus, comme à la surface du globe, de repères stables, essentiels aux mesures. Je conçois donc qu’on ne puisse évaluer une distance dans ce vide. Je ne parle pas d’un vide qui serait contenu dans une boîte, mais bien de la vastitude absolue et déserte du vide spatial. Il me paraît illusoire d’appliquer les techniques de calculs terrestres à ce champ d’investigation-là. Je pense que ces calculs ne peuvent s’appliquer que sur terre. Rien ne prouve, en fait, que les calculs extrapolés pour les mesures des objets lointains de l’univers soient rigoureusement exacts. D’ailleurs, s’il est exact que l’univers est en expansion en vitesse croissante, il me paraît illusoire de prétendre à évaluer distances et vitesses relatives des étoiles.

Je sens que je vais me faire agonir par les scientifiques, pour lesquels j’ai pourtant immenses respect et tendresse, je vous l’assure. Mais aujourd’hui, je joue avec la pensée…

 

Poursuivons encore un peu cette expérience de pensée.

Il en est de même de la vitesse. Si aisée à mesurer sur terre, champ fini, cette notion perd son sens appliquée au vide infini de l’espace. Dans l’espace-vide interstellaire, se déplacer ou rester immobile perd son sens : les deux états sont identiques, en l’absence de tout repère. La notion même de direction est caduque dans un tel milieu exempt de repères matériels stables.

Il en est de même du temps. Par définition fini sur terre, il perd toute consistance dans le milieu intersidéral. Du coup, la notion d’existence aussi perd son sens…Concevez-vous cela ?...

C’est vertigineux !



A travers Champs N°8

Samedi 9 mars 2013

Tuez-les tous !

 

Les informations dispensées par les radios sont souvent pour moi source de réflexion. De perplexité parfois. Ainsi cette information étonnante : « Les femmes voilées sourient… » (quelqu’un me dira-t-il comment on voit le sourire d’une femme voilée ?...) ; ou encore : « Les kinés se sont massés sous les fenêtres de la préfecture » (ils ne pouvaient pas le faire tout seuls  dans leurs cabinets ?...).

Hélas ! Le plus souvent, ce sont des drames dont on entend l’écho lointain.

 

Aujourd’hui, un tribunal, en Egypte, a condamné à mort une vingtaine de personnes responsables d’émeutes qui avaient conduit à la mort de soixante-quatorze spectateurs d’un match de foot dans un stade, lors d’affrontements entre supporters.

Faites les comptes : 74 + 20 = …pas loin d’une centaine de morts.

Heureusement qu’il n’y avait pas quatre-vingts ou cent responsables de violences ce jour-là !

Faisons abstraction de la peine capitale, qui trouve ici sa limite la plus absurde, pour ne considérer que le problème de la sanction.

 

Toute société, pour se protéger, donc protéger ses citoyens, se doit, en effet, de condamner les faits qui mèneraient rapidement au chaos en son sein. Il paraît donc juste de condamner le ou les individus coupables de ces faits.

Si trois criminels sont jugés et reconnus coupables de leur forfait, les trois seront sanctionnés. Normal.

Si trente malfaiteurs sont convaincus de crime, les trente devront être sanctionnés.

Je ne pousserai pas le raisonnement plus avant.

 

J’estime que s’il y a eu trente individus qui ont commis ces crimes, c’est au moins vingt-neuf de trop. Car, il est évident que le crime doit demeurer l’exception. S’il devient la règle, c’est que la société est malade, car elle n’a pas su prévenir, éduquer. Au-delà d’un certain seuil, si le taux de criminalité enfle dans de telles proportions, c’est la société qui est en faute, car il lui appartient de mettre en place, en amont, les mesures indispensables à la prévention des crimes. Si l’histoire peut nous renseigner à ce sujet, elle nous dira que c’est essentiellement par ce que l’on a coutume d’appeler les valeurs morales qu’une société met en place une façon de penser et de se comporter qui respecte autrui. Si l’on omet cette simple règle de respect d’autrui (et de soi-même), on finit vite comme des bêtes. Encore que…Des bêtes ne se tuent pas entre elles sans de bonnes raisons.

 

Peu importe que ces valeurs proviennent du civil ou du religieux, pourvu qu’elles tendent à concourir à la prévention de la délinquance.

 

Il est vrai que si la part de la population misérable croît dans des proportions excessives, il semble difficile de maintenir des règles de respect, d’autant qu’alors, à tout coup, la minorité est responsable de cette indigence : c’est ce à quoi on assiste en ce moment, tant au plan national qu’au plan planétaire : danger ! Oisiveté est mère de tous les vices, dit le proverbe. Il a ses limites.

 

Je me souviens d’une histoire survenue à la suite de l’intervention dans un village d’Afrique, dans le domaine humanitaire, d’une petite ONG dont je faisais partie…

Tout partait d’un bon sentiment : récupérer des médicaments et les faire parvenir à un village du Sahel, qui en était (et en est sans doute encore) démuni. J’avais pu voir un enfant allongé dans une case, la jambe gangrénée, faute d’antiseptique de base, que le forgeron devait amputer (sans anesthésie, bien sûr, et avec les moyens du bord : sa scie ; c’était ça où la mort assurée rapidement…).

Alors, évidemment, nous nous sommes démenés, de France, pour collecter les médicaments indispensables aux soins élémentaires, et pour les faire parvenir là-bas par Aviation Sans Frontière.

Nous avons été vertement repris par Pharmaciens Sans Frontière : un trafic de ces produits avait été mis en place par l’infirmier chargé de la réception des colis.

 

Ce fut terrible : si ce malheureux n’a pas été lynché, c’est tout juste (en Afrique, un voleur pris en flagrant délit de larcin est lapidé à mort, et son corps est abandonné sur place : justice efficace…).

Vous pensez peut-être que cet homme était répréhensible ? Certes. Mais je ne dis pas, pour ce qui me concerne, que c’est de sa faute. Quand une population vit dans un tel degré de pauvreté, comment peut-on en vouloir à qui que ce soit d’agir de la sorte ? Que feriez-vous, dans des conditions analogues ?...

 

Je ne dis pas qu’il a raison, bien sûr. Je pense que les règles sont faussées. Car elles ont été établies au sein d’un certain type de société, à une certaine époque, dans un certain contexte. Tout étant différent, les règles doivent être revues, adaptées au contexte.

 

Les règles de France, en vigueur en France en ce moment, ne doivent être ni éternelles, ni universelles.

Pour en revenir au cas de cet infirmier, je me sens responsable de sa faute, à double titre : directement, pour avoir été à l’origine de cet apport de médicaments, source du détournement ; plus indirectement, au même titre que vous, qui me lisez, coupable de laisser ces gens dans la misère, car si la richesse des pays riches était répartie sur toute la planète de façon équitable, il n’y aurait plus de misère en Afrique. Sur ce point précis, je vous conseille la lecture du livre de Jean Ziegler : « Destruction massive ».

 

Un mot, à propos du chaos. On peut aussi l’appeler entropie. Il est défini comme l’état naturel vers lequel tend toute chose tant qu’on n’y applique pas de l’énergie. Ou quelque chose d’approchant.

Un exemple : si vous cessez de faire le ménage chez vous, très vite s’installera le chaos. Pour y remédier, vous allez devoir développer de l’énergie : rangement, aspirateur, etc…La mort d’un être vivant, ou désorganisation complète de l’assemblage de ses systèmes cellulaires, est de l’entropie.

Dans toute société, à l’image de votre maison, si vous souhaitez que les choses demeurent en ordre, il faudra y appliquer de l’énergie. Et plus on laisse s’installer l’entropie, plus elle gagne du terrain…et plus il y aura d’énergie à y porter ! Car le chaos est l’état originel du monde, et il ne cesse de chercher à y revenir…

 

Tirez-en vous-mêmes les conséquences…

 

Je sais. Je vous choque ? Vous êtes frustré(e) que je m’arrête en si bon chemin ? Vous attendiez peut-être des solutions ?...

Ce n’est pas mon propos. Je ne suis qu’un homme vieillissant, qui observe et s’inquiète de ce qu’il constate. Je n’ai aucune solution. A cette échelle, c’est peine perdue. Je me demande même s’il n’est pas trop tard, dans l’hypothèse où les pays riches décideraient aujourd’hui de changer d’attitude envers les pays pauvres (remarquez l’hypocrisie : on ne les appelle plus ainsi, mais pays en voie de développement ou je ne sais quelle autre riche périphrase…). Et puis, sans aller si loin, comment les choses se passent-elles chez nous ?...Les richesses sont-elles mieux partagées ?...

Je vous demande pardon si je vous ai mis mal à l’aise, ou si je vous ai déplu, ou agacés…

Ce ne sont que mes divagations personnelles. Celles d’un quidam, un vieux type un peu cinglé qui n’est certes pas en mesure de porter un jugement politique, ou autre d’ailleurs, sur ce qu’il croit avoir compris du monde qui l’entoure, et qui rêve…un poète, en somme…



A travers Champs N°9

Dimanche 10 mars 2013

Fanny et les autres…

 

Avez-vous remarqué comme on parle peu des femmes compositrices, en musique dite classique ? Comme il est peu de femmes chefs d’orchestre ? Et pourtant, il y en eut. France Musique leur avait consacré une série d’émissions il y a quelques temps. J’en étais ravi, depuis le temps que j’attendais cela !

La plus connue d’entre toutes est probablement Fanny Mendelssohn (1805-1845). A titre personnel, j’aime beaucoup ses compositions, que je préfère à celles de son frère Félix.

Pourquoi, de tous temps, les femmes ont-elles été évincées de la carrière musicale (sauf à rester cantonnées dans le rôle d’interprètes) ? C’est assez facile à comprendre. Non qu’elles disposent de moins d’aptitudes ou de génie que les hommes, mais plutôt parce qu’il était des règles de société qui leur en interdisaient l’accès. Voici à ce sujet, et c’est édifiant, ce qu’écrivait Mendelssohn père à sa fille Fanny :

« La musique sera peut-être pour ton frère Felix une profession mais pour toi elle ne peut et ne doit être qu'un agrément. »

Sans commentaire.

Il est ainsi au travers de notre société d’étranges diktats. Je ne puis résister à celui-ci, entendu récemment :

« La poésie est une affaire de femmes. »

Je vous laisse apprécier.

Pensez à Aurore Dupin allias George Sand (1804-1876), et à son combat pour la cause féminine.

Et aujourd’hui, où en est-on ?...

Les choses évoluent, sans nul doute, mais enfin…

 

Je vous conseille, en attendant mieux, de découvrir Fanny…et les autres…



A travers Champs N°10

Lundi 11 mars 2013

Stonehenge and co

 

Ce soir, j’ai décidé de vous emmener, par la pensée, du côté de Stonehenge. Plongée dans le temps…

 

« Stonehenge, dont le nom signifie « les pierres suspendues », est un grand monument mégalithique composé d'un ensemble de structures circulaires concentriques, érigé entre -2800 et -1100, du Néolithique à l'âge du bronze. Il est situé à treize kilomètres au nord de Salisbury, et à quatre kilomètres à l'ouest d'Amesbury (comté du Wiltshire, Angleterre). » [Wikipedia]

 

J’ai toujours été fasciné par les mégalithes : pourquoi les alignements de Carnac, ou les pierres levées un peu partout en France ? ...comment s’y est-on pris pour transporter et agencer ces blocs ?...

Comment nos ancêtres ont-ils pu transporter, dresser, voire poser d’énormes dalles horizontales sur les pierres dressées parfois à une grande hauteur[1] ?

 

Pour ma part, je ne crois aucunement en toutes les théories de transport proposées pour ces blocs de plusieurs dizaines de tonnes. Trop d’obstacles (à Stonehenge, une colline et un marécage séparaient les deux lieux) se dressent entre le lieu de fabrication des blocs, la carrière ( « Les immenses monolithes, uniformément constitués de grès « sarsen » de l’Oligocène-Miocène, ont été extraits de carrières que l’on peut visiter librement, à 40 km environ au nord de Stonehenge, dans les Marlborough Downs, à l’est d’Avebury. »[ibidem]), et leur lieu d’implantation, pour avoir été portés, traînés sur des rouleaux, ou basculés. C’est du moins mon avis.

Mais je me trompe peut-être.

 

Car, spontanément, j’imagine des hommes au travail. Mais des hommes comme vous et moi, de notre époque, occidentaux, bien sûr, bref, à l’image de notre environnement actuel. Peut-être est-ce là l’erreur de départ : imaginer des hypothèses qui se rattachent à notre culture. Or, je suis prêt à parier ma chemise que celle-ci n’a rien à voir avec celle de ceux de nos ancêtres qui nous ont laissé ces pierres dans notre jardin. Quant à l’environnement matériel, je doute qu’il ait été en tous points semblable à celui que les visiteurs découvrent aujourd’hui.

 

Et si nous cessions de penser en homo sapiens sapientissimes, pour tenter d’élaborer des modes de pensée différents du nôtre, ce qui paraît plus raisonnable ?

Je propose qu’ils aient utilisé des bulldozers géants pour déplacer ces blocs : cela vous convient-il ?...Evidemment non. Je plaisante. Quoique…il n’est pas interdit de penser que les hommes de cette époque aient atteint un niveau technologique égal au nôtre, puis que leur savoir se serait perdu…Non. Ce n’est pas sérieux.

 

On pourrait proposer que ces humains aient été différents de nous (c’est d’ailleurs une certitude) par la force. La taille, peut-être (des géants ?...), mais surtout par la force (cela a de grandes chances d’être vrai). Mais c’est insuffisant.

Les squelettes de cette époque exhumés sous les dolmens et les tumuli ne semblent pas particulièrement différents des nôtres. Ces hommes n’étaient donc pas des géants. Mais peut-être étaient-ils plus forts ? Ou plus malins ?...

Je pencherais plutôt pour une autre hypothèse : ils avaient à disposition une force que nous ignorons : la magie.

 

Pour étayer cette hypothèse, je ferai observer que, de tous temps et en tous lieux, celle-ci fut présente dans les sociétés humaines, quand elle n’y sévit pas encore (le chaman de certaines peuplades vivant à l’écart du monde moderne n’en est-il pas le servant ?). Certes, à notre époque, elle a quasiment disparu, mais il n’y a pas si longtemps encore en France, les sorciers et sorcières étendaient leurs pouvoirs dans nos campagnes…

Et si, par l’utilisation de ces forces que nous avons perdues, ces hommes avaient été capables de faire léviter ces blocs, c'est-à-dire de contrebalancer la pesanteur par création d’un champ naturel de forces ?...Alors, tout aurait été simple.

 

Je sais : vous vous dites que je suis un doux rêveur (je dis doux rêveur, mais je sais bien que vous pensez en termes bien plus extrêmes, mais je ne vous en veux pas, allez…). J’aime tellement la fantaisie, le rêve, l’utopie…

Pourtant, je vais vous raconter une histoire. Elle est arrivée à mon frère alors jeune homme servant dans l’Armée. C’est lui qui me l’a racontée. Il n’est pas comme moi, un doux rêveur, mais bien plus prosaïque.

 

Avec quatre de ses camarades, Pascal – c’est mon frère le plus jeune - revenait d’une soirée, bien arrosée, comme c’était la coutume alors (nous sommes dans les années soixante-dix). Tous s’étaient entassés dans la volkswagen (la fameuse « coccinelle ») de mon cadet.

C’est lui qui conduit. Mais lui aussi a bu. Un peu trop, sans doute, puisqu’il loupe un virage. La voiture quitte la route et se trouve immobilisée en contrebas. Par chance, nos gaillards sortent indemnes de la voiture. Ils n'étaient point ivres-morts, simplement éméchés. Le choc les dégrise.

Après avoir fait le tour du véhicule, ils constatent qu’il n’y a pas de dégâts au véhicule. Ils rigolent un bon coup avant de se poser la question de savoir comment ils vont rentrer à la base, où, bien sûr, il vaut mieux être présent à l’appel du lendemain matin.

J’imagine fort bien mon frère se grattant la tête, inventant des solutions pour sortir sa voiture du fossé…En fin de compte, il doit se rendre à l’évidence : sans tracteur ou dépanneuse, la voiture passera la nuit au bord de la route.

C’est alors que l’un de ses camarades leur propose de les tirer d’affaire. Mais la manière est peu orthodoxe. On se moque de lui. Il les fait taire, explique son idée : on le prend pour un farceur. Mon frère, pragmatique, juge que, n’ayant pas de meilleure solution en vue, cela ne coûte rien d’essayer. On s’exécute donc.

Selon les directives de ce garçon, ses quatre copains se placent de part et d’autre de l’auto, deux à l’avant, deux à l’arrière.

Je m’interromps un instant pour vous rappeler combien la volkswagen de l’époque avait oublié d’être légère !

C’est d’ailleurs pour cette raison, que les quatre comparses ne croient pas un instant aux élucubrations de leur camarade, mais ils font taire leurs railleries, se pliant docilement aux consignes du chef de la manœuvre. Il les fait se baisser pour placer deux doigts de chaque main (l’index et le majeur) sous le châssis.

« Quand je vous le dirai, soulevez, leur intime-t-il. »

Quant à lui, il va se placer à l’arrière du véhicule.

Il leur demande alors de soulever.

A leur grande surprise, les quatre jeunes hommes soulèvent la coccinelle sans effort. En un tournemain, l’auto est sur la route ! Pour le coup, ils en sont complètement dégrisés. Tout le monde reprend sa place dans le véhicule, qui repart vers la caserne sans plus de problèmes.

 

Comme mon frère racontait cela à mon père quelque temps plus tard, évidemment, ce dernier n’en crut pas un mot, et se moqua bien volontiers de cette histoire à dormir debout.

« Des propos d’ivrogne ! », fit-il hilare.

« Vous ne nous croyez pas, M.Belliard ? intervint alors le copain de mon frère, qui était présent, avec un autre ami à eux.

« Asseyez-vous donc sur votre chaise, voulez-vous ?

Mon père y consentit.

Ce garçon fit placer mon frère et le troisième larron de part et d’autre de la chaise, leur demandant de poser, tout à fait comme ils l’avaient fait pour la voiture accidentée, quatre doigts sous la chaise.

Pour sa part, il se plaça derrière le dossier de celle-ci.

C’est ainsi que pour la première fois de sa vie, et la dernière aussi, en vérité, mon père se trouva soulevé dans les airs, dans sa salle à manger, le crâne au niveau du plafond !

Quand il fut redescendu :

« Et maintenant, me croyez-vous ? dit-il à mon père.

Force fut au sceptique de reconnaître cet étrange pouvoir.

 

J’imagine mal qu’il se fût mis de mèche avec mon frère pour me raconter l’événement. Quant à mon frangin, il n’a pas pour habitude de raconter des affabulations.

 

Si j’ai pris le temps de vous narrer ces deux histoires, c’est pour mieux amener mon propos.

Transposons la scène trois mille ans avant notre ère. Plaçons deux rangées de forts gaillards trapus et velus (c’est essentiel…) des deux côtés du bloc de grès, le chaman à une extrémité de celui-ci…et le bloc se lève sans effort surhumain…et se déplace de même…

 

Bon. Nous vivons une époque rationnelle : « Votre hypothèse est des plus farfelues, Monsieur le Poète ! Ce n’est pas ra-tion-nel !... »

 

« Ah ! Messieurs les savants ! Ce n’est certes pas rationnel. Je ne vous dirai qu’une chose : combien de fois ai-je été amené à constater que la réalité dépasse souvent nos rêves les plus fous, et de très loin… »

 

Autre chose : il est certain que ces peuples utilisaient la magie.

Une autre encore.

Je vous ai posé la question, au tout début de mon propos : pourquoi ces monolithes ?

 

On assure que sous ces pierres géantes reposent les restes de ces hommes, nos ancêtres. Ce seraient leurs sépultures. On a bien retrouvé quelques ossements, en effet, là-dessous. Mais pas de cimetières. Où sont passés les autres corps? Ceux des milliers d’individus qui ont vécu et sont morts à cette époque, pendant plus de cinq cents ans minimum ? Deux solutions : ou on a enlevé les autres pierres de sépulture, toutes, et alors, il faudra expliquer où elles sont passées ?... ; ou on n'y enterrait que les chefs, et encore pas tous, ou alors, là encore, on a ôté les pierres de tous les autres chefs, puisqu’elles ne s’y trouvent plus. Cependant, là où ont été placés ces mégalithes, ils s’y trouvent encore de nos jours, car personne, depuis, n’a été en mesure de les déplacer ou de les détruire. Pas même nous, avec nos moyens technologiques modernes. Jusqu’à preuve du contraire.

Alors ?...

 

Essayons de penser autrement. Si la magie a été employée pour déplacer et assembler de tels blocs, je ne vois à toute ces entreprises qu’une explication : la magie.

Savons-nous en quoi croyaient ces gens, confrontés à une vie en pleine nature, sans beaucoup de points communs avec la nôtre ? Confrontés sans doute à l’âpreté des conditions de survie qui ont dû être les leurs ? Avec les fauves qui en faisaient leurs proies ? Les animaux qu’il fallait chasser pour se nourrir et se vêtir ? Les autres hommes, peut-être, de tribus ennemies, qu’il fallait affronter ? Les rigueurs des climats ? les orages, les séismes, les volcans ?...Tant de dangers menaçant leurs existences fragiles ?...L’incompréhension face aux étoiles, au soleil et à la lune, chaque nuit, chaque jour, qui tournaient au-dessus de leurs têtes ?...La vie, la mort ?...Les naissances ?...

Quelles réponses pouvaient-ils apporter à une curiosité que je leur prête bien volontiers : n’en avons-nous pas hérité ?

La réponse de la magie, me semble-t-il, paraît bien légitime dans un tel environnement, avec, sans doute, bien peu d’éléments de connaissance à apporter à ces grands mystères.

 

La Bible rapporte souvent des événements faisant intervenir les mages :

Exode 7 ; 10 - 12 :

« 10 Moïse et Aaron entrèrent donc vers Pharaon et firent exactement comme l’avait ordonné Dieu. Ainsi Aaron jeta sa baguette devant Pharaon et ses serviteurs, et elle devint un grand serpent. 11 Cependant Pharaon appela aussi les sages et les sorciers. Et les prêtres-magiciens d’Egypte, eux aussi, firent alors la même chose avec leurs arts magiques. 12 Ainsi ils jetèrent chacun sa baguette et elles devinrent de grands serpents, mais la baguette d’Aaron engloutit leurs baguettes »

Il est impossible de placer précisément ces faits bibliques dans l’échelle du temps, mais disons qu’ils auraient pu se passer entre 2000 et 1500 ans avant notre ère (selon certains spécialistes). Epoque de l’érection des mégalithes dans toute l’Europe. Si l’Egypte, cadre de cet épisode des serpents, semble, d’après la rédaction de ces versets, utiliser communément la magie, on peut admettre comme plausible l’hypothèse de la magie comme élément banalisé dans la société de nos ancêtres bâtisseurs de tumuli. Mon hypothèse, du coup, paraît moins fantaisiste.

 

Ceci dit, je ne m’y accrocherai pas outre mesure : je vous ouvrais simplement une porte sur le rêve…

 



[1] Je vous invite à (re)découvrir les monuments mégalithiques   proches de chez nous : dolmens de la Pierre Blanche, près de Tusson (16) et de la Pierre Levée, à Ardillières (17), tumulus de Vervant, dans la forêt de la Boixe (16), tumuli de Bougon (79) ; ces derniers étant sans doute les plus remarquables…



A travers Champs N°11

Jeudi 14 mars 2013

Voyage à Ziga

 

1

Ouagadougou

 

Il s’appelle Ziga. C’est un village Burkinabé. Du Burkina Faso, si vous préférez. Ex Haute-Volta (du temps de la colonisation française). Dans la boucle du Niger, voisin du Mali. Pays du Sahel. Pays pauvre. Très pauvre.

Le nord du pays est sec : c’est le Sahel. Peu d’eau, la chaleur, bien sûr, le vent du désert (l’harmatan) souffle parfois violemment. Une saison des pluies. Mais alors, pas la pluie douce et tranquille de chez nous : des cataractes ! Je n’avais jamais vu cela !

Y poussent (difficilement) le mil et le sorgho.

Le sud chaud et humide : on y cultive du riz.

A l’origine d’une correspondance entre écoliers de ce village et de celui où j’enseignais, avec mon épouse, il avait fini par nous paraître incontournable de nous rendre sur place pour rencontrer les amis d’Afrique.

Nous avons donc emprunté à la banque l’argent du voyage en avion vers Ouagadougou, la capitale.

Nous accompagnaient : nos deux enfants, un couple d’amis de l’association que nous avions formée pour soutenir le projet de correspondance scolaire, et leurs deux enfants.

*

* *

Au sortir de la carlingue climatisée, je suis assommé par la chaleur et la lumière aveuglante. Du pied de l’échelle aux bâtiments de l’aéroport, impossible de se perdre : le chemin est balisé par deux rangs de soldats, la kalachnikov au poing. C’est pas la France, sûr !

 

Longue attente au guichet : examen minutieux des passeports…Une personne, devant nous, est priée de reprendre l’avion : pas de certificat de vaccination.

Mon ami me chuchote : « J’ai oublié celui de ma fille !... »

Panique silencieuse !

On passera sans encombre. Ouf !

Sortie de l’aéroport. Première chose qui nous frappe : une armada d’enfants se bousculent, des pancartes à la main portant le nom d’hôtels luxueux, se disputant pour nous y accompagner. Surprenante Afrique !

Tout est différent de ce que je connais. Les rues : pas de macadam : la terre ocre. La poussière, devrais-je dire. Les voitures : des épaves rafistolées qui roulent vaillamment en tous sens. Des taxis surchargés, des piétons, des cyclistes…Sur les rives des rues, à même le sol : infirmes, vendeurs de quelques mangues…Des arbres inconnus, poussiéreux, d’un vert grisâtre. L’ocre partout : le sol, les murs des habitations. Il ne faut pas deux heures pour réaliser ce qu’est la misère.

Aux murs et sur des banderoles : « les Français dehors ! Vive Khadafi ! » (il était en visite officielle en même temps que nous à Ouaga).

Accueillant !

Nos amis Burkinabés nous rassurent. Tout ça c’est de la politique pour essayer de récupérer la manne que le « guide » sème autour de lui. Rien d’autre.

 

A notre hôtel, dans un quartier un peu éloigné du centre, ce n’est pas le grand luxe. La chambre : une pièce unique aux murs de banco[1], nus. Le sol est de ciment. Les lits. Une petite cellule en ciment a été prise sur cette pièce pour y établir les toilettes-douche. Pas de porte. La pomme de douche, au bout de son tuyau, délivre l’eau avec parcimonie, pour la douche et le nettoyage de la cuvette de WC. Au plafond un triste ventilo brasse l’air chaud de la chambre : je me demande si ce n’est pas mieux quand on l’immobilise.

 

La cour est ombragée d’un néré. Les enfants s’amusent à attraper des espèces de gros lézards verts dont j’ai perdu le nom et qui courent sur les murs intérieurs de la cour. On y mangera bien. De toute façon, nous ne sommes pas venus pour faire du tourisme ici, mais rendre visite à nos amis de Ziga. En attendant, nous irons tout de même visiter la ville.

Le souk sera la cible principale de notre curiosité.

Je demande qu’on ne me juge pas trop sévèrement pour ce que je vais dire : je ne me suis jamais senti aussi mal en sécurité qu’en son sein.

Une foule énorme et dense. Bien sûr, tout le monde est noir autour de nous. Au bout de quelques minutes, notre groupe s’est scindé en deux : les femmes sont parties dans les méandres confinés du cœur du marché ; nous, les hommes (mon ami et nos deux garçons) errons, ballottés par la foule qui nous presse.

Nous sommes, évidemment, la cible d’une curiosité générale. On nous propose d’acheter des articles à chaque étalage, de façon à mon goût trop pressante. Toujours quelqu’un cherche à m’emmener dans la meilleure boutique pour me vendre je ne sais quoi. Mais je n’ai nulle envie d’acheter. Je sens simplement que les femmes se sont laissées entraîner quelque part au sein de la foule bigarrée des Burkinabés : perdues de vue ! Nous avons de la peine à tenir les deux garçons auprès de nous. On me presse de toutes parts pour m’attirer vers telle ou telle échoppe. La panique commence à me gagner : tout peut arriver. Nous commençons à craindre pour nos femmes et nos filles. Bêtement, sans doute. Mais le contexte n’a rien de rassurant. Nous décidons de confier les garçons à un marchand qui nous paraît digne de confiance. Puis nous partons à la recherche du reste de la troupe. Ce ne sera pas facile de les retrouver. Nous y parvenons, finalement. Elles sont parfaitement à l’aise au fond d’une boutique, où elles négocient le prix de quelques babioles. Elles se rient de notre appréhension, et s’en fâchent presque. Finalement, tout le monde se rassemble et nous sortirons indemnes de cette immersion brutale au cœur de l’Afrique.

J’ai été stupide. Assurément. Mais avec des excuses, tout de même (même si Burkina Faso signifie en moré[2] Le pays des gens honnêtes, le fait de faire figure de riche au milieu d’une foule généralement indigente n’est pas pour rassurer…).

 

II

Le goudron

 

Pour nous rendre au nord de Ouaga, une seule solution : le bus. La gare routière est assez étonnante. Beaucoup de monde ici. Des hommes en djellaba assis au pied d’un mur de banco prennent le thé à même le sol poussiéreux. D’une petite bouilloire en fer blanc, l’homme verse un filet de thé dans sa tasse.

Le toit de l’autocar commence à ressembler à un monstre tout boursouflé sur le dos : des hommes, sur son toit, attrapent au vol les ballots qu’on leur envoie du sol. Puis ils assemblent selon un rite obscur tout ce capharnaüm d’un bout à l’autre du toit. Bien sûr, le départ sera différé largement. Mais enfin, calés au milieu de la foule des matrones opulentes et joyeuses, cahotés comme des dés dans un cornet, nous sommes en route sur le goudron. Entendez par là, l’axe unique de circulation goudronné qui traverse le pays du nord au sud. Nids de poule en veux-tu en voilà !

Par la vitre, je regarde défiler le paysage. Tout est nouveau pour moi. Les couleurs ocre ou rouges et grises. Le vert de gris du feuillage des arbres, le rouge de la latérite du sol, l’ocre des murs de banco des cases au toit de paille grise. Elles semblent jetées comme au poker d’as. Au petit bonheur la chance : deux ou trois par ci, une autre par là. Il n’y a pas de villages à proprement parler, du moins au sens où nous l’entendons en France. Pas de regroupements serrés. L’espace de la brousse est si vaste que l’esprit ne semble pas concevoir de se resserrer. On s’étale, et c’est naturel. La végétation est surtout constituée d’arbustes, de nérés et de baobabs. La verdure ne l’est jamais. Je l’ai dit, le vert est gris. L’eau manque. C’est une évidence. Des enfants pieds nus courent autour des cases. Ils s’arrêtent pour regarder le bus passer. Beaucoup de mômes ont un gros ventre. Les plus petits sont tout nus. Des femmes aux vêtements colorés une cuvette en fer émaillé sur la tête. Des hommes assis sous des arbres. Les volailles circulent librement partout en picorant une improbable nourriture.

Quel étonnement que tout ce qui défile sous mes yeux ! Tout est pour moi inattendu dans ces paysages.



 

III

La brousse

 

A un certain moment, le bus s’arrête au bord de la route. Nous descendons. Les bagages sont descendus du toit. Ce n’est pas aisé : il faut défaire l’ordre savant qui maintenait l’ensemble en équilibre pour accéder aux sacs perdus au sein du monticule.

Le bus repart. Un pick-up de marque japonaise est là, pour nous, qui nous attend.

On s’entasse comme on peut sur la banquette avant et dans la benne, avec les bagages. Bientôt le véhicule ressemble à une pyramide humaine mouvante qui s’engage dans la brousse en sinuant au milieu des arbustes, sur une piste pas tout à fait plane, loin s’en faut ! Des ornières profondes obligent le chauffeur à de brusques écarts.

Plus nous approchons de notre but, plus il se trouve de gens à courir à notre rencontre en criant, en agitant les bras pour nous saluer. Une vieille femme pose un tissu en travers de notre route avec révérence : signe de bienvenue.

Le village est proche : des hommes tirent des coups de fusil en l’air ! Les enfants, les adolescents courent aux côtés du véhicule en nous acclamant ! La foule a grossi. C’est la liesse générale !

Je suis submergé par la surprise. Inoubliable accueil !

 

IV

Ziga

 

Le village de Ziga, comme ceux que j’ai pu voir en cours de route, n’a pas de contours bien définis, pas de cases serrées les unes contre les autres. Son habitat est éparpillé sur une vaste aire de brousse. Les cases sont pourtant regroupées en concessions : elles sont entourées d’un muret, de banco toujours, délimitant des territoires familiaux.

Nous voici arrivés. Le pick-up s’est arrêté devant un portail métallique peint fraîchement de bleu qui clôt une petite concession : quatre cases reliées de hauts murs forment un carré un peu à l’écart du centre du village.

« Voici votre concession. Vous êtes ici chez vous. Ce terrain est un bout de la France, désormais. »

L’émotion m’étreint vivement au vu d’un tel accueil. La foule des villageois s’est rassemblée autour de nous. Tout le monde parle, rit, nous montre du doigt gentiment. Un groupe de danseurs en tenue traditionnelle exécute une danse au son des tams-tams. Puis, en qualité de « chef de la mission » (c’est ainsi qu’on m’a bombardé : il est vrai qu’en tant que Directeur d’école, je suis en effet le responsable de ce projet d’échange épistolaire entre les deux écoles, et aussi de ce voyage), je dois couper le ruban qui obstrue symboliquement l’accès au portail fermé. Applaudissements. Cris, chants, danses…Quel tourbillon ! Que d’émotion ! On me remet la clé dudit portail. Une fois à l’intérieur, je dois sacrifier au rituel de bienvenue : deux jeunes filles me présentent successivement l’eau et le lait de mil dans de grandes calebasses, à l’ombre d’une pergola tendue entre deux cases.

On nous a dit : « Surtout, ne buvez pas d’eau avant d’y avoir ajouté un comprimé d’un produit destiné à nous éviter la « tourista ».

Bien sûr, je ne vais pas sortir la boîte de comprimés. L’instant est tellement solennel que je ne voudrais pas pour un empire déroger au rituel, et décevoir ces braves gens. Je puis vous assurer qu’à aucun moment de ma vie je n’ai vécu pareille émotion. Cela se reproduira pourtant encore une fois au cours de notre séjour.

Nous avions été invités par la municipalité d’un bourg voisin. Je nous revois, tous assis en rond sous le toit d’une immense paillotte, nombreux personnages importants locaux, et nous. Le maire nous fit un si beau discours, si touchant, sur l’amitié entre les peuples, que lorsqu’il me donna la parole à sa suite, je bafouillai quelques phrases avant de m’interrompre, incapable de parler, les sanglots m’étouffant. Mon camarade ne fit pas mieux. C’est sa femme qui sauva la mise. Je m’en excusai comme je pus. Mais chacun avait compris. On respecta cette émotion.

 

A suivre…

 

 

 



[1] Banco : boue séchée ; les femmes bâtissent les murs en blocs de terre séchée et les enduisent à la main de terre mouillée d’eau

[2] Langue de l’ethnie Mossi, assez majoritaire



A travers Champs N°12

Vendredi 15 mars 2013

Voyage à Ziga (suite)

 

V

La vie à Ziga

 

Nous avons occupé ainsi les quatre cases : une pour un couple d’adultes, une pour l’autre, une pour les filles, une pour les garçons.

Le sol de la cour comme celui des cases, en banco, a été aplani par piétinement par les femmes.

Nous disposons de toilettes et de la douche africaine.

Pour les toilettes, une petite pièce : trois murs, un trou dans le sol. Pour la douche, contiguë : même conception rustique. Pour l’eau : il suffit de prévoir des calebasses. Pour le rinçage, on se verse l’eau de celles-ci sur la tête.

L’eau provient d’un grand bidon peint en vert installé sur un châssis simple reposant sur deux roues de vélo, avec deux bras pour le hâler. J’apprendrai le dernier jour que ce sont les enfants du village qui se relaient en notre absence pour assurer notre approvisionnement.

Un cuisinier nous a été dévolu : il nous gâte. Là aussi, nous apprendrons le dernier jour combien nos amis se sont serré la ceinture pour nous gâter. Eux sont loin de manger comme nous. J’ai su que les restes de nos repas étaient convoités, mais nous ne nous sommes aperçus de rien. Comment ne pas avoir alors le cœur serré en réalisant cela ?

Bref, on a tout fait pour nous recevoir comme des princes, malgré l’indigence générale.

 

Il y a un jour de visite officielle auprès des chefs de quartiers.

Nous avons trois visites à rendre. Je me souviens particulièrement de la première.

Un peu à l’écart des concessions, sous un baobab, sont assis trois personnages. Un homme se traîne dans la poussière aux pieds du chef. Cet homme est son serviteur. De son éventail, il chasse les insectes qui dérangent le chef et l’évente. Je sais, c’est surprenant. Cela me gêne de le voir ravalé à un rang inférieur. Mon ami Burkinabé qui sera notre guide et traducteur parfois durant tout notre séjour là-bas, se prosterne à terre devant ce haut personnage local. Nous avons été avertis de l’imiter dans ce cérémonial.

Après lui, je me mets donc à genoux devant cet homme. Mes pensées, à ce moment, sont assez diffuses. Jamais auparavant je ne me suis agenouillé devant quiconque. Jusqu’à ce moment précis, la crainte du ridicule semble prédominer en moi. Etonnamment, j’ai saisi soudain tout le sérieux de la chose, et me plie de tout mon cœur et en toute humilité à la coutume locale, soucieux de respecter les traditions de ces gens. Bien sûr, ça n’est pas passé inaperçu. Aussi, après avoir sacrifié fort sérieusement aux usages, voici que ces hommes affichent leur joie de faire ma connaissance, et plaisantent avec moi le plus naturellement du monde, comme si nous avions été de vieux copains depuis des années ! Je me félicite de m’être plié de bon cœur à leurs usages.

Il y aura également une visite à rendre à Ouahigouya, grande ville voisine, du même ordre, à un chef coutumier important.

En fait, je crois qu’il s’agit, à l’origine, pour tout voyageur, de demander l’autorisation de traverser le territoire de l’occupant. Logique. Ainsi, on s’assure des intentions de l’étranger qui passe, et de sa dangerosité éventuelle, des menaces qu’il pourrait faire courir à la communauté villageoise.

Il y a de nombreuses visites officielles à rendre. De nombreux discours à prononcer. Je m’y plie de bonne grâce.

 

 

VI

L’eau

 

Pas d’eau courante ici.

Un puits, hors du village. C’est un trou creusé dans le sol. Quelques planches au-dessus. Toujours quelques gamins autour. Ce sont les femmes et les fillettes qui puisent l’eau. Une corde attachée au bout d’un seau. Enfant, j’ai moi-même tiré l’eau du puits ainsi.

Une mère lave son enfant juste à côté. Il est tout nu, bien sûr. Là encore, on utilise la calebasse. Les femmes et les fillettes rapportent l’eau dans des bidons ou des cuvettes. Le linge lavé ici est transporté sur la tête.

A la concession, l’eau est tenue fraîche dans des canaris. C’est le nom donné à des grandes jarres de terre disposées à l’ombre d’une claie de branchages. Un plateau de paille tressée en obture l’orifice. L’eau est, c’est surprenant, très fraîche dans ces poteries. Par le principe d’évaporation. Dans tout le bassin méditerranéen, ce système a de tous temps été utilisé.

 

Comment cultiver dans une zone aride ?

Les indigènes y déploient une grande ingéniosité.

Comme la désertification gagne du terrain, il faut aussi lutter contre ce phénomène. On détermine dans le champ à ensemencer des cuvettes creusées en pente douce de deux ou trois mères de diamètre. En leur centre, on plante un arbre et on sème le mil. Ainsi, quand vient la pluie, la cuvette retient l’eau qui, sans elle, ravinerait et disparaîtrait rapidement. Cette rétention conserve la fraîcheur au fond de la cuvette un peu plus longtemps que sur terrain plat. L’arbre donnant son ombre, l’évaporation est freinée dans la cuvette. La culture vivrière a ainsi plus de chances de venir à maturité. L’association de l’arbuste et de la céréale est astucieuse, et ne nécessite aucun investissement particulier.

Autre système mis en pratique pour retenir l’eau dans les champs : voici.

Un géomètre détermine les courbes de niveau sur le terrain à mettre en culture. Un camion apporte un tas de petites pierres qu’il déverse à proximité. On peut voir alors la file ininterrompue des femmes, avec, parfois, leur bébé attaché dans le dos. Chacune se baisse, se saisit d’une pierre, et suivant la femme qui la précède, va la déposer au sol, à côté de celle que vient de placer sa voisine. Et la file la ramène au tas de pierres où elle recommence l’opération. Et ce sous le soleil de plomb de l’après-midi !

Le résultat n’a rien d’impressionnant : il se construit ainsi pierre par pierre une petite diguette qui sinue au sol suivant les points de même hauteur. Lorsque viendra la pluie, l’eau sera retenue par ces diguettes, et demeurera sur les aires qu’elles délimitent, où sont les plants de mil.

Le seul instrument aratoire que j’aie vu est la daba (houe). Des plus rudimentaires, cet outil semble très utilisé par les agriculteurs.

 

VII

L’école

 

Sous les acacias, l’ombre est agréable. On y a construit l’école. Bâtiment de ciment brut, avec une porte et des fenêtres percées dans ses murs. Les tables sont de longs plateaux devant de longs bancs où s’entassent les nombreux écoliers. Le tableau n’est qu’une zone du mur en ciment peinte en vert. La peinture est partie par endroits. Par les fenêtres, de l’extérieur, de nombreuses têtes suivent la classe également. Je n’ai pas compté les écoliers, mais il en avait plus de cinquante, si ce n’est pas soixante et plus ! Il n’est pas rare qu’on atteigne la centaine d’élèves par classe en certains endroits, m’a-t-on dit !

L’instituteur, souvent, ne dispense que deux ou trois cours par semaine, étant payé au lance-pierres. Qui lui en voudra ? Comme il vient de la ville voisine en mobylette, il économise ainsi son essence, quitte à pratiquer un autre petit boulot pour subvenir à ses besoins. Effet perverss de la misère !

A midi, une cloche appelle les commensaux sous les ombrages. Mais tous ne viennent pas. Ceux dont les parents sont trop pauvres pour payer la cantine ne mangent pas. Les autres s’alignent en trois files devant les gamelles que des matrones ont posées sur le sol.

A la louche, elles déposent le tô[1] dans le petit récipient que leur tend l’enfant. Souvent, c’est une poche plastique qui fait office d’assiette. Puis chacun s’en va mangeant de ses doigts la maigre pitance.

Il y a parfois des bousculades dans les files : l’un cherche à devancer ses camarades ; tel autre resquille et veut passer à nouveau aux gamelles : les cantinières sont sans pitié, et les houspillent avec vigueur. On m’a dit que des enfants ne mangeaient pas toute leur part pour la ramener le soir à la case.

Maint enfant doit parcourir plusieurs kilomètres à travers la brousse pour venir à l’école.

Inutile de dire à quel point le papier, les cahiers et les crayons apportés dans nos bagages en grande quantité ont été appréciés !

 

 

Pour clore cet aperçu de ce séjour en terre africaine, voici une anecdote.

Un match de foot avait été organisé en notre honneur (pas de chaussures de foot, évidemment : on joue pieds nus). J’en étais le Président d’honneur, et, à ce titre, dus procéder au tirage au sort, assister au match, attribuer les récompenses…avec une tourista carabinée !...Mon Dieu ! Je ne vous dis pas le calvaire ! Sans compter que le foot n’est pas mon fort !

 

Je rends ici hommage à tous mes amis de Ziga, qui nous ont témoigné une si belle amitié. Ils vivent dans la misère, certes, mais quelle dignité ! Quel cœur !

Belle leçon d’humanité, en vérité….



[1] Tô : bouillie de mil ou de sorgho, base de l’alimentation



A travers Champs N°13

Mardi 19 mars 2013

 

Tout homme qui meurt est une bibliothèque qui ferme ses portes

 

Tout homme qui meurt est une bibliothèque qui ferme ses portes.

Peu de temps avant sa mort, j’avais demandé à mon père de se confier à moi sur certains épisodes de sa vie, pour moi obscurs.

J’aurais aimé qu’il me parle de son enfance, de son adolescence, de sa guerre, de sa captivité en Autriche, de tant d’autres choses de sa vie…

Il m’a regardé, comme perdu, et m’a refusé cette confession. J’ai compris. Il savait sa mort prochaine. Car chacun d’entre nous, s’il en a le loisir, prend soudainement conscience du compte à rebours, le moment venu, je crois.

J’ai dû être maladroit. Nous étions toujours maladroits, lui et moi. Sur le coup, je n’ai pas saisi les raisons de ce refus. J’ai simplement réalisé que la porte s’était définitivement fermée. Une immense tristesse m’a accablé. Pourquoi ce dialogue nous a-t-il été refusé ?

Maintenant, je sais. Avec l’âge, il est des choses auxquelles on accède, que l’on ne pouvait entrevoir plus jeune. Bien entendu, je ne lui en ai jamais voulu. Mais quel désespoir que cette fin de non-recevoir ! Mais pour lui ? Quel déchirement ce dut être de me refuser cette complicité ! Car je ne doute pas qu’il eût envie de se confier à son fils. Mais si cela avait pu se faire, ce se serait fait bien avant.

J’ai songé à tous ces souvenirs qu’il tenait enfermés dans la boîte de son crâne, précieux à mes yeux, certes, mais moins que le fait de les livrer à son garçon. J’ai songé à la mort qui approchait à grands pas, avec sa grande faux. Je le lisais dans ses yeux. Il était trop tard. J’aurais dû m’éveiller plus tôt. Je n’ai pas fait, il est vrai, ce qu’il fallait pour rendre ce dialogue possible.

Il ne sert à rien, aujourd’hui, de regretter quoi que ce soit. Les choses ont été ainsi. C’est tout. Au terme d’une vie que je suppose emplie de joies et de peines, ce qui est le lot de toutes et de tous ici-bas, il a plié bagage.

Je me demande, si près du grand départ, si on n’est pas déjà détaché des mortels. Un peu comme si on ne procédait déjà plus entièrement du monde des humains. Fut-il désespéré, angoissé, paniqué, ou au contraire serein, apaisé ?... Mystère. La morphine l’a plongé dans l’inconscience, du moins je le crois, et il est parti dans cet état léthargique, sans avoir repris connaissance. J’étais là. Je l’ai confié dans un texte que vous trouverez dans ma rubrique Poésie.

 

J’étais là aussi, au chevet de ma mère. Son départ fut poignant.

Alerté par mon frère, j’étais venu auprès d’elle. Poussant la porte de sa chambre, dans la petite maison de retraite qui fut sa dernière demeure terrestre, je la trouvai très oppressée, respirant avec peine, fort agitée, à demi inconsciente, semblait-il. Visiblement, elle luttait. Mais cette lutte était inégale. Elle menait seule son dernier combat dans cette petite chambre.

Je n’avais fait aucun bruit en entrant. Elle a décelé ma présence, s’est retournée vers moi. M’a-t-elle vu ? Je n’en suis pas bien sûr. Mais elle savait que c’était moi, à son côté. Je me suis assis, et lui ai pris la main.

Mais cette agitation semblait trouver son paroxysme. Cambrée en arrière, autant que son état lui en laissait la possibilité, tout son être était tendu vers moi, dans une prière terrible : bouche ouverte, elle tentait de me livrer un dernier message, le répétant obstinément de façon douloureuse. Aucun son audible ne sortait de sa bouche : je tentai de l’apaiser. J’approchai mon oreille de sa bouche pour recueillir sa dernière parole. Je dus tendre toute ma volonté et déployer une grande attention pour deviner ce qu’elle cherchait à me dire, de si important, à ce moment qu’elle savait ultime, ayant elle aussi pris la conscience exacte des instants qui lui restaient à vivre (mais est-ce vivre encore que tenir ainsi ?...).

Soudain, elle produisit un effort plus intense encore, et dans ces quelques syllabes hachées, arrachées de force à son âme, je compris soudain son message, et c’était une question, la plus terrible que l’on puisse entendre de la bouche d’un mourant, en l’occurrence ma mère : « Y’a plus rien à faire ?... »

Quel coup de poignard dans mon cœur !

Alors, pris d’une pitié immense – mentir me fut impossible – je murmurai, mon cœur débordant d’une tendresse infinie, car trouvant la force et le courage de ma réponse, j’avais trouvé en même temps la paix :

« Je crois bien, maman…Mais je suis là. Repose-toi, maintenant…Je t’aime… »

Elle se détendit. Je déposai un baiser sur sa joue, et m’assis sur la chaise, tout près du lit où elle reposait, désormais apaisée, ayant accepté son départ, et je gardai longtemps sa main dans la mienne.

Moi qui ne savais pas faire cela, j’ai prié, je crois. En tout cas, j’ai appelé en moi une paix que je savais venir de quelque part au-dessus de ma tête, du haut vers moi. Et elle est venue, par ondes puissantes et régulières, complètement perceptible. Et je l’ai faite circuler à travers mon corps jusqu’à ma main, la donnant à ma mère, qui la recevait, je le sentais bien, car de minute en minute, je la sentais abandonnée à ce dernier sacrifice : accepter de perdre sa vie. Elle était prête.

Longtemps nous sommes restés ainsi, dans cette étrange et unique communion.

C’est l’infirmière qui me sortit de cet état de transe calme, qui me tenait si éloigné de tout le monde terrestre. Avec une grande douceur. A regret, je dus retirer la main de maman de la mienne, coupant le lien qui la tenait encore en vie. Que pouvais-je faire d’autre ? Elle n’était plus là, même si elle n’était pas encore ailleurs…

Je repris la route pour rentrer chez moi. A mon arrivée, le téléphone sonnait : mon frère m’annonçait le décès de maman.