À travers Champs N°27

Samedi 27 avril 2013

 

De la formation des maîtres

 

J’ai été instituteur toute ma vie. Mon père aussi. Accessoirement, mes filles aussi. Serait-ce héréditaire ?...

J’entendais un débat sur une radio, l’autre jour, à propos de la formation des maîtres.

Mais je n’ai pas compris ce que l’on veut établir pour cela.

 

Est-il vrai que l’on mettrait des jeunes enseignants devant des élèves sans aucune formation pédagogique ?... Dans des établissements jugés difficiles ?...C’est ce que je me suis laissé dire…

Certes, j’ai connu cette pratique au cours de ma carrière : je la croyais révolue.

Or, on parle de rétablir une formation de un an aux métiers de l’enseignement. On ne peut que s’en réjouir.

 

Je n’entrerai pas dans le débat. Je veux juste apporter quelques éléments à votre réflexion. Car enfin, tout un chacun n’est pas forcément dans les arcanes de l’enseignement.

 

Les derniers élèves apprentis instituteurs que j’ai connus en stages dans les écoles (il y a peut-être quinze ans de cela), suaient sang et eau pour ingurgiter des tas de notions complexes, abstraites, auxquelles je ne comprenais goutte. Sans doute à cause du jargon, ou parce que j’étais trop vieux…

J’ai vu un jour l’un de ces jeunes maltraité d’une façon éhontée par l’un de ses profs d’IUFM (Institut de Formation des Maîtres, ex-Ecoles Normales d’Instituteurs(trices) : eh oui ! on change le nom, mais les temps aussi changent, vous allez voir…). Je le connaissais fort peu. Juste assez pour affirmer qu’il débordait d’une volonté évidente de bien faire, de suivre les conseils (compliqués) de ses formateurs, qu’il aimait déjà ce métier ingrat, et qu’il ne méritait pas qu’on le rabaisse de la sorte. C’était injuste. C’était stupide. Mais c’était généralisé, paraît-il…Bref, je ne saurais dire quel était le temps de formation dans ces années-là, ni les idées qui y présidaient…

 

Lorsque je suis entré à l’Ecole Normale (La Rochelle), en 1964, c’était pour quatre ans. Les trois premières années correspondaient aux classes de lycée préparant le bac : 2de, 1ère, terminale. On y bénéficiait strictement du même enseignement qu’en lycée : le programme était le même. On préparait le bac. C’est tout. Après le bac seulement, l’Ecole Normale jouait enfin son rôle spécifique de formation. Là, notre temps d’enseignement comprenait alternativement des cours spécifiques (pédagogie, morale professionnelle de l’Instituteur, psychologie de l’enfant, conseils pratiques…) et des stages en situation, dans des classes dites « d’application », c'est-à-dire que les maîtres de ces classes-là avaient été formés spécialement, en plus de leur métier d’instituteur, pour apprendre le métier aux élèves-maîtres(esses) qu’ils recevaient tout au long de l’année dans leur classe.

Pour résumer, mes camarades et moi avons bénéficié d’une année de formation spécifique, sanctionnée par un CAP (Certificat d’Aptitude Professionnelle).

C’était déjà pas si mal.

 

Mon père était allé, en son temps, dans le même établissement (à La Rochelle également). Voici comment s’était déroulée sa scolarité à l’Ecole Normale.

Il y était entré pour trois ans. C’était peu d’années avant la guerre. Il ne se souvenait pas que le bac ait eu la moindre importance pour lui et ses camarades.

La première année, outre les cours d’enseignement général en mathématique, français, sciences, histoire, géographie…, déjà, les prémices de l’art d’enseigner leur étaient données. Ils allaient visiter des classes. En observateurs.

La deuxième année, la part de l’enseignement général s’équilibrait avec la pédagogie ; ils commençaient les premiers stages courts, en classes d’application.

Peu à peu fréquence et durée de ces séjours en situation, où ils menaient en autonomie leurs premières leçons devant les élèves (avec le secours et sous l’œil vigilant du maître d’application), augmentaient jusqu’à aboutir, continuant cette progression régulière, à des stages longs, la troisième année, pendant lesquels on leur confiait totalement la classe sur une durée de un mois. Suite de quoi, après un examen de passage, le fameux CAP, ils étaient lâchés dans la nature, je veux dire, dans la campagne ou dans les villes, avec pour mission de faire la classe aux élèves de la république.


Somme toute, mon père et ses camarades avaient bénéficié de trois années de formation…

 

 

C’est tout.



 

À travers Champs N°28

Dimanche 28 avril 2013

 

De la corruption

 

Le scandale du Mediator

 

 27 avril 2013 :

« Moins d'un mois avant l'ouverture du procès du Médiator à Nanterre, on apprend que deux personnes, une ancienne sénatrice UMP Marie-Thérèse Hermange et le numéro deux de Jacques Servier, Jean-Philippe Seta, ont été mis en examen samedi. Ils sont soupçonnés d'être intervenus pour qu'un rapport du Sénat minimise la responsabilité des Laboratoires Servier dans l'affaire du Médiator. » [France Info]

 

 

Le scandale de l’amiante

[cet article provient de Wikipedia : c’est un historique]

 

Création du CPA

En 1982, l'Association française de l'amiante, qui regroupe les industriels de l'amiante, crée avec l'INRS, le Comité permanent amiante. Officiellement, la paternité en revient à Dominique Moyen, directeur général de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) en réalité elle revient à Marcel Valtat, créateur du CES, (Communications économiques et sociales), 10, avenue de Messine à Paris.

Ainsi, à partir de 1982, l'AFA (Association Française de l’amiante) versera plus de 600 000 F au CES pour la création et le fonctionnement de ce Comité.

 

Composition du CPA

Ce comité, groupe informel, sans pouvoir (officiel) et sans statuts, créé par Dominique Moyen, directeur général de l'Institut national de recherche et de sécurité (association loi 1901), va de fait diriger la politique sanitaire française pour l'amiante.

Ce comité réunira, sur invitation du CPA, 10 avenue de Messine à Paris :

des scientifiques2, réunis sous le vocable de : Groupe de travail scientifique. Il comprenait entre autres :

 

le Pr Etienne Fournier, toxicologue, Membre de l'Académie de médecine

le Pr Jean Bignon et son successeur le Pr Patrick Brochard qui dira par la suite s'être fait piéger : « Nous nous sommes faits rouler. »1

des industriels représentant les grandes compagnies amiantogènes, citons :

Ferrodo

Valeo

Eternit

EDF, la SNCF...

les chantiers navals, les avionneurs, les fabricants de véhicules automobiles...

des hauts fonctionnaires de cinq ministères différents :

du ministère du Travail : la DRT

du ministère de la Santé : la DGS

du ministère de l'Environnement...

des représentants d'organismes publics comme l'INC ou la Sécurité sociale.

des syndicalistes (CFDT, CGT...) ; FO cependant refusera d'y participer1.

Le fonctionnement du Comité

Son action en France

 

Ce comité est un montage réalisé, d'une part, par les cabinets CES (Communications économiques et sociales) et Europaxis et d'autre part par l'Association française de l'amiante1.

Son financement sera entièrement dépendant des industries qui paieront entre autres tous les frais de déplacement. Par exemple (in Rapport du Sénat) en 1994, l'association française de l'amiante versera 700 000 F au cabinet Europaxis.

Les séances du CPA réuniront en moyenne une vingtaine de personnes1.

Outre ces personnalités, il comprendra aussi des délégués des principaux syndicats qui défendront longtemps l'usage de l'amiante au nom de la préservation de l'emploi.

Le CPA se réunira, en réunion plénière ou en groupes de travail, 98 fois entre le 20 septembre 1982 (date de son ouverture) et le 25 septembre 1995 (date de sa fermeture) jour où les représentants des différents ministères ainsi que ceux des organisations syndicales indiquent leur décision de ne plus siéger1.

Pendant douze ans, la politique de Santé Publique en matière d'amiante est entièrement confiée à ce comité de lobbying.

En raison du « scandale de l'amiante » français, le gouvernement d'Alain Juppé a dissout en 1995, ce comité, a interdit toutes les utilisations de l'amiante et a lancé de très coûteuses opérations de désamiantage dans des bâtiments publics (en particulier sur le campus de Jussieu).

 

Action internationale du CPA

Quand en 1986, les États-Unis envisagent (par le biais des instances internationales : BIT, Environmental Protection Agency) d'interdire l'usage de l'amiante, le représentant français  intervient pour émettre un avis négatif, fondé sur un rapport du Comité permanent amiante. Ci-après, compte rendu à ce sujet de la Réunion du CPA du mercredi 26 mars 1986 :

"2. Proposition de bannissement de l'amiante par lEnvironmental Protection Agency, EPA. 2. 1. …/…De l'avis des scientifiques, ce document ne peut être considéré comme une étude reposant sur des données scientifiques indiscutables… C'est un rapport incomplet sur les connaissances actuelles des pathologies liées à l'amiante qui tire essentiellement sa valeur de son label "E.P.A."

…/…

En 1991, quand, poussée par l'Allemagne, la Communauté européenne s'interroge sur une interdiction pure et simple de l'amiante, le CPA procède de nouveau à un intense lobbying dans les couloirs de la Commission européenne afin d'empêcher toute prohibition.

Il sera appuyé dans cette action par le gouvernement du Québec (principal producteur d'amiante au niveau mondial).

 

Ainsi, des gens sont morts, par la faute de criminels qui savaient très bien les risques que faisait courir l’amiante. Alors qu’un peu partout il était interdit, en France, ce fameux CPA se battait bec et ongles afin d’en prolonger les ventes…en toute connaissance de cause…

Vous remarquerez comment les plus hauts fonctionnaires de l’Etat ont été corrompus, verrouillant très efficacement en haut lieu les informations et décisions éventuelles qui risquaient de nuire aux intérêts de ce puissant groupe.

 

La méthode ayant fait ses preuves, Servier nous fait un copier-coller en corrompant une Sénatrice qui falsifie les rapports qui dénoncent la dangerosité de ce médicament. Là encore, des gens sont morts par la faute de criminels qui savaient très bien les risques qu’ils faisaient encourir à la population ingérant ces pilules, et qui s’en souciaient comme d’une guigne. Dans ce cas, encore, comme toujours, le profit de quelques-uns passe avant la vie de leurs semblables.

 

Pour eux, votre vie ne vaut rien.

 

Voilà au moins deux exemples édifiants, sur la valeur de votre vie, citoyennes et citoyens, aux yeux de  ces…(j’allais dire quelque chose comme  rapaces, ou  requins, mais ce serait insultant pour ces animaux, qui n’ont rien de pervers : il faut qu’ils se nourrissent, eux, et c’est tout), pour ces criminels, donc.

 

Cherchez bien dans votre mémoire, n’en trouverez-vous aucun autre ? ...

.

Savez-vous que les grands céréaliers de ce monde, qui contrôlent le marché du grain dans le monde, bloquent la distribution de ces stocks, pour en faire monter les prix, afin d’en retirer un maximum de profit, quand des milliers d’enfants, de femmes et d’hommes meurent de faim chaque jour en Afrique ?

 

Voulez-vous un autre exemple de ces comportements criminels ?…

 

Il y a quelques années, j’avais pu voir un documentaire à la télé, assez ahurissant. Voici.

Avant que les USA n’y fourrent leur nez, les différents Etats du continent sud-américain suivaient leurs destins propres.

Sous Nixon, les Américains du Nord ont mené une opération de vaste envergure, visant tout le continent voisin du sud :

1°) Déstabilisation des différents États ;

2°) Corruption des différents appareils gouvernementaux ;

3°) Mise en place à leur tête de dirigeants à la solde des États Unis ;

4°) Remplacement de la culture du maïs, traditionnellement aliment de base des sud-américains, par de la coca, afin d’alimenter directement en drogue le marché américain du nord, qui l’écoulait ensuite vers l’Europe, entre autres continents ;

5°) Vente forcée du maïs produit sur le continent du nord à son voisin du sud, aux cours imposés par celui-ci.

 

Instaurant la corruption comme levier de bascule, ceux qui détiennent les richesses de la planète, et le pouvoir, donc, n’ont aucun scrupule à agir ainsi : je ne puis m’y résoudre.

 

Je vous renvoie encore une fois au livre de Jean ZIEGLER, cité dans ma bibliothèque : c’est édifiant !

 

Jusqu’à quand nous laisserons-nous ainsi traités de la sorte ?

J’ai soixante-cinq ans. Comme je l’étais à vingt ans, je suis toujours révolté par l’injustice. Vraiment. Il semble qu’il n’y ait aucune limite à ces conduites inqualifiables de quelques-uns, qui imposent une loi inhumaine, indigne, au reste de la planète.

Hélas ! Je n’ai pas de solution à vous proposer. D’ailleurs, s’il y avait une solution, depuis le temps que ça dure, ça se saurait.

Mais s’il existait une solution simplissime, mais que personne n’aurait le courage d’appliquer, pour des raisons diverses ?...

Je me fous de ceux qui en riront : mais si on avait simplement un autre regard sur l’autre et sur soi-même ?...

Je sais, je rêve…Rien que de voir au niveau le plus élémentaire comment nous nous comportons vis-à-vis de nos semblables, je comprends que les rieurs ont beau jeu de rire…

Hélas ! Cent fois hélas !…

Je crains, en effet, que ceux-ci n’aient raison. Alors, résignez-vous.

Pour ma part, je suis de plus en plus révolté par ces comportements, qui me semblent avoir pris une dimension planétaire – ça, c’est nouveau – et qui, je le crains, ne nous mènent qu’à un chaos de plus en plus universel.

L’humanité saura-t-elle relever ce défi ?...Il le faudra, sinon, elle court à sa perte.

Ce spectacle me déchire au plus haut point. Honte à ces misérables, qui sont légion, et nous mènent à la mort…

Au fait, Poutine et sa bande vous semblent-ils meilleurs ?...

Allez ! Faites le tour de notre bonne vieille terre, tant qu’on peut : voyez-vous une oasis en ce monde en folie ?...

Mon Dieu ! Ayez pitié de nous !

Et, me direz-vous : « S’il n’existait pas ?... »

En ce cas, je n’ai plus guère d’espoir…

NB : La photo d'illustration n'est pas celle de cette femme dont je vous conte l'histoire ci-après.

Mardi 30 avril 2013

 

Madame Braud

(Souvenir d'enfance)

 

Étant enfant, il me fallait une fois par semaine aller chercher des œufs chez de vieilles gens qui habitaient un hameau situé à deux ou trois kilomètres du village.

J'aimais beaucoup cette promenade. Je la faisais, parfois accompagné de mon aîné, parfois de mon plus jeune frère encore dans sa poussette, le plus souvent seul. J'allais à pied ou à bicyclette.

 

Il fallait d'abord traverser le bourg par la rue principale, puis bifurquer sur la gauche, par cette petite rue en pente, toujours sombre et humide dans l'ombre nord de l'église. Là habitait mon copain Billaud. Alain de son prénom. Nous nous partagions les premières places en classe, je le dis sans vanité, ainsi que les rigolades et les punitions. Je passais ensuite devant chez Goulard, un autre garnement de notre âge avec lequel nous avions fabriqué un jour un radeau qui devait flotter vaillamment sur la Courante, le ruisseau qui glougloutait l'hiver derrière chez lui.

Et puis, c'étaient les champs. Ma solitude préférée au milieu de ma compagne préférée, la nature. Elle m'offrait toujours son paysage nouveau et coloré, ô combien captivant, ce spectacle sans cesse renouvelé au fil des pages du calendrier et des saisons. J'y vivais intensément, y goûtais la moindre palpitation avec émoi, parce que j'y devenais moi-même un de ses éléments, bien minime sans doute, mais certainement très présent, conscient de cette vie, et émerveillé par elle.

Le frais printemps découvrait les bourgeons, les pallis1 verdissantes, les champs verdoyants, les premiers coucous dans l'herbe tendre et folle des talus, et je savais un endroit particulier où croissaient les premières violettes. Et ce m'était une joie de quitter la route, de sauter d'un bond le ruisseau et de m'enfoncer dans les broussailles pour y découvrir dans l'humidité des mousses, parmi les frêles étoiles d'or des ficaires, le petit œil pâle et parfumé de la violette…

Je l'avais attendue pendant des mois, guettant les signes imperceptibles de sa venue dans les nuages des giboulées, dans la tiédeur timide d'un rayon de soleil ou d'un souffle encore aigre du vent. Et quelle joie aussi de ramener ce minuscule trésor à la maison pour l'offrir à maman!…

La saison avançant, elle déroulait, sous la caresse de la brise, ses champs ondulants d'orges barbus, d'avoines folles et bruissantes, de blés jaunes et de coquelicots fragiles. Les haies devenaient d'un vert plus sombre. Je l'aimais moins que celui si tendre du printemps. Je suivais des yeux les nuages, les alouettes devenant invisibles dans l'azur, j'écoutais leurs trilles emplissant le champ du ciel. Il me semblait entendre même les cris des mulots et des bêtes invisibles qui partout fouinaient, trottaient, fuyaient ou se parlaient parmi les herbes de la terre. Un gros ver traversant mon chemin m'arrêtait de longues minutes. Ou bien une couleuvre, ou la trace argentée d'un escargot…

J'inspectais les souches, le dessous des pierres, les troncs creux. Toujours il s'y trouvait quelque bête nouvelle, étonnante, apeurée. Quelque coléoptère noir, rouge, jaune ou orangé. Quelque végétal curieux. Toujours, les plaisirs de mes découvertes prolongeaient mon bonheur de respirer, d'exister, en sentant cette fourmillante multitude des vies m'environner de toutes parts.

Puis venait le temps de l'automne. Il étalait les taches jaunes et oranges et rousses de toutes les feuilles que la pluie plaquait sur le sol. Le vent froid qui soufflait en bourrasques les arrachait par dizaines, elles tourbillonnaient dans une course éperdue avant de rejoindre les autres dans la boue ou les garrets2. Et c'était froid et humide et gris, et c'était triste pour le petit enfant que j'étais. Il fallait revêtir le capuchon et enfiler les bottes. Je pataugeais dans les flaques, fragments de ciel à l'envers.

L'hiver, les yeux pleuraient sous la bise. Les arbres hérissaient les baguettes de leurs branches dépouillées, reculant l'horizon, un autre univers…J'y cherchais, les jours de grand froid, les délicates créations du givre à la pointe des herbes, sur les toiles des araignées, et aux flaques gelées. J'y amorçais, si l'une d'elles le permettait, une glissade.

Le chemin montait après la sortie du village. Au sommet de ce coteau se trouvait une croisée de chemins que j'empruntais souvent les jeudis dans mes jeux ou vagabondages. A droite, c'était le blockhaus, avec ses souterrains interdits. Puis "la base", vagues constructions militaires de l'après-guerre. Le chemin descendait ensuite la colline et tournait à droite, bordé d'un petit bois - c'est là que poussaient mes violettes - , virait à gauche, puis redescendait à nouveau au milieu des champs et des haies vives jusqu'à ce hameau.

 *

*   *

La maison de Mme Braud était la première ferme au bas de la côte, à main droite. Une cour en pente, ouverte aux vents du nord, carrée et bordée de bâtiments anciens. A l'ouest, le hangar abritait toujours de vieux instruments aratoires rouillés : des charrues, un semoir, un râteau-faneur. Son large siège métallique à trous, haut perché, surmontait la rangée de queues de coqs alignées, ces drôles de dents pour ramasser le foin. L'étable, sur laquelle s'appuyait le hangar, lui était perpendiculaire et formait le côté sud de la cour. C'est par là que nous entrions. A l'est était la maison d'habitation.

 

J'étais toujours très bien accueilli par cette bonne vieille aux yeux larmoyants sur ses pommettes rouges. Son visage ridé rayonnait de bonté sous ses cheveux blancs un peu jaunis, presque toujours serrés sous un fichu noir. Noirs aussi étaient ses habits : le gilet de laine sur un sarrau propre, la jupe, les bas de laine dans ses sabots.

A cette époque les deuils n'avaient épargné aucune famille, et l'on gardait longtemps, avec la tradition, le souvenir des morts.

Ce visage souriant ne masquait-il pas la souffrance? Je me le demande maintenant. Enfant, comment l'aurais-je perçu?

Les pauvres mains déformées par les rhumatismes et les durs labeurs d'une vie à la ferme me paraissaient énormes, et je leur en voulais d'être ainsi. Je les aurais voulues souples, agiles et belles, comme celles des enfants, pour qu'elle ne souffre pas de cette difformité. Je l'ai vue s'enfoncer malgré elle dans la vieillesse comme je grandissais, petit à petit. J'avais vaguement conscience de ces choses. Mais je l'aimais bien, cette vieille femme.…

Nous parlions, sans doute : dans l'étable basse et sombre à peu près déserte, il ne devait y avoir qu'une vache, vieille et bonne comme sa maîtresse, qui disparut un jour. Et ce fut comme une pierre qu'on enlève à un vieux mur, une de plus. Et j'en fus attristé soudain. C'est ici que j'ai dû prendre conscience de la fuite du temps. Mais aussi de la bonté, de la chaleur humaine. Pauvre femme! Elle avait un mari. Je l'ai rarement vu. Aux champs, le plus souvent, sans doute.

La cuisine était petite, claire et propre. La fenêtre basse, au sud, lui donnait toute sa vie en l'éclairant dans sa longueur. Une table recouverte d'une toile cirée lisse qui brillait, comme vernissée, et cependant usée par endroits, s'appuyait contre la cloison. En face, la vieille cuisinière à bois, surmontée de son gros tuyau en peinture laquée blanche qui se coudait pour disparaître dans le manteau de la cheminée qu'elle jouxtait. Très ancienne, celle-ci, large et profonde, supportait quelques objets vivants : le moulin à café de bois cubique coiffé de son dôme hémisphérique en fer, le bouton de son tiroir, et sa poignée arquée sur le côté; des pots de faïence rangés par taille décroissante : farine, sucre, café, thé, poivre, épices. Au mur l'almanach du facteur. Adossée à la cloison du fond, une vieille et haute horloge qui balance son tic-tac…Le sol en ciment, usé. Les chaises. Peu de choses, en somme.

Elle allait chercher son grand panier et, de la paille, sortait les gros œufs accompagnés d'un examen minutieux et de ses commentaires. Que ses mains semblaient malhabiles! Voilà bien qui me navrait! Nous faisions la causette un long moment. Puis je repartais, heureux.

 

Bien plus tard, je devais être au lycée à l'époque, j'appris que son mari était mort, de sa belle mort. Je le sais, elle porta le deuil un an, le temps convenable.

Puis elle se remaria avec le père Brunet, un fort gaillard à la tête carrée, aux sourcils broussailleux, aux mains de battoirs trois fois grandes comme les miennes et calleuses comme de la pierre. Cela fit jaser dans le bourg. C'est ainsi que j'appris que dans sa jeunesse, elle avait été contrainte d'épouser un homme qu'elle n'aimait pas. Lui, l'avait-il aimée?…Force lui avait été de vivre à ses côtés toute sa vie durant, de lui préparer son fricot et son linge, de lui parler, de lui sourire…C'était pourtant le père Brunet qu'elle aurait choisi…En ce temps-là, les filles ne choisissaient pas, elles obéissaient. Ainsi, après une vie de soumission, de travail honnête, de silence, elle avait vieilli. Elle ne s'était pas aigrie. Et puis, sagement, elle avait attendu que le deuil fût passé pour retrouver son amour de jeunesse. Lui veuf aussi de son côté, leurs enfants sortis de l'auberge, comme on dit, ils pouvaient enfin se donner librement l'un à l'autre.

 

Il avait quatre-vingt-trois ans quand ils se marièrent. Elle, soixante-dix, je crois. Il déménagea ses meubles et vint habiter chez elle. Sans faire de bruit. Il n'était pas bavard, ce bonhomme.

 

Ils vécurent six mois ensemble. Puis il s'éteignit auprès d'elle. Elle ne tarda pas à le suivre. Je ne dis rien lorsque mon père annonça ces nouvelles. Je pensai que ce n'était pas juste.

 

Six mois de bonheur, c'est si court…

 


1Pallis : haie

2Garrets : champs labourés

À travers Champs N°30

Dimanche 5 mai 2013

 

Le monde change

 

Je réalise combien cette époque est différente de ce que j’ai vécu jusqu’à présent.

 

Je me souviens que je courais hors de la maison pour voir un avion dès que j’en entendais le bruit. Je rêvais sur un livre d’astronautique où il n’était question que d’envoyer des aéronefs qui retombaient sur la terre, parce qu’on n’avait pas encore trouvé le moyen d’échapper à la pesanteur.

Il n’y avait pas de réfrigérateur, mais des glacières : un camion passait de temps en temps dans les campagnes pour nous livrer d’énormes pains de glace, afin d’assurer la conservation de nos aliments.

Ma mère faisait sa lessive à la main, comme tout le monde en ce temps-là, selon un rite bien établi : se lever dès potron-minet pour mettre l’eau de la marmite en chauffe, frotter énergiquement au savon de Marseille et à la brosse à chiendent les pièces de linge sale sur une planche plongée dans la lessive bouillante, rincer, essorer en tordant le linge, le poser sur un banc de linge (grand tréteau), l’étendre sur le fil du jardin, à la belle saison, et, l’hiver, sur un séchoir qui montait et descendait du plafond par un système de cordes et de poulies, qu’avait bâti mon grand-père (le linge pendait au-dessus de nos têtes, quand nous mangions la soupe, le soir, souvent à la lueur de la lampe à pétrole…).

L’hiver chacun montait sa brique ou sa bouillotte (la brique était une brique de terre réfractaire entreposée toute la journée dans le tiroir sous la cuisinière, ou posée dans son four, afin d’être chaude pour le moment du coucher).

Il y avait souvent des pannes d’électricité : nous montions alors à l’étage pour regagner nos chambres et nos lits glacés avec la brique dans une main, la bougie dans l’autre. Le matin, le givre avait dessiné de merveilleux dessins sur les vitres de la chambre.

Il n’y avait pas de chauffage. Le courant électrique ne servait qu’à éclairer, et encore ! Quelle lumière parcimonieuse que celle d’une ampoule misérable, qui éclairait mieux que la lampe à pétrole, c’est vrai, mais enfin, comme disait ma mère, qui ne permettait pas même d’y voir la moitié de sa misère !

Enfant, j’allais chercher l’eau au puits qui était commun avec nos voisins. Il fallait pomper, ou tirer l’eau au seau. Peu de voitures ou de véhicules à moteur, dans ma tendre enfance. Des chevaux et des charrettes. Certains commerçants possédaient un camion : l’épicier ; par exemple. Mais la plupart, qui faisaient la chine, se déplaçaient à vélo ou en carriole tirée par un cheval. Le vendeur de piballes[1] avait installé une grande caisse en bois sur son porte-bagage, derrière la selle. La marchande de « sans sel » (les sardines fraîchement pêchées : nous habitions près de La Rochelle, alors port de pêche…) avait installé une remorque derrière sa bicyclette. Le rémouleur poussait sa charrette à bras. Le marchand de peaux de lapin passait en carriole tirée par un cheval. Il soufflait dans sa corne, pour attirer l’attention des ménagères, puis criait sa chansonnette : « Ahiiiiiiii…et peaux d’lapins !... », toujours la même, sur cinq notes, que je connaissais par cœur (je l’ai encore dans la tête).

J’ai vu la première machine à laver, avec deux rouleaux extérieurs et manivelle pour essorer le linge !

Mon père devait bien être le seul dans le village à posséder un téléphone : boîte cubique de bois avec poignée de micro en chrome et écouteur séparés. Parce qu’il était secrétaire de Mairie et Directeur d’Ecole, mais pas à titre personnel.

Ma mère a découvert la fabrication des yaourts, mais elle les mettait sous l’édredon. Un jour, après une visite à la Foire Exposition de La Rochelle, ayant été émerveillée par le miracle de la yaourtière électrique, elle s’en acheta une. Elle commandait les ferments, qui lui arrivaient à intervalles réguliers par la poste.

Dans certaines banlieues ouvrières de La Rochelle, des gens vivaient dans des maisons de bois. Il y avait aussi un quartier bien misérable, qui n’était autre qu’un bidonville avant l’heure.

 

Eh bien, justement, je mesure les progrès extraordinaires réalisés dans tant de domaines, si nombreux qu’il serait très fastidieux de les énumérer, et j’en reste émerveillé, dans un sens. Amer, aussi, vous vous doutez bien pourquoi.

 

Ainsi, j’entends qu’il existe un sixième continent, quelque part dans un coin écarté du Pacifique : le continent Plastique. Plusieurs, en fait : l’Atlantique a le sien, l’Océan Indien aussi…Et ça, c’est terrible. Fragmenté en microparticules, ce plastique entre dans la chaîne alimentaire et pénètre dans tous les organismes vivants, y compris le nôtre, et c’est un poison. Mon ami Jean-Claude m’avait transmis un film terrible sur une de ces îles du Pacifique envahie de plastiques, qui tuaient impitoyablement les oiseaux de mer : affreux spectacle que celui de l’agonie de ces merveilleux oiseaux !

 

À côté de cela, et pour donner une note positive, j’apprends qu’on a inventé des « murs d’algue pour des bâtiments plus verts » !

Génial ! On double le mur d’un bâtiment d’une espèce d’aquarium vertical, qui contient de l‘eau et des microalgues. Que des avantages ! Ces organismes se multiplient très vite, produisant une biomasse qu’on prélève et qui, séchée, est valorisée.

Entre cette couche liquide et le mur solide ont lieu des échanges thermiques, qui contribuent à régulariser la température à l’intérieur : plus besoin de la clim l’été, et moins de chauffage l’hiver (l’aquarium mural jouant le rôle de serre) D’où baisse de facture énergétique !

Des algues ainsi cultivées, on extrait de l’huile, avec laquelle on produit de la chaleur ou de l’électricité. Ce système se révèle plus rentable que les panneaux photovoltaïques de 30% ! Et c’est sans nul doute un isolant phonique efficace.

Il suffisait d’y penser. Quand je vous disais, l’autre jour, qu’il y a tout de même des bonnes nouvelles.

 

Le triste, dans l’affaire, c’est qu’il est des chercheurs qui cogitent pour le bien de l’humanité, tandis qu’à leurs côtés, il en est d’autres qui consacrent leur énergie intellectuelle à inventer ou perfectionner des armes de plus en plus sophistiquées et coûteuses (en trésorerie comme en vies humaines). Que notre humanité est incompréhensible ! Elle crée des merveilles, et, en même temps, des horreurs. Elle génère des saints, et des démons…

 

Néanmoins, je mesure pleinement l’étendue des changements que j’ai vécus au cours de ma vie, et me sens, parfois, un peu déboussolé…

Je ne saurais dire vers quel monde se dirige notre humanité ; j’ai de plus en plus de peine à conserver une vision de synthèse de tout ce qui évolue actuellement. Tant d’inventions dans tous les domaines, qui semblent aller dans le bon sens. Qui semblent, de prime abord…et qui se révèlent nocifs ensuite : témoin le plastique ou la voiture…

Je ne sais pas où va ce monde…



[1] Civelles



Mardi 7 mai 2013

En guise d'introduction au texte suivant :

Je réalisai ce soir, sur le chemin de Tic Tac, en voyant un vol d'hirondelles, combien leur présence me manque  cette année. Qu'il est loin le temps où mes petites amies tournoyaient en grand nombre au-dessus de ma tête ! Cela m'attrista profondément. Petit à petit, l'espèce humaine fait le vide autour d'elle...Pourtant, qu'il est bon de sentir la vie à la pointe des herbes que la brise du soir agite !...

Je vous offre donc ce souvenir, à propos d'hirondelles. J'ai eu la chance insigne de partager des instants merveilleux avec elles. Je vous le livre. Puis, un autre jour, j'évoquerai une autre histoire très émouvante à leur propos, une histoire vraie, également, qui m'a été relatée par une vieille dame, il y a quelques années.

Je dédie ce texte à mes amies les hirondelles. Car je crains que bientôt, on ne les voie plus, à jamais...

Texte mis en ligne le 07/05/2013

 

Les hirondelles

 

J'ai toujours aimé les hirondelles.

 

Elles ont enchanté mon enfance, ravi mon adolescence, et surpris l'adulte que je suis devenu.

Et de la plus belle manière. Et plus j'y repense, plus je me dis que j'ai vraiment eu une chance inouïe, ce matin-là, d'assister à la scène que je vais vous narrer.

 

Mais laissez-moi auparavant me souvenir de mon histoire d'amour avec ces petites bêtes.

 

*

* *

 

Tout petit, je les découvris dans le jardin, celui dont je vous ai parlé dans ce poème que je lui ai consacré. Le paradis. L'éden au printemps.

Le grand amandier blanc n'attendait pas que les frimas de l'hiver fussent passés. Il tenait à être le premier à revêtir sa somptueuse robe de mariée : il le payait bien souvent d'une stérilité passagère. Puis les pêchers roses, les cerisiers, les pommiers et les poiriers lui succédaient. Avec quelle délectation, chaque année, je retrouvais (et retrouve toujours avec la même tendresse ) les indices du renouveau.

Les jonquilles, les narcisses et les tulipes illuminaient les plates-bandes, les tendres bourgeons, gorgés de sève, explosaient soudain de milles pointes vertes, les moineaux se querellaient à qui mieux mieux sous les toits, les merles sifflaient dans la pureté des averses, et l'air tiédi dilatait mes narines du bonheur des senteurs de violettes et des mille autres fleurs épanouies.

C'était, après le long hiver qui avait bien souvent dessiné sa fantasmagorie de givre sur les fenêtres de ma chambre, un tel flux de vie, une telle fête autour de moi, qu'il m'était impossible de ne pas sentir mon cœur bouleversé d'émotion.

 

Dans ce manège enchanté survenaient alors mes petites amies venues du ciel. Je les avais espérées chaque jour, guettées dans les nuages gris pommelés des ciels d'averses, dans la pureté de l'azur, dans la brise odorante et dans la symphonie de toute la gent ailée réveillée.

 

Après les sempiternels et tristes croassements des corbeaux en deuil sur la plaine blanche ou dans la grisaille des bois décharnés, cet ode miraculeux à la joie de vivre était, et reste encore à mes oreilles, le plus beau des concerts.

Comme aussi le tableau sans cesse changeant des nuages vagabonds dans des ciels jamais pareils reste la plus merveilleuse des toiles de maîtres : aucun peintre, aucun photographe, aucun artiste, aussi génial soit-il, ne saura jamais réussir spectacle aussi parfait.

 

Et alors, venue je ne savais d'où, dans le milieu de cette toile de fond multidimensionnelle que venait de dresser miraculeusement la nature, à nouveau, et toujours comme pour la première fois, elle était là!

 

*

* *

 

Ma petite amie ailée zébrait le ciel bleu de la trajectoire courbe et noire de son corps rapide. Ses ailes de faux fendaient l'air frais et sa queue fourchue piquait mon désir d'elle, et je l'appelais de toutes mes petites forces. Ses cris de joie l'accompagnaient dans l'air printanier, comme pour me dire : "Me revoici ! Tu vois, je suis au rendez-vous. Moi aussi, je suis joyeuse de te retrouver…"

 

Elle était souvent accompagnée. Et ses amies et elle entamaient alors le ballet des retrouvailles au-dessus du jardin, des toits du village, des champs et des bois…

 

Elles étaient là le matin lorsque j'ouvrais mes contrevents, elles étaient là lorsque je jouais sous le préau avec le train de bois et de fer blanc que m'avait fabriqué mon père, elles étaient là lors de mes errances à travers les prairies et les blés verts…

Les hirondelles ont toujours été les fidèles compagnes de mes bonheurs enfantins.

 

Je me souviens des longues heures de la sieste, assis au pied du mur de ferme, sous son ombre bienfaisante, où, les yeux rivés sur elles, je rêvais de les accompagner dans les airs. Leurs ébats et leurs rondes ne cessaient jamais que pour se reposer un peu sur les fils électriques, au-dessus de ma tête. Là, en équilibre instable, mais très à l'aise, chacune entamait le long rituel de la toilette. Il s'accompagnait de gazouillis ravissants, interminables et entortillés à souhait, pour s'achever dans une cascatelle de notes cristallines où je reconnaissais toujours à peu près la même mélodie finale. Je me suis souvent demandé ce qui motivait ce chant de bonheur et sa signification. Nul doute qu'il s'agissait à la fois de l'expression personnelle de la joie de vivre et aussi de communiquer sa présence à ses compagnes alentour.

 

Elle étendait son aile de côté, la lustrait soigneusement de son bec avant de la replier, de considérer les choses autour d'elle avec satisfaction. Et de recommencer le même cérémonial avec l'autre.

 

Elle lissait soigneusement son plastron blanc, écartait la fine dentelle noire et blanche de sa queue, ses petites griffes toujours cramponnées au mince fil électrique. La brise, parfois, la balançait durement. Toujours, avec souplesse, son corps oblique, par un habile mouvement de balançoire, rétablissait son miraculeux équilibre, sans qu'elle en interrompît pour autant son travail. Ceci fait, elle entamait à nouveau ses ritournelles pépiantes en des courbes sonores entremêlées qui me plongeaient dans l'extase. J'ai souvent, mais en vain, essayé de les imiter pour entrer en communication avec elles.

 

Personne ne sait les heures infinies passées dans leur intimité, comme dans la complicité du voisinage. Je ne doute pas qu'elles aient eu conscience de ma présence amicale sous elles.

 

Dans l'écurie, toute la journée, elles entraient et sortaient à vive allure dans leurs chants incessants.

Porte fermée : qu'importe! Elles s'engouffrent à toute allure par le coin du carreau cassé de la fenêtre poussiéreuse.

Les vaches somnolent sur leur litière de paille froissée, dans la tiédeur reposée du crépuscule de l'été : qu'importe, il en faut davantage pour interrompre leur ballet. Au-dessus de nos têtes, à portée de main et des pattes des chats qui guettent le lait écumeux tout juste sorti du pis des vaches dans le seau, les hirondelles au dos noir et à gorge rouge passent et repassent dans une trépidante activité : le temps presse, semblent-elles vouloir dire dans leurs cris à deux notes répétés à chaque élan : ti-ouitt, ti-ouitt!…

 

Que de fois ai-je essayé d'en attraper une au vol ! J'ai fini par y renoncer.

Comme de parler leur langage.

J'ai dû apprendre à me contenter de m'imprégner de l'énergie de vie qui emplit ces petits corps.

 

*

* *

 

J'ai tenté, une fois ou deux, d'en sauver quelqu'une, abattue par l'orage ou le froid, abandonnée de la troupe de ses congénères, au sol.

Je ne me souviens pas d'avoir réussi. Oh! le bonheur de la tenir blottie au creux de mes mains comme le trésor le plus précieux au monde! La perception de sa fragilité, de son désarroi ! Son œil, petit bouton noir de jais, brillant de l'étincelle de vie, son bec dur, son plumage lustré, ses petits doigts crochus agrippés aux miens, gros et boudinés !…Et la vie qui la quitte…Ma tristesse, mon désespoir d'enfant face à la mort d'une amie!…

J'en ai trouvé, plus tard, gisant sans vie au pied des baies teintées de ma demeure : trompées par le reflet impitoyable du ciel dans la vitre, elles s'y précipitaient sans méfiance, tuées par le leurre, abattues en plein vol, fracassées sur la dure surface du verre.

 

*

* *

 

Je me souviens d'un moment particulièrement émouvant, un matin de printemps. Sur la branche du vieux prunier, deux d'entre elles s'accouplaient. La ronde allait continuer : l'année prochaine, encore, elles reviendraient, toujours nombreuses, gracieuses et vives,…

Hélas! Je ne savais pas que je me trompais : de moins en moins nombreuses, je les retrouve chaque printemps, aujourd'hui…

 

 

*

* *

 

Mais j'en arrive à cette scène unique et étrange à laquelle j'ai participé, en ma qualité de témoin ami de ce peuple des airs.

J'habitais alors la dernière maison d'un hameau charentais. Ancienne ferme que nous avions restaurée de nos mains quasi entièrement, je n'avais pas encore, à cette époque, commencé la rénovation de l'ancienne étable. Elle était donc restée telle quelle : les crèches encombrées de restes de vieux foin, les râteliers emplis de poussière ancienne et lourde, à moitié déboîtés, les fenêtres au châssis délabré, quand elles n'étaient pas obscurcies par l'épais réseau des toiles de mes araignées, étaient en partie brisées, laissant tout juste le passage d'une hirondelle.

La porte à moitié déglinguée était ouverte à tous les vents, les poutres avaient gardé la marque du dernier chaulage, et les nids de ces bestioles intelligentes. Je pourrais, je crois, vous peindre le film laborieux des ouvrières au travail.

Besogneuses, ingénieuses, ingénieures et maçonnes, leurs allées et venues ne cessaient pas du matin au soir. Elles se relayaient pour voleter sur place contre la poutre, le temps d'y déposer leur mortier : ce n'était qu'une trace, au début. Puis, peu à peu, on voyait se dessiner un arc de cercle gris sur la chaux recouvrant le vieux bois. Au bout de deux ou trois jours, il avait pris de l'épaisseur, de la consistance au point qu'elles pouvaient s'y accrocher de leurs griffes pour y déposer la boue régurgitée de leur gosier. Et enfin, le bol solide du nid s'accrochait au ras du plafond, ne laissant que le passage des parents. Elles y déposaient ce qu'elles trouvaient de moelleux : de la mousse, du duvet, de la paille ou de l'herbe sèche. Sur le sol ancien de l'étable, leurs crottes commençaient à s'entasser, au grand dam de mon épouse. Il est vrai que de l'étable abandonnée nous avions fait un chais, un débarras, et qu'on y entassait toutes sortes d'objets plus ou moins utiles, et qu'on les retrouvait souvent salis.

 

Puis venait enfin le temps de la couvaison. Je n'apercevais que la tête ou la queue de l'oiseau. Son œil perçant me surveillait constamment. Si je m'approchais d'un peu trop près, elle se lançait dans le vide en criant et s'enfuyait par le carreau cassé ou la porte ouverte.

Au crépuscule, elles se retrouvaient à deux dans le nid. Elles y passaient la nuit, sans que rien ne les en chasse. En cas de danger, elles voletaient en tournant dans l'étable, poussant des cris d'alarme. Le matin, elles étaient actives dès potron-minet.

 

J'ai réussi, une fois ou deux, à apercevoir les petits œufs mouchetés au creux du nid. Et, un jour, les petits étaient nés. Une ribambelle de larges becs jaunes jaillissait sous le plafond : il en sortait des cris stridents dès que retentissait l'appel sonore d'un parent revenant du dehors, quelque proie au bec pour la progéniture. Il se posait sur le bord, ou voletait sur place en battant rapidement des ailes dans un froissement de soie délicieux, déposait sa larve dans un gosier, et repartait en criant. Comme des ressorts repliés, la rangée des jaunes gosiers disparaissait, silencieuse, dans l'abri douillet. Et cela durait des jours et des jours. Le carrousel ne cessait jamais. Les rondes se succédaient autour des jeunes à des cadences infernales. Parfois, je trouvais à terre un oisillon tombé du nid . Nu et dérisoire, il n'avait pas grand chose de commun avec ses parents. Tout violacé et ridé, aveugle, minuscule et ingrat avorton, il suscitait ma pitié, et, s'il n'était pas mort, je le remettais avec ses frères.

 

C'est ainsi que je surveillais la couvée attentivement. J'ai dû consacrer beaucoup de temps à ces observations cette année-là. Je parvenais à reconnaître les parents dans le ciel au milieu des arabesques capricieuses de l'escadrille des acrobates.

 

*

* *

 

Ce matin-là, il faisait un temps comme je les aime, à la saison nouvelle. Le soleil chaud déjà avait monté dans le ciel. Il était dix ou onze heures, peut-être. La porte grande ouverte laissait entrer à flots les rayons du soleil et l'air embaumait comme jamais. Une furieuse envie de vivre vous prenait au cœur à vous en faire tourner la tête.

Je sentais, par l'attitude pressante des parents, que le moment fatidique était venu.

Ils ne nourrissaient plus les hirondelleaux. Ceux-ci avaient atteint la taille adulte, et se penchaient de plus en plus dangereusement hors du nid, affamés, en piaillant de belle manière après leurs géniteurs.

Rien n'y faisait. Ceux-là refusaient dorénavant de leur porter de la nourriture. Perchés sur les râteliers, ils gazouillaient en faisant la toilette de leurs ailes.

Si j'approchais trop près ma tête, tout le contingent se blottissait au fond du nid devenu trop petit.

Depuis trois jours, je surveillais sans cesse, sachant que d'un moment à l'autre allait se produire l'événement tant attendu que je n'aurais raté pour rien au monde : l'envol des jeunes.

Mais, je le savais, l'heure était venue. Je me disais que, peut-être ma présence allait compromettre ou ajourner l'opération. Mais il faut croire que la nature a disposé des horloges invisibles dans ses créatures : après m'avoir longtemps observé, les parents décidèrent de passer à l'action.

 

Dehors, c'est un raffut d'hirondelles qui m'attira. L'étable ouvrait à l'est et recevait en plein le flux solaire. Face au nord, le corps du bâtiment d'habitation formait un angle droit avec celui de l'étable. Au-dessus du carré de la cour, elles tournaient dans le vacarme assourdissant de leurs cris, qui rajouté à leur présence multipliée et aux croisements tourbillonnants de toute leur communauté rassemblée, contribua à m'alerter. Que se passait-il donc ?…Se pouvait-il qu'elles ne soient pas là par hasard ? Avaient-elles répondu à l'invite des parents ? Cette hypothèse me parut trop hardie pour être retenue. Cependant, elle s'avéra être la bonne.

 

Un premier jeune, s'élança dans le vide, déployant pour la première fois de sa vie ses ailes défroissées. Il se rattrapa juste avant de toucher le sol, remonta en franchissant la porte vers la lumière, s'éleva maladroitement dans les airs, et, alors, une hirondelle se détacha de la troupe tournoyante et fondit sur lui. Non pour le piquer du bec pour une obscure raison de moi incompréhensible, ainsi que je le pensai d'abord, mais pour se glisser sous lui et le soutenir dans l'air limpide !

Et, ô miracle, il en fut de même pour la suivante, et la troisième !

Cela était incroyable !…Les hirondelles étaient venues en grand nombre encourager et aider les petits à prendre leur essor ! C'est indéniable ! J'en étais tout abasourdi. Jamais je n'aurais pensé une chose pareille ! Quel bel exemple de solidarité chez les oiseaux de cette espèce ! Je jouis de ce spectacle avec délectation.

 

D'autant que, par un de ces mystères difficilement explicables à l'humain, je me trouvais en parfaite symbiose avec eux. Il m'apparaissait certain que les oiseaux avaient conscience de ma présence. Et, qui plus est, ils m'associaient à l'événement ! A n'en pas douter. Je le sentais. Je le voyais par l'attitude des oiseaux, qui volaient à me raser, sans agressivité aucune. Mieux, ils semblaient réclamer mon aide pour les deux derniers, plus timorés ou plus faibles peut-être que leurs frères et sœurs, qui n'osaient pas se jeter dans l'aventure. Les autres avaient disparu. Après s'être reposés un instant dans les branches de mon vieux prunier - celui-là même qui avait abrité les amours de leurs parents - ils étaient repartis, toujours entourés d'une vigilante compagnie.

 

*

* *

 

Le temps passait. Les retardataires n'arrivaient toujours pas à s'enhardir, malgré les appels de plus en plus stridents et pressants de la compagnie. Cela perdait progressivement le caractère de fête du début pour revêtir celui plus sombre de l'angoisse. C'était parfaitement perceptible dans l'intensité croissante des voix, dans le ballet de plus en plus nerveux et rapproché des hirondelles. A l'intérieur, les parents, perchés sur les râteliers, piaillaient à s'érailler le gosier, s'approchaient du nid, encourageant les petits de la voix et de leur présence. Des amies entraient à leur tour, mêlant leur voix et leurs appels à ceux des parents.

 

Finalement, à force de me tourner autour, je crus percevoir ce qu'on attendait de moi. Je m'approchais prudemment sous l'abri où ils avaient passé leur enfance, et, me perchant sur un tabouret bancal, approchais mon visage du bord de la coupelle. L'un d'eux s'envola, l'autre se tapit au fond.

 

Celui qui sauta fut accueilli par un concert de cris redoublés et dehors, il fut aussitôt pris en charge par deux adultes qui le portèrent sur leur dos jusqu'à ce qu'il eût pris un peu d'assurance. Enfin, sentant que, s'il ne se lançait pas maintenant, la troupe l'abandonnerait - je les savais à bout d'exaspération et de tension - j'approchai lentement, sous le regard inquiet des ascendants, une main craintive vers l'intérieur de l'alcôve. Je n'étais pas certain, malgré tout, que ce geste serait bien compris de la gent ailée.

 

Le dernier oisillon se jeta à son tour désespérément dans le vide. Il voleta moins brillamment que sa fratrie et se posa comme il put, sans trop de casse, sur le sol de l'étable. Vous auriez entendu ce tintamarre autour de nous ! L'air était empli de cris et de bruits d'ailes, et de tournoiements affolés. Je descendis de mon perchoir prudemment et m'avançais vers lui, dans l'intention de le prendre dans ma main pour lui donner son envol. Je n'eus pas à le faire : il avait repris son élan, et d'un vol mal assuré, soutenu plus que jamais par toute la communauté déchaînée, il parvint à se poser, après avoir survolé la cour, sur une branche du frêne. Puis il s'envola, soutenu par deux ou trois hirondelles se relayant sans cesse, vers l'azur pur du clair printemps.

 

*

* *

 

Il y eut, après ce dernier départ, encore quelques instants d'un manège plus serein, où la tonalité des cris avait changé, et, puis, comme après un dernier au revoir, toute la compagnie s'en fut au-dessus des prés voisins, et il n'y eut plus que points noirs mobiles et lointains dans le bleu du ciel.

 

Encore tout étourdi de l'étrange événement que je venais de vivre comme dans un rêve, une très grande et belle tristesse tomba soudain sur moi, avec comme un froid de tout mon être : elles étaient parties, mes hirondelles ! Je restais là, mes deux pieds rivés au sol, lourdaud, à considérer le nid abandonné, sans savoir quoi faire pour remplir le grand vide que me laissaient mes petites demoiselles.

 

*

* *

 

Les jours suivants, je cherchais à les reconnaître, à les espérer, dans les allées et venues affairées qu'elles mènent toujours joyeusement dans les parages circonvoisins : en vain ! Elles étaient bel et bien parties vivre leur vie d'hirondelles. Qu'avais-je donc à espérer, désormais ? N'avais-je pas eu ce privilège inouï de partager avec mes petites amies noires et blanches aux ailes de faux et à la queue en dentelle ce moment intense dans la vie de toute leur communauté ?

 

Et après tout, ne m'avaient-elles pas convié à être des leurs, juste un instant, un unique instant, mais si précieux?…

 

Francis BELLIARD

A Villegats, le 29 mars 2006

 

À travers Champs N°31

Dimanche 12 mai 2013

 

Exégèse

 

J’entendais une causerie de Michel SERRES ce dimanche sur l’antenne de France Info. J’aime beaucoup ce que dit ce philosophe. C’est simple. Je veux dire, c’est accessible. Avec lui, pas de grands mots, de grandes tirades, pas de pompe, ni de grandiloquence. C’est un homme qui réfléchit et dit sincèrement le fruit de ses questionnements. C’est toujours plein de sagesse. Il suscite toujours mon intérêt, et provoque le plus souvent mes réflexions.

 

Aujourd’hui, il avait choisi comme sujet de sa réflexion qu’il faisait partager aux auditeurs : la transparence (l’ombre et la lumière).

Bien sûr, si vous suivez un peu mes rubriques, vous comprendrez que ce sujet m’interpelle.

 

Pour simplifier (mais vous pouvez découvrir sa chronique sur le site de France Info : dimanche 12 mai, 12 h 15), il explore tout ce qui est transparent, non caché ; en pleine lumière, et ce qui reste dans l’ombre, qui est tu, qui est celé.

Ainsi relève-t-il un certain nombre d’exemples pour montrer combien notre humanité œuvre pour la quête de la lumière : les archéologues, les égyptologues, les scientifiques, d’une manière générale, cherchent à mettre en lumière des vérités enfouies depuis des lustres.

A l’inverse, il demeure des zones d’ombres (l’ignorance, les erreurs, la tricherie, les mensonges, les crimes…), tant dans le domaine scientifique que dans la sphère publique (les « affaires » que l’on cherche à tenir secrètes, les mensonges, qui veulent laisser la vérité dans l’ombre, les crimes : les enquêteurs cherchent à faire toute la lumière sur ces affaires)…Dans la sphère privée, il est nécessaire de préserver une intimité, une ombre sur notre vie privée. Voici en gros la teneur de cette réflexion.

 

 Et ce philosophe nous fait part de son étonnement à propos d’une phrase qui, dit-il, se situe au début de l’Evangile de Jean, et qu’il croit n’avoir toujours pas comprise :

« Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas saisie »

[Jean 1:5]

 

Évidemment, je me suis empressé de chercher ce verset de la Bible, et je l’ai retrouvé, quoique ma traduction diffère quelque peu de la sienne :

« Et la lumière brille dans les ténèbres, mais les ténèbres n’ont pas eu raison d’elle »

 

L’on voit que le même verset, selon les traducteurs peut différer légèrement, et cela peut ouvrir sur une pensée ou sur une autre.

Si je suis la citation de Michel SERRES, il semble qu’après l’apparition de la lumière, les ténèbres ne l’aient pas saisie. Quel sens donner à ce mot ? Au sens propre, saisir, c’est prendre. En ce cas, on peut remplacer par « les ténèbres ne l’ont pas étouffée, absorbée, éteinte. » Conclusion : elle brille toujours. Somme toute, rien ne peut empêcher la lumière de poursuivre son existence, en tout cas, pas les ténèbres. Les ténèbres ne sont pas parvenues à tuer la lumière.

Au sens figuré, saisir peut signifier surprendre – ce n’est pas le sens ici, je crois – ou comprendre. Si l’on considère cette acception de saisir au sens figuré, il faut donc aussi considérer l’ombre et la lumière au sens figuré, c'est-à-dire penser à ce que ces deux entités symbolisent : respectivement, l’ignorance, la méconnaissance, l’erreur, le mensonge, le crime, et la connaissance, la vérité, la sincérité, l’amour.

 

En fait, la seconde traduction va dans le même sens.

Ainsi, lorsque j’ai entendu Michel SERRES s’étonner de ne pas comprendre cette phrase, j’ai été surpris. Pour moi, elle était évidente, d’emblée, depuis longtemps j’y avais réfléchi, et je ne comprends pas qu’il ne comprenne pas. Il doit y avoir quelque chose qui m’échappe dans sa pensée, mais quoi ?

 

Je vous cite ce qui  est écrit au tout début de cet évangile :

« Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Celui-ci était au commencement avec Dieu. Toutes choses vinrent à l’existence par son entremise et, en dehors de lui, pas même une seule chose ne vint à l’existence.

Ce qui est venu à l’existence par son moyen était vie, et la vie était la lumière des hommes. Et la lumière brille dans les ténèbres mais les ténèbres n’ont pas eu raison d’elle. »

[Jean 1:1-5]

 

Ainsi, on peut penser qu’au tout début de la Création, il n’y avait rien, que les ténèbres et la Parole, c'est-à-dire, le Verbe, la Pensée, c'est-à-dire Dieu. Il nous est décrit comme une entité de pensée, et non un être matériel. Puis, de sa propre force créatrice, il fait naître la Lumière, qui triomphe des ténèbres, d’une certaine façon. Phrase à double sens, comme c’est l’usage dans la Bible. L’image est forte : l’Ombre et la Lumière. Le triomphe de la pensée sur l’obscurantisme. Dieu est Lumière, de cette lumière naît la vie. La vie est la lumière ; la mort les ténèbres, le néant.

Ainsi la première création de Dieu aura été la Lumière : ce qui fait penser au big-bang que décrivent les physiciens. À un moment indéterminé de l’absence de tout, mais que l’on peut dater par rapport à notre époque actuelle, des ténèbres jaillit l’énergie, avec elle la Lumière, source de tout ce qui est venu à l’existence par la suite.

Ce fantastique événement, naissance de la lumière, n’a pas pu être aboli par les ténèbres : elle est donc supérieure à elles. En fait ce combat n’a jamais cessé depuis cette époque lointaine de la naissance de l’univers. Tant dans la formation des étoiles, que pour ce qui est de la vie sur terre.

Les scientifiques appellent entropie un état initial de chaos vers quoi tendent toutes les choses. Ce n’est que l’appel des ténèbres, qui cherchent à récupérer leur néant. Car enfin, la lutte pour la vie, pour la lumière, est une lutte implacable de tous les instants. Voyez dans la forêt la lutte des plantes pour la conquête de la lumière, source de vie. Voyez la lutte que mènent tous les êtres vivants pour triompher de la mort. Nous n’échappons pas à la règle.

Cette phrase qui introduit cet évangile est d’une force terrible, toujours aussi vraie depuis l’apparition de cette Lumière.

 

Si je rapproche cette introduction de celle de la Génèse, premier livre de la Bible, voici ce qu’on peut y lire :

« Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre »

[Génèse 1:1]

 

Cela diffère un peu de ce qu’écrit Jean, mais pas tant que ça, au fond.

Car pour commencer, Dieu créa les cieux : c'est-à-dire le cosmos. Dans cet ordre d’idée, après un certain temps, la terre se forma : scientifiquement parlant, c’est ainsi que les choses se sont passées. Et c’est en accord avec ce verset. Rien ne dit que tout fut créé simultanément : le « et » peut signifier « et ensuite ».

Il n’est pas encore question de la Lumière. Mais cela peut avoir été omis, puisque l’important, c’est que la Lumière apparaisse sur Terre, après sa création :

« Or la terre était informe et déserte et il y avait des ténèbres sur la surface des flots de l’abîme ; et la force active de Dieu se mouvait au-dessus de la surface des eaux »

[Génèse 1:2]

 

On voit que la Terre est couverte d’eau, et qu’elle est plongée dans les ténèbres. Là encore, c’est en accord avec le scénario scientifique : au début, la Terre aurait été entièrement recouverte d’eau : il aurait plu sans cesse, d’épais nuages recouvraient la planète, la plongeant dans l’obscurité.

Il est intéressant de noter qu’on retrouve la présence active de Dieu à la surface de cet océan planétaire : il n’est pas là en simple spectateur, mais plutôt comme quelqu’un qui travaille à sa création, qui agit.

 

Alors Dieu dit : « Qu’il se fasse de la lumière ! »  Et il se fit de la lumière.

[Génèse 1:3]

 

À ce moment, Celui-qui-créa-tout voulut qu’il y ait de la lumière, et elle se fit.

Bien sûr, on peut être dubitatif sur cette espèce de magicien capable de créer, de par sa seule volonté, de telles choses. Impensable pour tout esprit rationnel. Je l’admets. Reconnaissons tout de même qu’il y a dessein, volonté organisée de créer. Mais est-ce que tout cela n’avait pas pour but, d’y planter l’homme ?...

 

Après cela, Dieu vit que la lumière était bonne et Dieu opéra une séparation entre la lumière et les ténèbres. Et Dieu commença à appeler la lumière Jour, mais il appela les ténèbres Nuit. Et il se fit un soir et il se fit un matin : premier jour.

[Génèse 1:4]

 

J’ai toujours été interpellé par ce constat étrange : Dieu vit que la lumière était bonne : ne le savait-il pas auparavant ?  Ou cela vise-t-il à démontrer combien la lumière a d’importance symbolique ?

Il est intéressant d’observer qu’en effet, si la lumière qui nous est donnée par le soleil, à notre échelle, peut paraître éternelle, en réalité, pour nous autres habitants de la Terre, elle ne brille pas en permanence : elle succède aux ténèbres, régulièrement par la ronde des jours et des nuits.

Le premier soir et le premier matin de notre monde !

 

Puis Dieu dit : « Que des luminaires apparaissent dans l’étendue des cieux pour faire une séparation entre le jour et la nuit ; et ils devront servir de signes, et pour les époques, et pour les jours, et pour les années. Et ils devront servir de luminaires dans l’étendue des cieux pour éclairer la terre. » Et cela se fit ainsi. Et Dieu se mit à faire les deux grands luminaires, le grand luminaire pour dominer le jour et le petit luminaire pour dominer la nuit, et aussi les étoiles. Ainsi Dieu les mit dans l’étendue des cieux pour éclairer la terre, et pour dominer de jour et de nuit, et pour faire une séparation entre la lumière et les ténèbres. Alors Dieu vit que cela était bon. 

[Génèse 1:14-18]

 

Il faut passer du verset 4 aux versets 14 et suivants pour voir préciser la venue de cette lumière. C’est bien détaillé.

NB : La Bible n’est pas un livre qui donne toujours les événements par ordre chronologique : il arrive, comme ici, qu’elle reprenne un événement en le détaillant différemment, nous le montrant sous un autre jour (si je puis dire).

 

On voit combien la lutte de la lumière contre les ténèbres est importante, vitale. La lumière source de vie pour les plantes, pour les animaux, pour les humains.

 

Je voulais juste vous faire part de ces quelques réflexions qui ont suivi cette remarque surprenante de Michel SERRES.

 

En conclusion, je reprendrai cette idée simple, mais étonnante : ténèbres et lumière sont en perpétuel combat. Il semble que les ténèbres doivent gagner, a priori. Car, dès que s’éteint une lueur, les ténèbres apparaissent, et rien d’autre que la lumière ne peut les déchirer. Mais d’où provient toute lumière si ce n’est de l’énergie ?...

Ainsi la Vie, et la Mort.

 

Il semble que la mort doive gagner à tout coup. Dès que s’éteint la lumière de la vie, les ténèbres reprennent leurs droits.

Sans cette « invention » de Dieu – ou de la Nature, ou du Hasard, appelons cela comme on veut…- , la Lumière, l’entropie, le chaos, les ténèbres réapparaissent immédiatement.

 

Et je m’interroge : « Ne sommes-nous pas en train d’aider les ténèbres à regagner plus rapidement encore ce que des millénaires de lumière ont patiemment élaboré ?

Ne vous ai-je pas montré combien est fragile la flamme de la Vie ?

Ne retournons pas aux ténèbres, maintenant que nous avons connu la Lumière…

À travers Champs N°32

Mercredi 15 mai 2013

 

Barbarie

 

Qui me dira où et quand s’arrêtera la barbarie ?

Je m’oppose à toute barbarie. À toute cruauté. À toute violence. Elle me répugne, me révulse.

La violence entraîne la violence. Elle procède d’un principe de surenchère. Sans fin. Sans limite.

Dites-moi vers quelle humanité nous allons ?...

 

120 000 morts en Syrie depuis le début de la boucherie. Enfin, on ne sait pas trop. À 20 000 près.

Scène de cannibalisme filmée : l’horreur inimaginable : un homme, après avoir tué un soldat ennemi, l’éviscère, lui arrache les entrailles, et dévore son cœur et son foie…

Est-ce imaginable ? Est-ce acceptable ?

Et la corne de l’Afrique ? Combien de morts vivants ?...qu’on affame volontairement ou par indifférence ?...

Qu’y a-t-il d’humain dans tout cela ?...

Celui-ci prétend qu’il veut venger un massacre de civils, femmes et enfants violés et torturés…Bien sûr…

Mon Dieu ! Jusqu’où iront ces horreurs ?...

Et moi je vous dis qu’en chaque individu se tapit une part d’ombre : si on lâche la bride aux ténèbres, elles envahissent tout…

Mais réalisez-vous que tout cela continue allègrement ?...Que se fait-il pour enrayer tout ce délire ?...

Barbare ! L’humain n’est qu’un barbare ! C’est un scandale, une honte ! Quoi de plus indigne, de plus abject, que cette barbarie ?

Vous vous dites civilisés ?...Honte à vous ! Vous êtes pires que des bêtes : vous êtes des monstres ! Des abominations !

Je proclame que je hais les violents et les barbares. Oui. Voilà qui nous fait une belle jambe !

Cependant, j’implore tout ce qui pourrait faire cesser ces abominations d’intervenir.

Hélas ! Je ne vois que Dieu pour mettre un terme à cette folie meurtrière, ces injustices partout…Que Dieu…s’il existe. On peut en douter, assurément…

À moins qu’un miraculeux cataclysme nettoie l’univers de notre engeance…

 

Avez-vous entendu cela ? On commence à crouler sous nos déchets. Non, pas seulement nos déchets ordinaires, ce qui est déjà en soi une catastrophe, mais sous les déchets nucléaires. Heureusement, on va les enfouir. Comme l’autruche. C’est une excellente solution. Un joli cadeau pour les générations à venir, les enfants de nos enfants…On s’en fout, on ne sera plus là pour le voir : qui pourra nous en faire reproche, puisque de chacun des décideurs de ce nucléaire et de ce cadeau empoisonné, il ne restera ni les os, ni le souvenir ?

Je dis C’est une excellente solution, parce qu’il était question de les balancer dans l’espace. Alors là, bravo ! L’espace poubelle ! Oh ! C’est déjà le cas. Avec tous les débris de nos engins spatiaux qui se baladent autour de la terre…Je ne sais pas si les habitants de la station spatiale européenne balancent aussi leurs merdes dans l’espace ?

Imaginez le spectacle de la terre, si belle et bleue, suspendue dans l’espace. Et on commence à envahir tout ce vide à son entour de nos déchets ! Je préfère encore qu’on crève enfouis sous des milliers de tonnes de plastique et d’un tas d’autres saloperies.

Notre espèce est damnée. Condamnée, aussi. Maudite.

 

J’en appelle à Dieu, puisque en appeler à la raison n’a plus de sens. Qui réalise vraiment, parmi nos dirigeants, parmi vous qui me lisez, dans quelle spirale infernale nous sommes engagés ?

Spirale destructrice ô combien, létale, aux relents méphistophélétiques. Oui, je proclame que le Diable vous a tous corrompus. Ou plutôt, non, car cela vous dégagerait de votre responsabilité : je vous rends coupables, à tous les niveaux de notre société, de corrompre, et d’être pourris.

Observez bien vos dirigeants, tous sans exception : quelles différences les démarquent ? Aucune. De la gauche à la droite, en passant par les extrêmes : tous des profiteurs. Qu’a-t-on encore besoin de politiques et de politiciens ? Ils ne sont là que pour s’engraisser sur le dos des plus faibles. Et ceux qui n’ont pas encore leur part du gâteau se battent pour ronger les os en coulisse. Ou en pleine lumière, après tout pourquoi se cacher ? Comme vous savez.

 

Je dis des bêtises ?

Où se fait la politique de la France ? En Europe. Donc, qu’a-t-on besoin de dépenser des sommes folles pour ces tiques ?...Faites le calcul de ce qu’on pourrait économiser sans tous ces inutiles…

Je dis des bêtises ?

À quoi jouent les grands semenciers de ce monde en bloquant la nourriture dans les silos, pendant que meurent de faim des milliers d’enfants partout dans le monde ?...Les producteurs d’engrais et de pesticides ?...

Je dis des bêtises ?

Observez les scandales qui n’ont jamais été aussi abondants, dans le domaine de la médecine, de l’industrie pharmaceutique, de l’agro-alimentaire, des prothèses, etc, etc…

Observez l’état d’esprit qui règne désormais partout : si le maître mot n’est pas le profit, la satisfaction immédiate de ses envies et besoins matériels…qu’est-ce alors ?...

Vous n’avez plus de cœur : mais une carte bancaire, à la place.

Vous devenez des zombies. Et vous vous demandez pourquoi il y a tant de crimes ou de suicides, ou d’actions incompréhensibles chez nos congénères ?...Vous devenez inhumains.

Je dis des bêtises ?

Alors, vous êtes aveugles et sourds. Or, il n’est pire sourd qui ne veut entendre.

Quel avenir avez-vous préparé pour vos enfants ?...N’avez-vous donc pas honte ?...

Oui, je me doute de ce que je génère dans vos cervelles malades : vous m’en voulez de vous cracher à la figure ma révolte. Vous m’en voulez de ne pas me mettre dans le même panier que vous parce que j’ai dit « vous » et non pas « nous ».

Mais, bougres d’endormis, c’est pour vous provoquer, vous faire réagir ; Bien sûr que je ne suis pas meilleur que vous. Nous sommes tous dans le même bateau, et je ne prétends à rien d’autre qu’à la lucidité, la clairvoyance, le réalisme : depuis des années, je prêche dans le désert, et nul ne m’a entendu. On m’a dit que j’étais pessimiste, à l’époque : hélas ! la réalité est pire que ce que j’imaginais.

Comment sortirez-vous de ce monde d’hypermarchés, de gadgets polluants, de corruption, de paresse ?...d’hypocrisie ?...

Je ne dis pas : nous allons dans le mur. Je dis : nous sommes dans le mur.

 

Pardon.

Il y a des gens qui sont beaux, purs, et des réalisations, des actions tellement désintéressées, qui vont dans le bon sens. Oui, heureusement : il y a encore un peu de lumière dans ce monde, un peu d’amour…

Mais, malgré tout, c’est trop tard.

Je ne joue pas les Cassandre. C’est trop tard.

Imaginez-vous faire machine arrière avec vos centrales nucléaires ? Avec vos bagnoles ? Vos gadgets ? Votre pollution ? Votre corruption ? Vos criminels patentés ? Vos matières plastiques ?...

Ne voyez-vous pas que c’est la maffia qui, partout dans le monde, règne sur les choses humaines ?

Qui peut prétendre un instant que Poutine est un homme de cœur ? Et je ne vous parlerai pas de Berlusconi, ni d’autres plus proches pu plus lonitains…

 

Il vaut mieux que je ferme la bonde à cette inutile colère.

Toujours je suis révolté par la bêtise, la laideur, le profit…Mais aujourd’hui, ces informations que je vous cite en préambule sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Hélas ! Cent mille fois hélas ! Au lieu de nous diriger vers la concorde, le pardon, la tolérance, la partage, l’union planétaire pour sauver ce qui pourrait encore l’être, je n’entends parler que de racisme (témoin cette récente affaire d’agriculteurs qui ont agressé un paisible père de famille en vacance, désireux de faire un peu de marche dans la campagne, sous prétexte qu’il était noir…), d’individualisme, de profit, des cotations en bourse…et de football ! Autre scandale : quel ouvrier de chez Renault peut prétendre au salaire des footballeurs professionnels ? Pour en arriver aux absurdités et aux excès que vous savez…

 

Mais la bêtise n’aura jamais de limites. À chaque fois que nous devrions nous serrer les coudes, c’est tout le contraire que nous opérons.

Moi je vous dis que si vous ne déchirez pas immédiatement le voile qui vous obscurcit l’esprit, vous êtes en danger de mort, et vous êtes coupables de la mort des futures générations, les enfants de vos enfants.

Cette merveilleuse planète est un miracle. La vie est un miracle. Rien de plus beau, de plus précieux, de plus unique. C’est une arche de Noé qui fonce dans le néant, dans l’éternité : elle nous porte, nous protège, nous nourrit, nous abreuve, nous fait respirer…et nous détruisons tout à bord : je vous prédis l’asphyxie et la noyade à moyen terme.

 

Désolé pour ce coup de gueule. Encore que je n’ai pas à l’être, au fond.

Ce à quoi j’assiste n’est pas seulement triste ou désolant : c’est poignant, déchirant, effrayant. Nous sommes le cataclysme final…

 

À travers Champs N°33

Lundi 20 mai 2013

 

Le Livre

 

Tout d’abord : je tiens à m’opposer à une opinion que je viens de lire dans une revue, et qui heurte mon bon sens, ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que j’aie raison, ou que cette opinion soit erronée. Quoique, selon moi, elle l’est. Mais elle ne relève pas de la raison, plutôt de l’intime conviction : à vous de juger.

 

L’auteur de l’article prétend que l’âme, la conscience [humaines] sont inscrits dans les atomes (la matière). Par généralisation. La lumière étant corpusculaire, comme la matière, tout étant somme toute matériel, l’âme serait matérielle.

Je ne le pense pas.

Pour moi, elle procède de sa singularité, qui n’est pas d’essence matérielle.

Ainsi, j’admets qu’il existe un autre état que celui de la matière dans l’univers. Ce n’est pas parce qu’elle semble « prisonnière » de la cage de notre corps, qu’elle est faite de matière. Cette conception me choque vraiment. Il me paraît évident qu’elle ne peut être qu’évanescente, d’une autre forme que matérielle. On peut croire qu’elle naît dans notre cerveau, comme la pensée, qui nous permet d’ailleurs de la conscientiser, ce n’est pas pour cela qu’elle est notre pensée. Ne la réduisons pas à un simple courant d’ions ou d’électrons, ou d’atomes : c’est tout autre chose, qui échappe totalement au corps matériel. Cependant, qui l’habite, donnant à notre être sa singularité et sa pertinence.

                                                                                                                                           

C’est mon opinion. Ensuite, émettre des hypothèses sur sa nature, sa source, son devenir relève de la méditation et de la foi personnelles.

 

Mon propos initial était de vous soumettre aujourd’hui quelques réflexions personnelles sur le Livre : nous n’en sommes pas si éloignés, vous l’allez voir.

 

Au début était la Lumière. Au début était le Verbe. Verbe et Lumière, selon la Bible et d’autres traditions religieuses, semblent intimement liés.

Que faut-il entendre par « Verbe » ?

Ici, verbe est mot, parole, confondant l’oral et l’écrit dans le vocabulaire, ce qui est pourtant fondamentalement différent.

L’un, parole, désigne uniquement l’oralité : expression par un son volontaire, d’une forme de pensée cohérente, d’une conscience communicative : la parole traduit la volonté de communiquer avec quelqu’un, pas forcément son semblable d’ailleurs, puisque je parle bien à mon âne, à ma chienne ou à mon bouc.

L’autre, mot, est plus ambigu. Il semble désigner prioritairement un groupe de signes dessinés ou gravés sur un support matériel, dans le même dessein que la parole, qu’il traduit, le plus souvent. On désigne aussi par mot, une parole émise, oralité donc.

Au final, le mot est créé pour traduire une pensée que l’on veut transmettre.

L’un comme l’autre, dans son champ propre, oralité ou écrit, réclament une codification, c'est-à-dire un accord, une entente, par suite un apprentissage de conventions (de sons et de signes), significatifs, fruits de l’intelligence, et d’une volonté commune d’échange de pensées.

La question se pose de savoir, si réellement au début fut le Verbe, à qui il s’adressait : car si Dieu était seul, ce qui, si l’on en croit la Bible, aurait pu être son statut, à qui s’adressait Sa parole ?...

À moins d’imaginer l’hypothèse qu’Il avait des pairs, on ne comprend pas bien à quoi aurait servi la Parole en solitaire. Mais sommes-nous en mesure d’émettre des hypothèses à ce sujet ? Avons-nous bien toutes les cartes en main pour ce faire ?

Une chose est sûre : la Parole en tant que telle, est le propre de l’Humain. Je n’ai pas dit la communication. Car non seulement les animaux communiquent entre eux, mais, on commence à le découvrir, les végétaux – à un niveau bien plus primitif, certes – aussi.

Ainsi, communiquer apparaît comme une sorte d’axiome étendu aux espèces vivantes de notre Terre.

Il pourrait se dessiner une conception bidimensionnelle de l’Univers : des êtres de matière, assemblage de molécules plus ou moins complexes, habitées ou non d’une conscience, d’une âme… (restons prudents), et un ou des êtres d’une autre nature, doués d’intelligence ou de pouvoirs assez inaccessibles à la nôtre, il faut bien le dire.

Vous remarquerez mon extrême prudence, car je ne veux blesser personne dans ses croyances.

Cet exercice spirituel m’amène à vous communiquer ma pensée. Mais pour que vous appréhendiez mon message, je vous l’ai codifié par signes : l’écriture. J’émets ce message, une fois achevé, relu et corrigé, évidemment, afin que mes fautes de codification ne heurtent aucune sensibilité, et que je sois parfaitement compris, à partir de mon écran d’ordinateur (où, d’ailleurs, cette écriture est à la fois fictive et supportée par du matériel), via le canal d’internet. Le recevra qui voudra. Par le biais de notre technologie actuelle, vous pourrez le réceptionner et le lire, éventuellement le comprendre…, vous, récepteur(trice) de mon message.

Comme vous le savez tous, à l’origine de notre humanité, l’ordinateur et le web n’existant pas encore, les moyens de la communication furent plus frustes : de la massue au stylet ou à la plume d’oie, il y a un pas ! L’essentiel, c‘est que la communication soit adaptée aux contingences de l’époque.

Notons malgré tout que les canaux primitifs de la communication ne furent pas que fumée (celle des feux allumés par les sioux pour communiquer visuellement) : peinture et gravure rupestres semblent les traces les plus anciennes de cette expression de nos aïeux. On imagine mal autre chose, et on n’a pas conservé d’autres vestiges d’un autre moyen de communication matérielle. Car hors l’oral, la communication passe par le matériel, c'est-à-dire, émission de signaux convenus que nos sens peuvent percevoir. L’oral aussi, d’ailleurs, par parenthèse. Quant à la télépathie, je n’explorerai pas ici son champ, que je n’ai cependant pas totalement écarté de cette rubrique.

À grands traits, les grandes étapes de ces supports matériels : la pierre, les tablettes d’argile, le papyrus, le parchemin, le papier, l’écran d’ordinateur…En ai-je oublié ?...Vous me le direz.

Il est à observer qu’à chaque fois, la découverte d’un nouveau support, plus fiable, ou plus commode, efface l’ancien. Dieu fasse que le numérique n’oblitère pas totalement le papier, mais je le crains cependant vivement. Vous avez compris : je reste attaché au papier.

Sans Gutenberg, sans les Chinois, je ne pourrais vous transmettre mes Âneries, mes Contes, ma poésie… : quelle importance, au fond ?

C’est exact : ce que j’ai à vous transmettre est sans importance, aux yeux de l’Humanité, de l’histoire du cosmos. Le papier est destructible. Mes écrits le sont donc. Mes pensées aussi.

À quoi sert donc de vous écrire ? De communiquer ?...

Pourtant, je trouve que les hommes et les femmes n’ont jamais tant communiqué qu’aujourd’hui. Mais, à bien réfléchir, cela m’apparaît plus compulsif que nécessaire.

Qu’est-ce qui nous pousse donc à communiquer de la sorte ?...

Mystère. Serait-ce un réflexe né de l’urgence ? D’une conscience obscure de notre fin proche ?...Ou n’est-ce que l’héritage voulu par notre Créateur (Dieu ou Hasard…), ou le fruit d’une évolution de plus en plus complexifiée ?...

Heureusement, l’âme humaine demeure imperméable à ses propres questionnements, ce qui en fait encore mon bonheur…

 

À travers Champs N°34

Jeudi 23 mai 2013

 

Le choix

 

Depuis plusieurs jours, je sentais la nécessité de réfléchir un peu sur le choix.

Quel choix, direz-vous ?

Le choix en général.

Parmi tant d’autres exemples, quelques-uns.

Le choix de me rendre à Journet demain soir pour assister au concert d’un excellent chanteur à textes : Rémo Gary. Irai-je ou n’irai-je pas ?

Face à ce choix simple, je peux décider d’emblée, sans vraiment réfléchir, écarter l’idée d’y aller. Je puis aussi, à l’inverse, décider de m’y rendre, sans vraiment réfléchir. Je puis aussi étudier posément les arguments pour et ceux contre. À l’issue de cette réflexion, je prendrai ma décision.

Autres exemples : choisirai-je de la glace à la vanille ou à la pistache ?...Vais-je dépasser ce camion ?...à quel moment précis ?...A quel moment précis vais-je enclencher mon clignoteur ?...Quel tissu choisirai-je pour les rideaux de ma chambre ?...

En vérité, notre vie n’est faite que d’une succession de choix, à chaque instant. Plus ou moins conscients. Le plus souvent, ces prises de décision se font en automatique. Parfois par habitudes (la programmation du réveil…).

Déjà, dès la sortie des nimbes du sommeil, décider du moment auquel on va se lever : ce n’est pas toujours la décision la plus facile à prendre. Les choix de nos actions s’enchaînent ensuite sans répit. Puisque nous agissons toute la journée, jusqu’à la plongée dans le prochain sommeil.

Il est des choix plus difficiles à poser. Les responsables d’entreprises le savent bien. Certains d’entre nous sont incapables de choisir, paraît-il : c’est faux : ils vivent, finalement, c’est donc qu’ils ont choisi. Mais il est exact que pour quelques-uns d’entre nous, faire un choix est toujours douloureux. Les enfants sont enclins à ces dilemmes, particulièrement.

D’aucuns préfèrent la fuite au choix, dans certains cas. C’est un choix.

Un jour, j’ai pris une conscience aiguë de ce que j’avais toujours, à chaque instant de ma vie, le choix de diriger ma vie dans la direction que je souhaitais : j’y ai découvert une certaine liberté. Certes, un prisonnier voit ses possibilités de choix réduites. C’est probablement pour cela, en partie, qu’il lui est si difficile de réintégrer la vie courante, devant faire face du jour au lendemain à une multitude de choix dans sa journée.

Les situations de choix sont d’autant plus nombreuses et multiples que l’on vit dans une société complexe et développée, société de consommation : il y a plus de tentations dans un pays occidental que dans la plupart des pays d’Afrique.

N’empêche qu’on a, le plus souvent, le choix de sa vie. Ainsi, certains décident soudain de partir découvrir la planète. Rien ne les y forçait. Ils ont un jour fait ce choix. Je pourrais multiplier les exemples de personnes ayant opéré des choix radicaux qui ont complètement désaxé leur trajectoire de vie. En poussant un peu le raisonnement, on aboutit à l’absurde.

Ainsi, à chaque seconde de ma vie, je puis décider telle ou telle action qui aura des conséquences si importantes que le cours de ma vie s’en trouvera considérablement bouleversé. Mais on peut jouir de l’ivresse de cette liberté infinie, …et décider brutalement d’opérer un choix, juste parce qu’on peut. Plaisir gratuit d’un choix qui échappe à la raison. Faire quelque chose, simplement parce j’ai décidé cela, et pas autre chose. Cette conscience-là peut amener à des catastrophes, car alors, on agit irrationnellement, de façon totalement absurde. Je vous renvoie à L’Etranger, de Camus.

Opérer un tel choix, une fois dans son existence peut procurer une étrange sensation d’euphorie, sur le coup…mais entraîner à des catastrophes !

Reste qu’il nous incombe un devoir majeur : celui d’assumer nos choix. C’est la rançon de la liberté. Cette liberté de choix s’accompagne automatiquement du devoir d’assumer ceux-ci. Cette obligation, par définition, est une privation partielle de notre liberté, évidemment. Puisque toute obligation est une privation de liberté, par essence. Disons que je suis libre de faire une bêtise, mais obligé de l’assumer, et d’en payer les conséquences.

Tout cela a l’air simple, dit comme cela.

Mais combien d’entre nous, désormais, oublient ces devoirs ! Faire coucher son enfant très tard tous les soirs est un choix. Il s’agira ensuite d’assumer que, le lendemain, il soit incapable de fournit les efforts de concentration exigés par l’institution scolaire. Et pas s’en prendre à la maîtresse, par exemple, au prétexte qu’elle est nulle, ou qu’elle s’y prend mal, ou que sais-je encore.

Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Je trouve à ce propos justement que dans l’ensemble, nous avons de plus en plus tendance à ne pas assumer nos choix. Pourtant, il me semble qu’il existe un point d’honneur, de fierté, de dignité, à les assumer.

A certains moments de l’histoire de notre humanité s’opèrent des choix de société qui découlent du modus vivendi ambiant. Ils influent irrémédiablement sur l’évolution de la société. C’est ainsi que certains choix scientifiques ou technologiques engagent l’histoire de l’humanité vers des avenirs qui eussent pu être tout autre. Alors qu’au départ, nul n’eût pu imaginer ces évolutions. Il en est ainsi du choix de De Gaulle et de ses conseillers, qui ont engagé la France dans le nucléaire, croyant bien faire, évidemment. Je ne dis pas qu’ils ont mal fait. Je ne suis pas ici dans le jugement. Pensez seulement qu’à l’époque on aurait pu choisir la géothermie, prônée entre autres par Haroun Tazieff (si je ne dis pas de bêtises ; mais, comme d’habitude, vous me contrediriez, j’espère…). Le monde dans lequel nous vivons serait-il le même ?...Assurément non.

Lorsque nous sommes passés du cheval à l’automobile, qui, à l’époque, aurait pu prévoir la pollution qu’elle engendre aujourd’hui ?...

Idem pour la caséine, ancêtre de notre si tristement célèbre « matière plastique ».

Ceci tend à prouver qu’il est parfois impossible d’imaginer les conséquences de nos choix. Je dis « parfois ». Il arrive aussi que les conséquences de certains choix soient tellement claires que, manifestement, on ne devrait pas s’entêter dans ceux-là : hélas ! À l’heure actuelle, ces décisions-là sont légion ! À tel point qu’on peut se demander si les décideurs ne sont pas devenus aveugles et sourds, tant le bon sens semble se perdre…N’exagérons pas, cependant : quand on n’a pas tous les éléments d’un choix en sa connaissance, on ne peut pas juger équitablement des choix d’autrui. Souvent, ceux qui nous gouvernent optent dans des directions incompréhensibles ; parfois ils se sont trompés, parfois ils avaient raison.

Je prendrai l’exemple de M.Pisany, Ministre de l’Agriculture, qui embarqua notre pays, dans les années 60, dans une politique rurale de remembrement. Il ne fallait pas être grand clerc pour prédire que c’était une mauvaise décision écologique. Par contre, à court terme, ce fut peut-être une bonne décision économique…pour certains. Il me souvient d’avoir entendu cet homme il y a quelques années revenir sur cette décision qu’il prit à l’époque sur avis de conseillers techniques avisés, et confesser publiquement que ce fut une erreur, et qu’il la regrettait amèrement. Or, il n’y a rien à regretter, lorsqu’un choix est fait. C’est inutile, stérile, improductif.

J’observe avec inquiétude, et mes pairs aussi, tous les signaux d’alerte qui clignotent au rouge autour de nous : ne serions-nous qu’une petite minorité de gens lucides, ou bien sommes-nous à ce point dans l’erreur ?

Nous avons déglingué la machine climatique. Faux ! nous répond-on. De tous temps il y a eu des événements météorologiques d’exception. C’est vrai.

Le nombre d’injustices augmente. Faux ! nous répond-on. Il n’y a jamais eu autant de comportements humains déréglés. Faux !...Il y en a toujours eu.

Y aura-t-il longtemps de l’air respirable sur cette planète ?...De l’eau potable pour tous ?...De la nourriture pour tous ?...Des animaux en aussi grande variété ?...Des océans propres ?...Retrouvera-t-on un jour des gens humains ?...

OK ! J’ai compris. Excusez-moi, M’sieurs-dames. Je retourne dans ma coquille. Et reviens à mes choix.

Voyez-vous, je devrais faire comme vous : faire le choix de fermer ma goule, de ne pas trop penser « à tout-ça-qui-va-pas », pis continuer mon bonhomme de chemin, ma coquille sur mon dos.

N’empêche, ça me turlupine, cette affaire…

Dites voir un peu : vous croyez, vous, à un monde sans supermarché, sans écrans de toutes sortes, sans bagnoles ni poids lourds sur les routes, à un océan sans plastique ni mazout, à des forêts intactes, à une nature préservée, à une humanité plus humaine ?...

Pas moi.

Toutes les infos vont dans le sens contraire, et les événements s’accélèrent…

Je crains qu’il ne soit trop tard pour faire machine arrière. De toute façon, c’est impossible, personne ne le souhaite. Indifférence.

Au fait, lorsque je me trouvais au Burkina Faso, je n’ai pas trouvé là-bas tant de pollution, et les gens m’ont semblé tellement chaleureux, tellement prêts à prendre le temps de discuter sereinement…Voilà bien qui est incompréhensible.

 

Pour moi, je vais continuer à réfléchir, sereinement, tant que je pourrai…à parler, écrire, et chanter des âneries : après tout, cela n’aura jamais aucune conséquence néfaste, je ne pense pas ?...

C’est mon choix.