Et ça continue !...Certes, le rythme s'est ralenti, mais il y a toujours quelque événement nouveau ou insolite à vous narrer...Bonne lecture ! Bon plaisir !...
Ânerie N°39
17 Juin 2013
Tic Tac : la fête de La Rochette
Ce matin, branle-bas de combat.
Je déboule sur le terrainn aux aurores, avec mon pick-up tractant un van.
« Qu’est-ce que c’est que ce truc ?
- Tu ne reconnais pas, mon Doudou ?... C’est un van.
- Oui, je me souviens vaguement être venu de l’asinerie[1] au pré dans ce truc-là. Que mijotes-tu, mon maître ? Tu ne vas pas me faire grimper à nouveau là-dedans ?...
- Eh bien, si, justement. Aujourd’hui, tu es de sortie, mon lapin.
- Je t’ai déjà dit que je ne suis pas ton lapin. De toute façon, pas question de monter dans ta charrette.
- Tut tut tut ! Bien sûr que tu vas monter dedans. Je vais t’expliquer. Vois-tu, comme tu sais, je suis allé régulièrement à l’Ecole de La Rochette, afin de développer un peu chez les élèves le désir de poésie. Comme ils ont été très gentils avec moi et qu’ils ont bien travaillé, bien chanté, et bien récité, je leur avais promis une surprise. C’est toi, la surprise.
- Comment ça, c’est moi, la surprise ?
- Vois-tu, ils ont bien aimé ma chanson, celle que j’ai composée sur toi, tu te souviens ?
- Oui, bien sûr. Mais où veux-tu en venir ?
- Très simple, mon gros Doudou. Je savais qu’ils seraient ravis de te voir parmi eux à leur fête de fin d’année. Je savais aussi que tu aimes beaucoup les enfants. J’ai donc imaginé de t’amener à leur fête. Et cette fête, elle est aujourd’hui. Tu ne serais pas heureux de leur faire plaisir, à ces petits ?
- Mmmmh ! Pourquoi pas ? De toute façon, je suppose que tu en as parlé aux maîtresses et au maire ? À Françoise[2] ?
- Ben oui, mon gros.
- Ah ! Je vois que tu me connais bien, mon maître. Tu sais pertinemment que je ne peux rien leur refuser, aux petits. Et puis, je suis curieux de voir du pays. Allons-y ! »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Voilà mon âne qui escalade courageusement le pan incliné qui permet l’accès à la remorque.
Mais, sous des apparences courageuses, il appréhende, malgré tout. Parvenu à mi-chemin, il se bloque, deux sabots sur le plancher, les deux postérieurs piqués dans l’herbe. Impossible de le faire avancer !
« Alors, mon Roudoudou, que se passe-t-il ? Tu as changé d’avis ? Tu ne veux plus y aller, à la fête des petits ?
- Si, mais j’ai peur.
- Et de quoi as-tu donc peur, mon bonhomme ?
- De la route. C’est dangereux. Si un accident survenait, je pourrais être blessé, mourir ?
- Mais pourquoi veux-tu qu’il y ait un accident ? Je serai extrêmement prudent, je t’assure.
- Oui, je sais. Tu m’as assuré. Là n’est pas la question. Je ne suis pas rassuré, voilà l’affaire. »
J’ai dû parlementer un peu, développer des arguments. Finalement, de tous ceux-ci, celui qui l’a emporté, c’est la carotte. C’est assez peu glorieux, mais efficace.
Je lui ai dit d’essayer d’observer le paysage. C’était stupide. Attaché à la barre qu’il avait sous le nez, il ne pouvait rien voir du tout. Mais enfin, l’essentiel, c’est que le départ de cette expédition soit donné sans délai.
En effet, de nombreuses tâches m’attendaient à l’arrivée.
Déjà, la veille au soir, j’avais retiré du foin et de la paille de dessous les bâches, en prévision de ce voyage. J’avais stocké ce fourrage, pour la nuit, dans la benne du pick-up. Le matin, dès potron-minet, j’étais allé chercher le van sous le hangar de Marco. J’avais effectué le transbordement du foin et de la paille dans la remorque, la paille comme litière pour mon âne, durant le trajet. Puis, j’avais attelé, manœuvré pour sortir du hangar, et ramené l’ensemble à la maison. Là, j’avais chargé la voiture.
Dans la benne, j’avais entreposé le baril qui servirait d’abreuvoir, des bidons pour transporter l’eau qui servirait à abreuver mon zèbre, les harnais, la couverture, le bât, le licol, la longe, les cordages, les piquets et la ficelle, mes chaussures de marche, des carottes et du pain. Aussi la sono et le matériel divers qui suit celle-ci (câblage, pied de micro…). Dans l’habitacle, ma guitare, les accessoires (porte-guitare, pupitre, sacoche ; la valise et les caisses de bouquins, ma tenue de scène, mes roses…Bref, tout un déménagement. En effet, je devais chanter avec les élèves, puis donner mon spectacle. En suite de quoi, j’avais prévu de permettre aux enfants de monter sur le dos de mon baudet, ce qui ne manquerait pas de leur plaire.
Ainsi, partant du pré avec Tic Tac dans la remorque, s’amorçait une journée magnifique.
Le soleil était prometteur. Rouler tranquillement au milieu des verts champs de notre Charente doucement vallonnée était un ravissement. Je ne cessais de penser à Tic Tac dans sa remorque. Dommage qu’il ne puisse voir le paysage, me disais-je. Je lui parlais dans ma tête : « Regarde ces prés, comme ils sont beaux. Et la ville de Mansle. Nous traversons la Charente sur un pont. Je l’imaginais s’émerveillant. Je rêvais… »
À l’arrivée, déception : Tic Tac s’était, par les frottements, pelé les fesses sur une surface grande comme la paume de ma main ! C’était à vif ! Heureusement que j’avais pensé à emporter la pharmacie ! Je l’ai désinfecté soigneusement. Il était en sueur ! Inondé ! Il avait crotté, bien sûr. Il avait dû avoir très peur, tout le long de ce trajet. Cela m’a attristé. Mais ce n’était pas si grave. Je l’ai attaché au fût d’un arbre par une longue corde. Puis j’ai sorti l’abreuvoir et je suis parti avec les jerricans vers le point d’eau. Il voulait me suivre. Stoppé net au bout de sa corde, il a brait longuement, inquiet de me voir m’éloigner de lui.
- Où vas-tu, mon maître ? Ne me laisse pas !
- Je vais te chercher de l’eau, Doudou. Je reviens. »
Il ne m’a pas quitté des yeux, de loin.
Puis il a bu l’eau fraîche que je lui apportais.
Le temps que j’effectue le débarquement de mes affaires, je l’ai laissé se sécher et se familiariser avec les lieux. Il était bien, à l’orée du petit bois de cèdres. Déjà, il avait de la visite.
Quand je suis revenu, un peu plus tard, je lui ai fait sa toilette. Il a apprécié.
Puis je l’ai laissé au bout de sa corde. Françoise m’avait gentiment invité à déjeuner.
Au retour, il y avait du monde. L’heure du spectacle approchait. Je suis allé me changer, et l’ai abandonné le temps de la représentation.
Quand tout fut fini, j’ai revêtu ma tenue d’âne, et je me suis hâté vers lui.
Il me réclamait de sa trompe sonore qui dominait le brouhaha de la fête, où fusaient les cris de joie des enfants. Il y avait un bel attroupement autour de lui. Tous les enfants étaient ravis de sa présence parmi eux, et je n’eus pas besoin de leur répéter trois fois son nom : tous le surent très vite.
Je commençais par le pansage : l’étrille. Ce faisant, je m’efforçais de répondre aux nombreuses questions que l’on me posait le concernant : « Quel âge a-t-il ? Que mange-t-il ?.... »
Pauline et ses amies furent autorisées à passer le bouchon sur sa pelisse.
Enfin, je le bâtai, tout en discutant avec lui à voix basse.
« Dis-moi donc, mon âne : comment te sens-tu ? Cela va-t-il mieux ?
- Tout à fait, mon maître. Je suis ravi d’être ici, au milieu de ces enfants. Ils sont adorables.
- Alors, tu voudras bien les promener sur ton dos, à tour de rôle ? Il est certain que rien ne saurait leur faire plus plaisir.
- Mais bien sûr, mon vieux. Quand tu veux. Sommes-nous prêts ?
- Oui, mais promets-moi de ne pas être brutal. Tu es responsable d’eux, quand ils sont sur ton échine. Je ne voudrais pas qu’il leur arrive accident, qu’ils chutent, par exemple. Tu seras docile, n’est-ce pas ? Promets-moi, mon Roudoudou.
- Que tu as de drôles d’idées, tout de même ! Pourquoi voudrais-tu que je les fasse tomber ? Ma croirais-tu sournois ? Ou méchant ? N’aie aucune crainte, mon maître. Rassure les parents : tout ira bien, je te le promets. »
Et c’est ainsi que, durant toute l’après-midi, sans jamais se plaindre une seule fois, mon âne voulut bien faire le tour de la prairie, les enfants juchés à tour de rôle sur son dos, coincés entre les montants de bois vernis du bât. Moi, je le guidais, le caveçon ou la bride à la main. Pas une fois il ne fit un faux-pas ou ne trébucha, pas une fois il fit mine d’attaquer un enfant. Au contraire, il rayonnait de douceur.
Oh ! Je n’oublierai pas le sourire illuminé de l’enfant installé sur Tic Tac comme un maharadjah dans son palanquin ! Quelle belle récompense ! Il le savait bien, ce bougre de Tic Tac, comme il leur faisait plaisir, à ces petiotes et ces petiots ! Il me le confiait à l’oreille, dans un souffle :
« Il me semble qu’ils ne sont pas trop mécontents, hein, mon maître ? Est-ce que je ne vais pas trop vite ? Suis-je assez prévenant ?...
- Tu es parfait, mon bonhomme. Ils se régalent, ces petits. Sais-tu que certains n’avaient jamais vu de baudet de leur vie ?
- Non ? Pas possible ! Alors, ils doivent être surpris.
- Assurément, ils le sont, mon lapin. Mais tu me combles aujourd’hui. Jamais je ne t’ai trouvé aussi aimable. Tu rayonnes de bonheur, mon gros. Et tu en donnes plein à ces enfants, en leur permettant de te caresser sur le museau et en les promenant sur ton dos. »
À la fin de l’après-midi, vers sept heures, cependant, Tic Tac commença de donner quelques signes de fatigue. Il refusait d’avancer. Mais toute la population enfantine qui l’avait souhaité était passée sur son échine.
La fête était finie.
Une vague tristesse tomba sur Tic Tac.
« Allons ! Ne sois pas triste, mon âne. Je suis certain que parmi ceux-ci, il en est qui viendront te rendre visite en ton enclos. Peu importe, au fond. Tu as été si gentil aujourd’hui, mon gros Patapouf. J’étais enchanté de cette fête.
- Moi aussi, en vérité. Et puis, j’ai entendu la chanson que tu as écrite pour moi. Elle est très belle. Dans le fond, nous sommes heureux ensemble, il me semble, non ? Et nous avons apporté quelques bons moments à tout ce petit monde. Alors, je ne suis pas triste. J’en aurai des choses à raconter à Robin et à Méline.
- Oui. Voilà qui va alimenter nos conversations un moment, mon gaillard. Je te remercie de t’être prêté de si bonne grâce à ce manège. D’ailleurs, les enseignantes, les parents et les enfants te remercient chaleureusement d’avoir bien voulu jouer les méharis.
- Ils sont gentils. Oui, ce fut une belle fête… »
Quand je l’ai ramené au champ, Robin lui a fait la fête. Il faut dire que lorsque je lui avais ravi son gros compagnon poilu, le matin, il était fou de désespoir, notre bouc, sautant et courant en tous sens, bêlant lamentablement.
Eh bien, Tic Tac, quand je suis reparti, demeurait immobile et songeur, les yeux dans le vague, près de la clôture, semblant méditer…
Ânerie N°40
24 Juin 2013
Tic Tac et les pompons
Savez-vous que l’autre samedi, celui de la fête avec les enfants, ce bougre de têtu n’a jamais voulu accepter que je lui installe les pompons rouges sur le front ? À chaque fois que j’essayais de les lui installer sous les oreilles, il se dérobait. Et dire qu’une amie bien complaisante s’était donné de la peine à les lui confectionner à la hâte, la veille ! J’étais furieux.
« Mais enfin, Tic Tac, pourquoi ne veux-tu pas que je te pose ces pompons sur le front ? En quoi cela te gêne-t-il ?
- Parce que !
- Parce que quoi ? Je ne vois vraiment pas ce que tu leur trouves, à ces pompons. Tu serais si beau ainsi élégamment paré.
- Ne suis-je donc pas beau naturellement ?
- Si, bien sûr, je n’ai jamais cessé de te le dire. Mais enfin, cela mettrait mieux en valeur ta belle robe brune.
- Elle est assez en valeur, je trouve. Elle n’a pas besoin de ces fanfreluches.
- Mais enfin, me diras-tu ce qui te gêne dans ces pompons ? C’est la couleur, peut-être ? Tu n’aimes pas le rouge ?...C’est ça ?
- Eh bien, à dire vrai, oui. Je préfère le jaune.
- Ah non ! Voilà que ça recommence ! Tu me fais le même cinéma que chez le psy ! Ce n’est pas possible, une affaire pareille ! Mais enfin, nom d’une pipe, ne pourrais-tu pas faire un effort, pour une fois ? Je t’assure, ceux-là t’iraient très bien.
- Peut-être, mais ce sera du jaune ou rien. En as-tu, des jaunes ?
- Non. Donc ce sera du rouge ou rien.
- Tu es têtu, mon maître. Alors, ce sera rien.
- Têtu toi-même. Bon, j’ai compris, je les range. Ah ! Je te retiens, toi, avec tes caprices ! Et que va dire cette gentille admiratrice qui a travaillé spécialement et si tard pour toi hier soir ? Ça me rend malade, vois-tu. Elle va m’en vouloir, pour sûr.
- Tu lui expliqueras que tu n’y es pour rien, que c’est moi seul qui suis responsable. Aussi, tu n’avais qu’à me demander, pour la couleur. Je t’aurais dit mes préférences. Vraiment, tu manques de jugeote, mon maître.
- C’est juste. J’aurais dû y penser. Mais aussi, avec tout ce que j’avais en tête, mon pauvre vieux, comment voudrais-tu que je pense à tout ?
- N’en parlons plus. Donne-moi un peu les nouvelles, veux-tu ? Sont-elles bonnes ?
- Bôf ! Comme d’habitude. Tristounet, je dirais. Le temps ne s’arrange pas. Il y a eu des orages de grêle, en de certains endroits, très violents. Les vignobles bordelais ont souffert.
- C‘est bien fait pour eux.
- Pourquoi dis-tu cela, mon âne ? Je ne comprends pas.
- Eh bien, s’ils sont ignobles, ces bordelais, je ne les plains pas d’avoir subi la grêle.
- Qui te dit que les bordelais sont ignobles ? Je n’ai jamais dit cela.
- Si. Tu as dit que les ignobles bordelais ont souffert. Moi, je te dis que si ces gens sont ignobles, ce n’est que justice qu’ils souffrent.
- Oh ! Je comprends ! Il y a erreur, Doudou. Je n’ai pas dit « Les ignobles bordelais ont souffert », mais « les vignobles bordelais ont souffert ». Tu as mal entendu, ou tu ne connais pas le mot.
- Ah bon ! j‘avais mal entendu. J’aime mieux ça, au fond.
- Je crois que je vais te nettoyer les oreilles, mon brave.
- Ah, non ! Laisse mes oreilles tranquilles, je te prie. Parle-moi plutôt de ce que tu as fait ou vu ou entendu ce week-end.
- Si tu y tiens…J’étais en dédicaces à Rochefort ce samedi.
- Ah ? c’est en Charente-Maritime, je pense. La Corderie Royale, l’Hermione…Ah ! la marine …
- Qu’est-ce qui te prend ? D’abord d’où vient que tu connaisses si bien Rochefort ? Je ne sache pas que je t’aie jamais emmené dans ces parages ?
- Non, en effet, tu ne m’y as jamais emmené. Mais je parle, avec Méline, ou avec Jean-Claude. Voilà d’où me viennent ces connaissances.
- Oui, et en plus tu possèdes une mémoire d’éléphant.
- Non. D’âne. Une mémoire d’âne. C’est autrement plus gonflé qu’une mémoire d’éléphant, une mémoire d’âne. Tu sais bien qu’on parle toujours des « Mémoires d’un âne ». Comme quoi, nous, les ânes, on ne possède pas une mémoire, mais plusieurs. Ce qui explique que nous sommes imbattables dans ce domaine-là. Souviens-toi de la mule du pape.
- Oui, oui…Mais je crois que tu fais erreur encore une fois. Lorsqu’on évoque ce livre, « Mémoires d’un âne », c’est pour expliquer que cet âne a écrit ses mémoires, c'est-à-dire sa vie. Il a écrit les souvenirs de sa vie. Et comme tu n’es pas amnésique, essaie de te souvenir de cela. D’ailleurs, dirait-on « Mémoires d’un amnésique » ? Non, bien évidemment. Je te signale à ce propos, que, dans ce sens, mémoire est au masculin.
- Bon, ça va. Il devient difficile de discuter avec toi, je vois.
- Non. C’est simplement que je te trouve gonflé de prétendre que vous, les ânes, avez une mémoire supérieure à celle des éléphants.
- D’abord, qu’est-ce que tu en sais, toi, de la capacité de mémoire des proboscidés ? Hein ? Et de celle des baudets du Poitou ? Comment peux-tu dire cela ? Tu ne fais que répéter ce que d’illustres imbéciles ont dit, et c’est un comportement systématique qui vous caractérise particulièrement, vous, les humains. Vous ne faites que répéter des informations qu’on vous délivre comme ça, tout de go, sans même les vérifier.
- Ne te fâche pas, Tic Tac. Je t’en prie, écoute-moi. Il est impossible de vérifier de par soi-même la multitude d’informations qui nous parviennent chaque jour de notre vie. Il faut donc faire confiance à autrui. Surtout dans le domaine des sciences. Car, pour en arriver à de telles conclusions, certains savants ont passé des années à mettre au point des expériences, à comparer les résultats, à y réfléchir. Dans des domaines si particuliers, il est hors de question d’expérimenter soi-même. Seuls des spécialistes peuvent établir de telles conclusions. Ceci dit, tout le monde peut se tromper, et il arrive qu’eux aussi marchent dans l’erreur parfois. En l’occurrence, ce n’est pas si grave, que tu aies un peu plus ou un peu moins de capacité à mémoriser qu’un éléphant.
- Non, cela n’a guère d’importance, au fond. Et puis, je ne me vois pas avec une trompe. Autre chose, mon maître. N’est-ce pas la Saint Jean d’été, ce soir ?
- Parfaitement, mon gros Roudoudou. Pourquoi cette question ?
- Parce que nous en parlions avec la fée.
- Ah tiens ! Les fées aussi fêtent la Saint Jean ?
- Oui. À leur manière, d’après ce qu’elle m’a dit. Mais qu’est cette fête au juste ?
- C’est un très ancien rite païen, qui consiste à sauter par-dessus les flammes d’un feu, sous les étoiles. On allume des feux dans la campagne pour prolonger le jour qui part jusqu’au suivant, puisque cette nuit est la plus courte de l’année.
- Quel rapport avec Jean le Baptiste ?
- Tu sais, Tic Tac, l’Église, autrefois, afin de mieux chasser les cultes païens qui avaient la vie dure, et d’imposer son emprise sur le peuple, a inventé de coller le nom de ses personnages sacrés sur chaque jour que Dieu fait. Ainsi Jean le Baptiste a vu son nom, comme tant d’autres, associé à une fête païenne ; celle du solstice d’été. On a voulu ainsi gommer le souvenir des cultes anciens pour mieux y imposer les nouveaux.
- Moi j’aimerais bien sauter par-dessus le feu.
- Tu parles ! Trouillard comme tu es, tu prendrais tes jambes à ton cou et t’enfuirais au bout du champ.
-Merci bien ! Quelle idée tu donnes de moi ! Moi, trouillard ? Mais je n’ai aucune vélocité.
- Et alors ? Je ne vois pas le rapport.
-Mais réfléchis un peu. Tiens ! Prends le lièvre, par exemple. Plus froussard que lui, y’a pas, non ? As-tu remarqué à quelle vitesse il détale au moindre bruit ? Pire qu’un train à grande vitesse ! Et le cheval, lui aussi, est peureux, et c’est pourquoi il fuit le danger aussi vite qu’il peut. Et la gazelle ! Voilà bien la championne de course de vitesse !…et de couardise, aussi.
- Voyons Tic Tac. Je ne peux pas te laisser dire cela. Elle n’a aucun moyen de défense. Elle ne peut trouver son salut que dans la fuite. Tu ne peux pas dire que plus un animal court vite, plus il est couard. Regarde le guépard. Le plus rapide au monde. Pourquoi court-il aussi vite ? Pour attraper son ombre, peut-être ? Non. Pour attraper ses proies. Il n’est pas peureux pour autant. Ton raisonnement est faux, mon garçon.
- Peut-être. Mais je ne suis pas exagérément peureux. Simplement, je me méfie. Mais je crois que j’aimerais bien sauter par-dessus un feu.
- De toute façon, lors d’un de tes vols de nuit, comme dirait Saint Exupéry, tu peux toujours en survoler, des feux.
- Qui est ce Saint Exupéry ? Un autre de ces personnages utilisé par l’Église pour imposer son dogme ?
- Non, Tic Tac. C’était un aviateur. Un écrivain, aussi. Et cette allusion que je viens de faire pour te tester, faisait référence au titre de l’un de ses livres. Tu piges, Saint-Ex ? Je vois que tes connaissances ont des lacunes. Tu dois absolument découvrir cet auteur. Il est célèbre particulièrement pour son livre poétique Le Petit Prince. Je t’en ferai la lecture un de ces jours. Une belle histoire d’amitié entre l’auteur tombé en panne dans le désert et un petit prince venu d’une autre planète.
- C’est un peu comme nous deux, alors ? Puisque tu as écrit un livre sur notre amitié, et que je vole…
- Hum ! Pas tout à fait. Enfin, un peu, si tu veux…Mais dis-moi, mon gros Patapouf. Je dors debout. Je rentre. Je dois me reposer. Je te quitte. À demain, mon gros Doudou.
- À demain, mon maître. Et n’oublie pas de me raconter cette histoire demain. J’adore les histoires, tu le sais. »
J’ai levé le nez vers les étoiles sur le chemin de ma maison. Nul bruit de moteur dans le ciel. Une étoile filante a fusé dans un coin du firmament. J’ai pensé : serait-ce le Petit Prince ?...
Ânerie N°41
27 Juin 2013
Tic Tac et les étoiles filantes
L’autre soir, regardant le ciel étoilé, nous causions, Tic Tac, Méline, Robin et moi. À un moment, j’aperçois une étoile filante.
« Oh ! As-tu vu, Tic Tac ? Une étoile filante.
- Oui, mon maître, j’ai vu. Ce n’est jamais qu’une petite météorite. Un simple caillou céleste qui se consume en entrant dans l’atmosphère.
- C’est exact. Cependant, bon nombre de personnes prétendent qu’il faut faire un vœu quand on en aperçoit une.
- Ah ? Tu en as fait un, toi ?
- Oui.
- Et tu crois donc qu’il se réalisera ?
- Voilà qui est tout aussi aléatoire que l’apparition d’une étoile filante dans le ciel étoilé. Mais pourquoi pas ?
- C’est totalement irrationnel. Tu me surprends, mon maître. Je te croyais plus cartésien.
- Je le suis. Mais, réfléchis un peu : il y a deux possibilités : que mon vœu se réalise, ou qu’il ne se réalise pas. Au mieux, il se réalise, au pire, il ne se passe rien. Qu’est-ce que je risque ? Mais si je ne fais pas de vœu, il ne se réalisera pas, ça c’est certain. Conclusion, mieux vaut faire un vœu.
- C’est ce qu’on appelle de l’opportunisme.
- Peut-être, mais ça ne dérange personne.
- Exact. Toutefois, j’attends que tu m’expliques de façon rationnelle en quoi l’apparition de cette brève lueur dans la voûte étoilée pourrait contribuer à la réalisation de ton vœu, alors que, somme toute, tu ne l’as formulé que dans ta tête.
- Bon, mon âne. Vu sous cet angle, en effet, je suis d’accord avec toi, ça ne tient pas la route une seconde. D’un autre côté, ce n’est pas parce que moi ou toi nous ne voyons aucune explication que cela ne peut pas être.
- Fort juste, ma foi. Pour en finir avec cette histoire de vœux, dis-moi donc, ô mon maître vénéré, s’il te souvient qu’un de tes vœux se soit déjà exaucé, par le passé ?
- À la vérité, non. Pour une simple raison : je me souviens parfois que j’ai émis quelque vœu, mais je serais bien incapable de te dire en quoi il consistait, en général, puisque j’oublie cela très vite.
- Hum ! Je ne vois pas très bien pourquoi tu fais des vœux si tu les oublies aussitôt.
- Tu as raison, Tic Tac. Et cela devrait me troubler, assurément. Mais, vois-tu, je n’y attache aucune importance.
- Vous, les humains, et vos croyances ! Que vous êtes étranges !
- Et encore, tu n’as pas tout vu. Sais-tu que pléthore de mes congénères croient qu’une étoile filante est une âme humaine qui voyage ?
- Encore une humanerie, bien sûr !
- Possible. Mais, que sait-on de l’âme, au juste ? Il en est pour croire à la réincarnation de l’âme. »
Je dois vous rappeler que Tic Tac est un peu dur de la feuille. Savez-vous ce qu’il avait compris ?...Il en est pour croire à la réincarnation de l’âne ! Il m’a dit :
- Et alors ? Ce n’est pas idiot. Pourquoi les ânes ne se réincarneraient-ils pas ? »
J’ai bien senti qu’il avait encore les portugaises ensablées. J’ai dit :
« Tic Tac, mon bon, je te parlais de la réincarnation de l’âme, pas de l’âne. Une fois encore, tu as mal entendu.
- Oh ! Ça va ! Dis que je suis sourd aussi, pendant que tu y es ! Bon, OK, j’avais mal entendu. Et alors, je ne vois pas pourquoi, d’ailleurs, je ne pourrais pas croire à la réincarnation des ânes. Tu vois quelque chose qui s’y oppose, toi, mon maître adoré ?
- Non, non. Pourquoi pas, au fond ? On peut bien imaginer qu’après notre mort, nous nous réincarnerons tous les deux. Ainsi, nous nous retrouverons ensemble dans une nouvelle vie. Super !
- Ah ! Tu trouves, toi ? Bôf ! Tu me demanderas mon avis, avant ces réincarnations… »
J’étais sidéré ! Quel mufle !
- Non mais, dis donc, Tic Tac ! Qu’est-ce que cela signifie ? Je te trouve gonflé, quand même ! Dis que tu es malheureux avec moi ?
Là, il a ri si franchement que Louve en a gémi de peur avant de s’enfuir quatre à quatre.
- Je plaisantais, mon maître ! Tu n’as vraiment pas le sens de la plaisanterie ! C’était pour rire, voyons. Tu sais bien comme je t’aime, mon gentil maître. »
Il se frottait rudement contre mon épaule.
« Mmmh !... Est-ce bien sûr, ce mensonge ?
- Je ne mens pas, mon maître, je suis très heureux avec toi, et j’aurais un immense plaisir à te retrouver dans une autre vie.
- Bon, c’est pas bientôt fini, tous les deux ? Je commence à en avoir par-dessus les cornes, de vos âneries, tous les deux. »
Ça, c’est Robin, qui se réveille.
- Toi, le jaloux, si tu n’es pas content, va voir au bout du champ si tu n’y vois pas mes grandes oreilles. »
Sur cette réplique de mon baudet, vexé, sans doute, Robin nous pique un départ de cent mètres.
« Tic Tac, sois gentil avec ton compagnon, il ne mérite pas que tu le traites ainsi.
- Oh ! Il a l’habitude, crois-moi. En outre, il adore ça. Il est tellement sot.
- Tic Tac, cesse, je t’en prie. D’abord, il est loin d’être sot, ce bouc. Surtout depuis que notre amie Méline l’a gratifié d’un peu d’intelligence. D’autre part, même si c’était le cas, cela ne t’autoriserait pas à le traiter de la sorte. »
Sur ce, notre ami bouc revient au petit trot.
« Dis-donc, camarade, elles n’y sont pas. Je ne les ai pas vues. »
Moi :
« De quoi parles-tu, Robin ?
- Mais, des oreilles de Tic Tac, voyons. »
Tic Tac, s’esclaffant :
« Tiens ! Tu vois ce que je te disais ? Il est plus sot encore que je croyais. »
J’avoue que là, j’ai pouffé.
« Qu’avez-vous encore à rire, tous les deux ? Vous vous moquez de moi, une fois de plus, je parie ?
- Mais non, ce n’est rien, bouc, sois rassuré. »
Méline, qui jusque-là n’avait rien dit, prit la parole :
« Mes amis, je pense que je devrais réfléchir à un moyen de doper un peu les cellules grise de son cerveau. Mais je crains que ce ne soit au-delà de mes forces. »
J’ai détourné la conversation, en parlant de la pluie, mais pas du beau temps, puisque cela n’existe plus, dirait-on. C’est alors que Méline a demandé depuis combien de temps nous étions ensemble, Tic Tac et moi.
« Oh ! Cela fera quatre ans en octobre prochain.
- Ce serait peut-être l’occasion de faire un bilan ? a rajouté le bouc, narquois.
- Que veux-tu dire, au juste, Robin ? Précise ta pensée.
- Tu parles ! Il n’en a pas ! a ricané Tic Tac.
- Oh ! Ça va, l’âne ! Je sais ce que je sais, et je dis ce que je dis.
- Belle lapalissade ! Mais au fond, tu as raison, Robin. Si vous avez des critiques à émettre, n’hésitez pas. Allez-y, les garçons, je vous écoute. Je ne voudrais pas que vous pensiez que je suis fermé. Avec moi, on peut s’exprimer franchement, il me semble. Et je le prouve. Allez ! À vous ! Je vous écoute.
(En fin politicien, étant sûr de mon coup, je pouvais sans crainte leur donner la parole : ils n’ont aucune raison de se plaindre ; il y en aurait, je ne leur demanderais pas de s’exprimer ; c’est ainsi que font nos hommes politiques, je les ai bien observés…) »
Il y eut un mouvement de flottement. Mon âne en profita pour décocher un coup de sabot au bouc, en grommelant d’un air mauvais :
« Décidément, tu ne changeras pas, bougre de bouc ! Mais tu finiras par me faire devenir chèvre, toi, avec tes sorties déplacées. C’est malin ! Maintenant, Francis s’est vexé ! Déjà qu’il est susceptible, alors là, bravo ! Il va croire que je pense du mal de lui, et c’est même pas vrai. Mais es-tu sot, mon pauvre !
- Tic Tac, laisse-le tranquille. D’abord, je ne suis même pas vexé. Ensuite, je ne crois rien du tout. Enfin, c’est une excellente occasion de faire un bilan sincère. Dis-moi, mon Roudoudou, avant que tu ne te sois transformé en chèvre, y aurait-il quelque chose qui n’aille pas ?
- Tout va bien, mon maître. L’herbe est abondante, tu ne nous laisses jamais mourir de soif, tu veilles à ce que l’eau soit propre, tu t’occupes bien de moi, que ce soit pour le pansage ou pour me soigner, et tu nous donnes des friandises chaque jour. En outre, tu me fais des câlins, et tu joues avec nous.
Que demander de plus ? Encore plus de pain, si c’est possible. À part ça, je ne vois pas.
- Eh bien, ne rêve pas, mon gros. Le pain, je vais le réduire, car tu en manges trop. J’ai vu que tu commençais à avoir des soucis avec ta peau. C’est de là que ça provient. Rien de grave, rassure-toi. Et toi, Robinwood (il m’arrive parfois, par gentillesse, de le nommer ainsi, ou Robin des Bois), qu’as-tu à dire ?
- Je dois dire que je suis très heureux d’être parmi vous. C’est tout.
- Comment, c’est tout ? Je croyais que tu avais des reproches à faire à notre maître, de la façon dont tu as parlé tout à l’heure. Tu vois bien que tu ferais mieux de te taire, quelquefois. Méline, toi qui lui as donné la parole, ne pourrais-tu pas la lui retirer ? »
Méline a semblé bien embarrassée, la pauvre.
« Euh !...Ce n’est pas dans mes cordes. Maintenant, il parle, eh bien, il en sera ainsi jusqu’à la fin de ses jours. »
Mon baudet a eu un gros soupir :
« Eh bien ! On n’a pas fini, alors ! »
Une fois encore, j’ai parlé d’autre chose :
« Au fait, vous n’êtes pas allé retirer la palette dans le fond du pré, j’espère ? »
Il faut vous dire que l’autre jour, lors de mon tour habituel d’inspection, mon pied gauche a disparu dans le sol ! Je vous assure ! Toute ma jambe s’est enfoncée dans le vide, comme ça, sans prévenir ! Heureusement, plus de peur que de mal. J’ai retiré ma jambe du trou, bien sûr, je n’allais pas rester dans cette ridicule position, assez inconfortable, de surcroît. Puis j’ai examiné l’orifice, qui était dissimulé par les herbes, denses à cet endroit. Très étrange ! Un diamètre d’une trentaine de centimètres, une profondeur de quatre-vingts, et une forme d’entonnoir à l’envers. Rien au fond, que de la terre. Tout cela bien régulier. Ce ne pouvait pas être un terrier d’animal. Il n’y a jamais eu de poteau ou de pylône à cet endroit. Seule explication : les eaux de ruissellement, si abondantes depuis plus de six mois et ces derniers jours particulièrement, ont dû provoquer un affaissement de terrain, peut-être en raison de la présence d’un souterrain dessous. En tout cas, c’est au point le plus creux d’une espèce de cuvette qui s’est marquée sur plusieurs mètres dans le fond du pré.
Donc, j’ai entrepris de le boucher, il y a deux jours, avant que mon âne ne se casse une patte dedans.. J’avais ramené des pierres de chez moi, avec le pick-up. Je les ai transportées dans le haut du champ, avec la brouette, en quatre voyages. À chacun d’eux, mes deux comparses m’escortaient. À l’aller, Tic Tac m’aidait à pousser la brouette en appuyant dessus avec son museau, ce qui me déséquilibrait, évidemment, et je rouspétais. Au retour, à vide, comme je la tirais par derrière moi, il me suivait, posait son mufle dans la caisse et appuyait un peu, faisant osciller tantôt à gauche, tantôt à droite, ainsi, pour avancer, je devais forcer ! Ah ! On peut dire que je suis aidé, avec lui ! Quant à Robin, il ne pensait qu’à jouer, et m’affrontait de ses cornes. C’était bien le moment. Puis, j’ai roulé du terreau que j’ai versé par-dessus les pierres. J’ai posé à nouveau la palette pour empêcher mon âne de se tordre la patte dans le trou. Voilà pourquoi je lui demandais s’il n’avait pas déplacé la palette. Car il est coutumier du fait : dès que quelque objet traîne dans son domaine, Monseigneur Baudet le déplace et joue avec.
Du coup, je n’ai pas eu de réponse. J’irai voir demain. Je me méfie, avec ce garnement !
Méline est repartie. Je les ai laissés dormir. Et je suis rentré, les mains aux poches et le nez dans les étoiles. Louve vagabondait dans les champs qui bordent la route…
Ânerie N°42
7 Juillet 2013
Tic Tac : la mue
« Tu devrais vendre ma laine, tu t’enrichirais », me disait cet âne désormais célèbre.
Il a raison. C’est chaud, le poil de baudet. Et il y a de quoi faire en ce moment ! C’est la mue. Lorsque je l’étrille, je lui arrache des touffes de poils en quantité. C’est ainsi que l’herbe de la prairie en est jonchée. Cela fait comme un tapis brun. C’est vrai que si cela pouvait se tricoter, il y aurait de quoi faire un bon pull pour l’hiver. Donc, il n’avait pas tort.
Mais laissons tomber ce côté vénal des choses, qui ne m’intéresse guère, en vérité. Il n’en reste pas moins que la toilette de Tic Tac, depuis une semaine, prend une tournure impressionnante, comme chaque année à la même époque. L’étrille accroche dans une touffe de poils épais, et je tire de toutes mes forces : elle finit par s’arracher, et je recommence, et ainsi de suite pendant plus d’une demi-heure. Mon âne, patient, ne bronche pas. Cependant, je lui lève la peau. Il ne dit rien.
« Ça ne te fait pas mal, mon Doudou ?
- Non, j’aime bien. Vas-y ! N’aie pas peur. Débarrasse-moi de mon manteau. J’étouffe là-dessous. »
De fait, c’est incroyable, il se tait et ne bouge pas, tout le temps que dure cette séance d’épilation.
Malgré tout, au bout d’un moment, il s’énerve. Et puis, il est des endroits sensibles, que je n’ai pas le droit de toucher : les oreilles. Et il sait fort bien me le faire savoir.
J’ai curé ses sabots, puis j’ai commencé à les lui badigeonner au goudron de Norvège. Pendant que j’étais penché sous son ventre rond, je n’avais pas entendu que nous avions de la visite. Aux bruits de voix, je me suis relevé. Il y avait de l’autre côté du grillage, sur la route, un groupe d’enfants accompagnés d’une jeune personne. Ils étaient fort intéressés par la scène de pansage qui se déroulait sous leurs yeux. Nous avons discuté, bien sûr.
« Voyez-vous, les enfants, je suis pour mon âne à la fois sa coiffeuse, sa manucure, son esthéticienne, son infirmière (j’étais en train de lui nettoyer les yeux au sérum physiologique), son agent publicitaire, car il est célèbre, voyez-vous.
Je leur ai expliqué qu’il était doué de la parole, mais qu’il avait un blocage psychologique qui l’empêchait de parler en présence d’une tierce personne. L’un d’eux l’a très bien compris. Il m’a avoué qu’il lui avait parlé, à lui, l’autre jour, mon âne. J’ai feint de le croire, n’est-ce pas ? Je respecte la candeur des enfants.
Ils sont restés un moment avant de s’en retourner, pensifs.
Tout le temps qu’ils étaient là, Tic Tac n’a pas desserré les dents, mais il a voulu leur montrer combien il m’aimait : il a redoublé de gentillesse à mon égard et m’a abreuvé de câlins baveux. Évidemment, ça a eu son petit succès. Chacun a bien compris qu’il s’agissait de marques d’affection que cet âne témoignait à son maître. Et cela n’a pas manqué d’attirer l’attention de l’auditoire.
Quand tout le monde fut parti, il m’a poussé dans le dos.
« As-tu vu comme je les ai impressionnés, mon maître ?
- Oui, bien sûr, mais j’espère que tu ne l’as pas fait simplement pour te faire remarquer, cabotin ? »
Lui, d’un air supérieur, me snobant :
« Pfff ! N’importe quoi ! Tu me prêtes des sentiments peu honorables ! Je t’aime, mon maître, et j’avais envie de te le montrer. Tu me froisses, si tu me supposes cette mentalité. Tu n’es pas très gentil.
- Bon, bon, n’en parlons plus. C’est la première fois que je vois ces visiteurs, et toi ?
- Moi aussi. Mais quelque chose m’a surpris, tout de même.
- Oui, dis, mon gros.
- Eh bien, c’est la première fois que je vois des enfants dont la couleur de peau est noire. Je ne savais pas que cela existait. C’est surprenant. Explique-moi cela, mon maître. »
Je dus lui faire un cours sur la couleur des épidermes. Lui expliquer que les scientifiques semblent attribuer cette différence de pigmentation à l’exposition plus ou moins prolongée aux rayons du soleil, au fil des générations. Il était passionné. J’ai dû lui expliquer que nous avions dans notre épiderme de la mélanine.
« Méline ! Pourquoi Méline ?
- Non, de la mélanine, Tic Tac. Un pigment qui protège la peau contre la brûlure des rayons solaires.
- Ah bon ! Je me disais aussi : que vient faire notre amie la fée dans cette affaire ?
- Mais sans doute à l’origine, les premiers hominidés étaient-ils noirs, puisque l’Afrique est le berceau de notre humanité, semble-t-il. Et, remontant sous des latitudes moins ensoleillées, ils auraient peu à peu perdu cette coloration foncée pour aboutir aux populations blanches que nous connaissons aujourd’hui. »
Après m’avoir écouté attentivement, mon baudet reprit :
« Alors, ils viennent de loin, ces enfants, pour me voir ? »
J’ai dû doucher un peu son enthousiasme :
« Oui, mais ils ne sont pas venus de leurs différents pays pour voir Tic Tac le célèbre Daudet du Poitou. Ils sont venus en vacances, et, au cours de leur promenade, tout à fait fortuitement, ils t’ont découvert. Ce n’est pas la même chose. Ceci dit, deux venaient du Canada, une autre de Suède, d’autres de Paris. Tu l’as bien entendu comme moi ?
- Oui, oui. J’avais compris. Quand même, ils parleront sûrement de moi à leurs copains quand ils seront de retour chez eux. »
Du coup, mon Tic Tac était tout rêveur. Pensez ! On allait parler de lui dans ces contrées lointaines, dont il n’avait, bien entendu, nulle idée.
Pour le distraire de ses rêveries, après être allé surveiller le trou (vous vous souvenez certainement ?...), j’ai joué avec lui. Vous savez, la règle est simple. Je lui fais peur en fonçant sur lui en courant, en agitant les mains et en criant. Aussitôt, il démarre d’un train d’enfer et fonce au triple galop à travers la prairie, décrivant un grand cercle, avant de revenir vers moi.
Sur-le-champ, je me jette sur lui en agitant les bras. Il a démarré dare-dare. Louve s’est éclipsée à quadruple vitesse, et il valait mieux. Déjà, hier, il l’a attaquée pendant qu’elle faisait ses besoins, et il s’en est fallu de peu qu’elle ne passe sous ses sabots !
Puis, comme à l’accoutumée, il est revenu vers moi dans sa charge lourde. Comme à l’accoutumée, je lui ai fait peur à nouveau. Et, comme à l’accoutumée, il a viré court, levant les postérieurs en lâchant un vent sonore.
Robin sautait partout en criant :
« Sauve qui peut ! »
Louve avait disparu de la circulation. Ce manège a bien duré quelques minutes. Ensuite, il s’est arrêté, soufflant comme une forge, les oreilles en arrière, me regardant en biais.
Je me suis approché.
« Alors, mon gros nounours. Comment ça va ? Voici qui te fait du bien, un peu d’exercice, n’est-ce pas ?
- Peuh ! Tu parles ! Je fais ça tous les jours, en ton absence.
- Ah oui ? Eh bien ça ne paraît pas trop, vu ton embonpoint.
- Dis donc ! Tu ne t’es pas regardé, mon maître ? Tu ferais bien de te donner un peu d’exercice toi-même. »
Il a raison, pensai-je. Cela ne pourrait me faire que du bien.
Il s’est remis à brouter. De temps en temps il revenait vers moi. Robin me taquinait, histoire de se faire gratter le front.
« Elles sont belles, mes cornes, pas vrai ?
- Oui, Robin, elles sont très belles. Cependant, je vais devoir les rogner : l’une d’elles est tellement recourbée qu’elle te rentre dans le crâne. »
Tic Tac, qui n’était pas loin, tout en mangeant, intervint dans notre conversation.
« Laisse tomber, mon maître. Quand elle lui percera le crâne – c’est pas demain la veille, en tout cas -, son intelligence ne risquera pas de s’échapper par ce pertuis : pour ce qu’il en est doté !
- Ben voilà ! Quel abruti, ce Tic Tac ! Il n’en rate pas une ! Oh ! C’est malin ! Entre nous soit dit, la nature aurait pu te fournir une paire de cornes, à toi aussi. Tu serais sûrement plus chouette. Parce que là, tu n’as vraiment rien pour plaire. Je demanderai à Méline qu’elle t’en fasse pousser une sur le front.
- Primo : bouc, mêle-toi donc de ce qui te regarde ; secundo : pourquoi une seule ? J’aurais l’air malin, en licorne !
- Eh bien, parce que ça ne doit déjà pas être facile d’en faire pousser une : tu as la tête si dure ! »
Au lieu de répondre, mon baudet a attaqué Robin, qui a détalé comme un lapin.
Méline est arrivée sur ces entrefaites.
« Bonjour, Méline ! Comment vas-tu ? Tu es revenue de ton congrès ?
- Bonjour mes amis. Je vais bien. Vous aussi, je vois. Les enfants s’amusent ? »
Tic Tac avance son museau vers la fée.
Elle volette vers lui pour le caresser sur les naseaux.
« On ne jouait pas, dit Robin.
- Ah ? Tiens, j’aurais pourtant juré…
- Non, on ne jouait pas. Cet idiot de bouc s’est moqué de moi. Alors, j’ai voulu le corriger.
- Mais dis donc, mon gros amour, es-tu certain que tu ne t’étais pas toi-même moqué de lui ? Hein ?...
- Heu…non. Je ne m’en souviens pas, en tout cas.
- Tut, tut, tut !...J’ai tout entendu. Alors, comme ça, tu veux une corne sur le front, mon ange ?
- Je n’ai jamais rien dit de tel. Je m’en voudrais de ressembler un tant soit peu à cet encorné. J’aurais bonne mine.
- Allons, tu serais magnifique en licorne, mon cœur. Laisse-moi essayer. »
Mais cette initiative n’a pas dû plaire à mon baudet : il s’est enfui en caracolant jusqu’au fond du pré en criant qu’il ne voulait pas, qu’il avait déjà une paire d’ailes, et que ça lui suffisait comme attributs.
Méline, le bouc et moi riions de bon cœur.
Quand il est revenu au petit trot, méfiant, Méline l’a rassuré.
« Que tu es bête, mon gros amour ! C’était pour rire. Je plaisantais. Tu m’as crue ?
- Bien sûr qu’il t’a crue, grommela Robin, ajoutant son grain de sel. Il croit tout ce qu’on lui dit, ce gros bêta. »
Je dus intervenir, sentant naître à nouveau une querelle qui aurait pu dégénérer en pugilat.
Pour faire plaisir à Tic Tac, je lui ai chanté sa chanson. Il battait la mesure, en cadence, de la queue et du chef, les oreilles oscillant tantôt à droite, tantôt à gauche.
Méline aussi battait la mesure de sa baguette magique qui faisait éclore à chaque coup un peu vif une pluie de petites étoiles d’un rose bleuté.
Robin piquait du nez tristement.
« Bien sûr ! Il n’y en a que pour ce grand dadais. Moi aussi, j’aimerais bien que tu composes une chanson sur moi. Mais, pas de danger !
- Allons, ne pleure pas, lui dis-je, si tu es patient, ça viendra peut-être.
- Quel jaloux, ce bouc ! Tu ne changeras pas, décidément. Ce n’est pas parce qu’il n’a pas inventé une chanson sur toi qu’il ne t’aime pas, notre maître. Tu peux me croire.
- C’est vrai, Robin. Moi qui sais lire dans le cœur des gens, je puis t’affirmer qu’il t’aime bien, ton maître. Sur ce, mes enfants, je vous laisse. J’ai à faire. Tu m’accompagnes, Tic Tac ? …Au revoir Robin, au revoir, Francis.
- Au revoir Méline, avons-nous répondu avec un bel ensemble. »
J’ai regardé Tic Tac s’envoler dans la nuit étoilée avec son amie la fée, dans un grand bruit de battement d’ailes. Robin s’était couché.
J’ai pris le chemin de ma demeure, Louve dans mes jambes…
Ânerie N°43
14 Juillet 2013
Tic Tac : feu d’artifice
Comme certains d’entre vous le savent sans doute, chères lectrices et chers lecteurs, je m’étais exilé quelques jours en Bretagne. À mon retour, cet être singulier qu’est mon baudet, contrairement à son habitude en pareil cas, ne me fit pas la tête. Pas de bouderie. Pas de réflexion culpabilisante. Pas de silence intempestif.
Non. Rien de tout cela. La simple et franche manifestation de son affection. Une sonore clameur guerrière, quelques rudes câlins. De la curiosité réelle. Il m’a soumis à un interrogatoire en règle. Il voulait tout savoir : la durée du trajet, les conditions de circulation, la météo, la binette des bretonnes et des bretons rencontrés, leurs noms et prénoms, leur sexe, leur degré de gentillesse, ce que j’avais mangé, et où, si la chambre était convenable, si j’avais bien dormi, si ma prestation s’était bien déroulée et en quelles conditions, comment s’était comportée Louve, si j’avais parlé de lui à mon amie Janine, que j’étais allé voir sur le chemin du retour…bref, ce fut à peu près comme une enquête du commissaire Moulin.
Je me suis prêté de bonne grâce à ce questionnement. Jusqu’au prix du péage !
« Entre nous, mon bon, je me demande bien en quoi le prix du péage t’intéresse, ai-je ajouté en riant.
- Mais, voyons, mon maître, rien de ce qui fait ton quotidien ne m’est indifférent. Sais-tu que je me suis renseigné en ton absence ? Je sais exactement quelles régions tu as traversées, leurs spécialités, leurs caractéristiques principales, les préfectures et les sous-préfectures, les résultats des dernières élections dans chaque canton, le nombre d’habitants, de chômeurs, de personnes en retraite, de Centres Leclerc et de Librairies … »
J’étais stupéfait ! J’ai dû l’interrompre.
« Mon Dieu ! Se peut-il que tu aies appris tout cela par cœur, mon gros Doudou ?
- Pardi ! Interroge-moi, pour voir…
- Non, non ! Je te crois sur parole, Tic Tac. Je te sais capable d’une telle performance. Sais-tu que tu es un être étonnant, tout de même ?
- Je sais, je sais. C’est ce que me dit souvent la fée. »
Là-dessus, le bouc est intervenu. Cela faisait un moment déjà que ça le chatouillait de placer son grain de sel. Il se grattait ostensiblement l’oreille de sa patte arrière, depuis quelques minutes. C’est un signe qui ne trompe pas.
« Oh ! ça va bien, l’intello ! On finira par le savoir, que t’es surdoué ! Moi, je dirais plutôt qu’il n’a aucun mérite : la nature l’a fait ainsi, il n’y est pour rien. Ce serait plutôt monstrueux, je trouve. Il ne suffisait pas qu’il ait des oreilles de Radamar[1], voilà qu’il a un cerveau comme un ordinateur. À part lui faire enfler les chevilles, je ne vois pas très bien ce qu’il y gagne. La terre ne le porte plus. »
Vlan ! Un coup de patte de mon âne fut sa réponse la plus immédiate. Robin s’enfuit au galop en couinant comme un goret qu’on égorge.
« As-tu senti si mes chevilles sont enflées, bouc ? »
« Je vois que les relations ne se sont pas améliorées en mon absence. Je comprends pourquoi le bouc s’est enfui du champ l’autre jour : tu le martyrises, Tic Tac. Je t’interdis de l’étriller ! Je suis là pour ça, si nécessaire. Pour peu qu’il se plaigne, la SPA va m’envoyer au tribunal ! Promets-moi de ne plus le toucher, dorénavant. »
C’est vrai, quoi. De nos jours, il en faut moins que ça pour se retrouver sur la sellette.
Il a promis. Mais je sais ce que sont les promesses : nos hommes politiques en font tant, et ils en tiennent si peu !
Pour distraire mes bêtes de leurs stupides querelles de députés, j’ai entrepris de leur raconter une partie de mon voyage.
Ils ont paru passionnés par ma relation orale : il est vrai que je conte si bien, comme ils me disent tous deux, toute modestie mise à part, bien sûr…[2]
Comme je leur expliquais que la campagne n’était vraiment verdoyante qu’en Charentes et en Deux-Sèvres, que j’étais passé près de Niort, Tic Tac s’est exclamé :
« Ah ! …les deux chèvres ! Le pays de Marcel Haï ! Si célèbre pour sa Denise verte !... »
Je l’ai regardé, ahuri. Je ne comprenais rien à ce qu’il me racontait.
« Que dis-tu là, mon Roudoudou ? Je ne comprends rien à ce que tu me dis.
- Forcément ! À vouloir être si savant, personne ne comprend plus rien à ce qu’il dégoise, celui-là, ajouta Robin entre ses dents.
- Ben oui, ironisait son comparse : n’as-tu jamais entendu parler de la Denise Verte, de Marcel Haï ?
- … »
C’est le bouc qui m’a donné la clé de l’énigme.
« Il veut parler de la Jument verte, de Marcel Aymé. Il mélange tout : la Venise verte et la Denise verte. Et puis, pauvre andouille, ce n’est pas Marcel Haï, mais Marcel Aymé. Il mélange tout. Voilà que nous en sommes maintenant arrivés au point que, comme font les journalistes pour les discours de votre Président, il faut que je décrypte ses propos ! Si c’est pas malheureux, tout de même !
- Mais tu n’as rien compris, boudin blanc ! C’était une blague ! C’est à dessein que j’ai sorti ça. Pour vous faire rire. Mais évidemment, vous demeurez inaccessibles à mon humour… »
Je dois dire que j’étais totalement éberlué ! Se pouvait-il qu’en si peu de temps, mes bêtes aient évolué si vite ? Je me suis senti déphasé, sur le coup. Comprenez-moi : en deux jours, l’un a acquis une somme de connaissances ardues et se permet un humour à tiroirs, l’autre, qui était bête comme ses cornes, est devenu d’une pertinence et d’un discernement à couper le souffle ! Ma parole, j’en parlerai à la fée. Elle a fait des miracles. Elle pourrait peut-être intervenir pour moi ? Quoique…Il est sans doute trop tard ? Elle ne pourrait rien pour moi, je pense, à mon âge…
Alors, d’un ton que je voulais léger, pour masquer mon désarroi, j’ai parlé du feu d’artifices. Ben oui. C’était le treize juillet, après tout.
« N’avez-vous pas eu trop peur du feu d’artifices, hier soir, les garçons ? Louve était effrayée par les détonations, et ne savait plus où se mettre.
- Voilà qui ne m’étonne guère. Elle est si trouillarde, ta chienne ! Nous, on a beaucoup apprécié le spectacle. Hein, bouc ?
- Oui. C’était beau ! Toutes ces lumières de toutes les couleurs qui naissaient dans le ciel, comme des fleurs.
- Et ces bruits de tonnerre ! Super ! ajouta l’âne. Il y en avait dans toutes les directions du ciel. À ne plus savoir où donner de la tête. D’ailleurs, je suis allé voir de plus près, avec Méline.
- Oui ! Même qu’ils m’ont laissé seul un long moment. J’aime pas rester seul. Surtout la nuit.
- Bon ! Tu ne vas pas recommencer à te plaindre ! C’est bon ! Je ne suis pas resté absent toute la nuit. J’ai juste pris un peu de hauteur pour considérer mieux le spectacle.
- Mais, Tic Tac, cela aurait pu être dangereux ! N’as-tu pas songé qu’une fusée aurait pu t’atteindre en plein vol et te blesser ?...
- …comme les tirs de DCA, surenchérit alors en riant Robin. Je vois ça de là : bombardier touché ! La descente en piqué d’un baudet du Poitou en flammes ! Quel tableau ! Tu te serais écrasé au sol, comme une torche ! Tu vois la peine de notre maître !
- Arrête ton cinéma, bouc ! N’importe quoi ! Pourquoi veux-tu qu’il m’arrive ce que tu dis ? Je ne risquais rien, avec Méline.
- Ah bon ! Et pourquoi donc ? L’amour sauve tout, sans doute ? »
À nouveau, Tic Tac, blessé par la réflexion de son compagnon, le chassa de son voisinage.
« Jaloux, va ! En quoi cela te gêne-t-il, les sentiments que me porte Méline ? D’abord, cela ne te regarde pas. C’est mon affaire, il me semble. »
J’étais un peu étonné. J’avais bien remarqué que Méline avait un faible pour Tic Tac. Ainsi, cela se confirmait…
« L’essentiel, c’est que tu n’aies pas été touché, mon gros lapin. Somme toute, vous avez été ravis du spectacle, si j’ai bien compris.
- Je ne suis pas ton lapin, je te l’ai déjà dit, et je ne suis pas gros. Mais toi, tu n’as pas regardé ?
- J’étais fatigué. Et puis, je n’apprécie pas du tout ce genre de manifestation. C’est de l’argent balancé en l’air, c’est le cas de le dire. À la vérité, je n’apprécie guère l’odeur de la poudre, mes amis. Elle me fait irrémédiablement pensé aux guerres, voyez-vous.
- Pourtant, c’est une fête de la liberté, non ? a ajouté Tic Tac.
- Assurément. Cependant, je me méfie de cette invention : elle a produit plus de dégâts qu’elle n’a fait naître de bienfaits. Et ça continue. Décidément, je suis opposé aux pétards, aux canons et aux fusils, je crois. Mais cela m’est personnel. Parlons d’autre chose, voulez-vous ? Dis donc, Robin, tu as abîmé la clôture en plusieurs endroits. J’ai dû réparer, comme tu as pu voir. Pourquoi fais-tu cela ? N’es-tu pas bien ici ?
- Oh ! Je ne suis pas mal…
- Le ton que tu y mets veut tout dire : qu’y a-t-il donc qui ne va pas, mon Robin ?
- Oh ! Rien…
- Allons, ne fais pas ta tête, dis-moi plutôt. Quelque chose ne te convient pas, dans ta vie ici ?
- C’est juste que, de temps en temps, j’aimerais bien voir du pays. Après tout, tu vas bien te promener, toi ? Pourquoi n’aurais-je pas envie d’aller voir le monde extérieur, moi aussi ?
- Écoutez-moi ça ! Monsieur veut voir du pays ! J’aurais tout entendu !
- Je t’en prie, Tic Tac. Toi, tu voyages. Je te sors de temps à autre de ta prairie. Tu t’évades la nuit. Pas lui. Il faut le comprendre. D’ailleurs, il a été très raisonnable. Il n’est pas parti bien loin. Mais enfin, cher bouc, ne recommence pas cette plaisanterie trop souvent. Il pourrait t’arriver du mal. Un véhicule pourrait te renverser. Les autos et les camions roulent vite, comme tu sais. Promets-moi de te tenir tranquille, à l’avenir.
- C’est bon, puisque tu y tiens. »
Pour sceller cette promesse, nous avons jouté ensemble. Tic Tac est parti soudain au triple galop, caracolant comme une jument…brune. Louve s’est faufilée par la barrière pour se mettre à l’abri. Il était temps ! Mon baudet arrivait à bride abattue vers elle, faisant trembler le sol sous ses sabots ! Il a freiné des quatre fers (il n’en a pas : c’est une expression !), dans un nuage de poussière.
Quand je me suis approché, il a secoué sa tête et il est reparti comme un bolide, levant les pattes de derrière en ma direction. Pour jouer, bien sûr.
J’ai refermé le cadenas qui les protège du monde extérieur, et je suis retourné dans mes foyers.
Ânerie N°44
30 Juillet 2013
Tic Tac : la tempête
« Quel vent, mes amis ! Vous n’avez pas idée de la violence de l’ouragan qui m’a réveillé cette nuit ! Bon. Évidemment, comme m’a dit mon maître le matin : ne te plains pas, tu aurais pu perdre tes oreilles. Donc, en effet, mes oreilles qui, comme vous le savez, sont fort grandes, ne se sont pas arrachées. De toute façon, je dors sous l’abri. J’ai bien pointé mon nez un peu au dehors, mais j’ai vite compris qu’il valait mieux rester tranquille. Je l’ai dit au bouc : ce n’est pas le moment de sortir, ou tu vas découvrir le vol horizontal à grande vitesse et te retrouver à Vladivostok en moins de temps qu’il n’en faut pour dire ouf. Heureusement, il m’a écouté. D’ailleurs, Méline était avec nous. Elle m’a demandé de ne pas chercher à faire le malin en tentant une sortie dans les airs, qui étaient furieusement agités. Ça ronflait, mes amis ! On aurait dit les réacteurs d’un airbus A380 au décollage !
À un moment, il y eut un craquement sinistre : j’ai découvert, au petit jour, que c’était une grosse branche de mon grand noyer qui s’était brisée. Puis, allant me rafraîchir à l’abreuvoir, j’ai eu la surprise de découvrir un spectacle insolite : le noyer qui abrite les bacs à eau avait basculé à quarante-cinq degrés, déraciné ! Je ne pouvais approcher qu’en longeant la clôture ! Quelle affaire, mes amis ! Alors aujourd’hui, mon maître et son camarade Jean-Claude sont venus le débiter. Jean-Claude maniait un instrument barbare qui faisait un boucan du tonnerre de Brest, qu’ils appellent une tronçonneuse. Toute la journée, ils sont restés auprès de nous, à travailler. J’étais content. Je ne sais pas pourquoi, mais ils n’arrêtaient pas de dire en rigolant que je suis casse-pieds. Pourtant, je ne cherchais que des câlins. Quel changement dans mon paysage ! Ce monceau de feuilles et de branchages ! Je n’avais jamais vu un tel spectacle ! À la fin, le tronc et les branches étaient débités. Cela fait un grand vide maintenant. Du coup, mon maître a déplacé un des deux abreuvoirs. Il l’a attaché à l’aide d’une corde à sa voiture et l’a tiré sous le grand noyer, près de ma cabane. Au moins, il sera à l’ombre. Il pense à tout, mon maître, pour mon confort. »
Ânerie N°45
6 août 2013
Tic Tac : un nouveau venu
Ce matin, je suis arrivé au terrain avec Louve et un de ses copains. Enfin, je dis copain, mais personne ne lui a demandé son avis : il s’agit du chien de mon fils, en pension chez moi pour quelques jours.
C’est un chien jeune et fort beau. Il tient du loup et du colley. Si j’osais un jeu de mots, je dirais : c’est un colley monté, puisqu’il vient de la montagne. Il a vécu jusqu’ici dans les Alpes italiennes. Mon fils a longtemps vécu dans le Piémont italien. Cet animal n’avait donc jusqu’ici, connu que les forêts pentues du versant italien des Alpes.
Il est jeune. Il est vif. Il est joueur. Il adore jouer avec les chevreuils et les moutons. C’est ainsi que deux de ces sottes mais délicieuses bêtes, ayant refusé de jouer avec lui, se sont tuées stupidement dans un torrent. Évidemment, leur propriétaire n’a pas vraiment apprécié le jeu. Aussi, je l’ai à l’œil. Je me disais, sur le chemin du champ : « Pourvu qu’il ne lui prenne pas l’envie de jouer avec le bouc, il y a assez de Louve qui le course. Ce pauvre Robin est suffisamment importuné par la chienne et l’âne. »
Aussi ai-je été agréablement surpris de constater que le copain de Louve n’a pas joué avec Robin. Par contre, il a joué avec Tic Tac, sans lui demander son avis, et ça, ça ne lui a pas plu du tout, à mon Tic Tac.
Il a tout d’abord été fort surpris à la vue de mon géant de baudet. Et aussitôt le rodéo a commencé. Il s’est mis à tourner autour de Tic Tac en aboyant furieusement.
Le jeu n’a pas plu du tout à mon âne, qui lui a foncé dessus incontinent. J’ai compris qu’ils n’étaient pas faits pour s’entendre. Ce chien est d’une grande agilité, et très rapide. Il a tourné autour de mon grand gaillard, toujours en furie, cherchant à le mordre aux jarrets. Tic Tac a instantanément envoyé une ruade, que Loulou a évitée (j’ai baptisé ce chien Loulou, Loup, mais en fait, son vrai nom c’est Idéfixe). Mon baudet est parti au grand galop, caracolant comme un possédé, tantôt levant le cul et les pattes vers le cabot, toujours teigneux, qui ne le lâchait pas, tantôt lui fonçant dessus comme une locomotive. Du coup, vous pensez bien que Louve aussi a voulu être de la partie. Elle aussi a ajouté sa voix et ses courses folles autour des protagonistes, ne comprenant rien à ce nouveau jeu. Je vous laisse imaginer la panique du Robin ! Il accompagne toujours son copain Tic Tac dans les moments de frénésie. Lui aussi galopait comme un perdu autour des danseurs. Il passait entre l’un et l’autre, au risque de se faire bousculer par mon mastodonte lancé au triple galop. Quel cirque ! Quel charivari ! C’était tout à fait comme dans les corridas. Sauf qu’il n’y avait ni toreador ni taureau. Finalement, comme il n’y avait ni arène ni spectateurs pour pousser des « olé » enflammés, ce n’était pas du tout comme dans une corrida. Mais enfin, vous m’avez compris. Ce fut une belle course poursuite.
J’ai crié à Loup d’arrêter, mais il ne m’a pas écouté. Comme tous les jeunes, l’obéissance n’est pas son fort. Quoique – non, je ne vous parle pas de Couac, la chatte blanche de Jean-Claude et Anne, je me demande d’ailleurs ce qu’elle serait venue faire dans ce carrousel, la pauvre !...- quoique, disais-je, réflexion faite, j’aurais dû lui parler en italien. Il ne comprend peut-être pas le français, ce chien italien. Pensez donc ! Si je vous dis : « Qui ! (prononcez : coui) », que faites-vous ?...Hein ?...Vous ne viendrez pas à mes pieds en courant, n’est-ce pas ?...Forcément, si vous ignorez le sens de ce mot, c’est comme si je parlais à un mur. Au fait, qui signifie « ici » en italien. Notez au passage comme je suis doué pour les langues. Mais revenons à nos moutons. Du moins à nos bestioles. Imaginez la scène. Harcelé par ce chien enragé, qu’il ne connaît ni d’Adam ni d’Eve, et qui fait brusquement irruption sur son territoire, mon bon Tic Tac fuit comme dératé, décochant de temps à autre des ruades au loup qui a le culot de venir le défier sur ses terres ; Louve ajoute à la cacophonie de sa voix puissante et galope aussi autour des protagonistes, et le bouc danse au milieu de tout ça, complètement dépassé, effaré.
Tic Tac, le molosse toujours à ses trousses, après avoir décrit un grand cercle, revient vers sa cabane comme un bolide, passe en trombe entre celle-ci et la palissade, réapparaît brusquement de derrière elle, bifurque et opère un virage en épingle à cheveux qui surprend tout le monde. Le malheureux bouc se trouve coincé entre la palissade et mon âne, qui n’hésite pas une seconde et happe au passage ce pauvre Robin par la peau du dos, le soulevant de terre dans la foulée et l’emporte dans sa folle cavale : une fois de plus, Robin joue parfaitement son rôle de bouc émissaire. Voici maintenant l’étrange cavalcade de ce bouc qui secoue frénétiquement ses pattes dans le vide en bêlant d’un cri désespéré, emporté par mon grand échalas de baudet du Poitou qui le tient entre ses dents, poursuivi par ce Loup déchaîné qui le talonne, et Louve qui, ayant soudain réalisé le danger de la situation, n’hésite plus et s’enfuit courageusement par l’entrebâillement du portail. Une prudente retraite vaut mieux qu’une absurde témérité. Quelques mètres plus loin, Tic Tac desserre soudain les dents, déposant son paquet sans douceur sur le gazon du pré. Ce pauvre bouc ne sait plus où se réfugier, complètement paniqué, et galope en tous sens, éperdu.
Cette séance digne des plus grands numéros du cirque Pinder se poursuivra encore quelques minutes avant que je ne parvienne à mettre la main au collet du colley (hum ! facile, celui-ci, je vous l’accorde).
Je mets illico Loup, mauvais joueur, sur la touche, de l’autre côté du portail, et le laisse à l’attache, le temps que les choses se calment. Entr’acte. Cependant, il n’y aura pas de seconde mi-temps, ni de prolongation. Le juge que je suis, fort sage, a décidé d’écourter la partie. Match nul. Je verrai à proposer un match retour demain. Je dois y réfléchir. Je consulterai le staff. Pour l’heure, l’adversaire s’est arrêté près de la palissade, et souffle comme un bœuf. Je me dois de le réconforter.
« Eh bien, mon vieux Tic Tac ! Quelle affaire ! Tu ne t’attendais certes pas à une telle partie !
- Ah ça ! Tu peux le dire ! Mais d’où tu le sors ce malade ? Tu voulais me faire peur, c’est ça ? Ça t’amuse ce genre de surprise ? Ben moi, pas du tout. Ne me refais pas le coup une seconde fois, mon maître, ou je ne t’adresse plus la parole pendant un mois. Et tu seras bien ennuyé pour écrire tes Âneries. Tu n’auras plus rien à dire à tes lecteurs. Vois : j’en suis encore tout essoufflé. C’est un coup à me tuer d’un arrêt cardiaque, ça. Vrai, tu n’es pas chic, Francis. Sur ce coup-là, je t’en veux un peu, tout de même.
- Mais, mon bon, j’ignorais que les choses tourneraient ainsi.
- Alors, tu n’as vraiment pas de cervelle. Il était évident qu’avec un jeune fou de la sorte, il ne pouvait en être autrement. Pourquoi ne l’as-tu pas rappelé ?
- Mais je l’ai rappelé. Mais il ne m’a pas écouté. Je me demande s’il comprend le français, au fait. Il est Italien.
- Alors, de surcroît, il est Italien ? Remarque, ça ne m’étonne pas. C’est tous des malades ces gens-là : il n’y a qu’à les voir conduire sur les routes : des as de la vitesse !
- Ne dis pas de mal des Italiens, Tic Tac. Ils sont adorables. Surtout les femmes. Et puis, il descend de la montagne.
- Et alors ? Toi tu descends bien du singe, et tu ne m’agresses pas de la sorte ? »
Cependant, je le flattais à l’encolure, lui caressais le museau, les babines, il se frottait à moi.
« Au fait, tu sais, mon maître. Je n’ai pas eu peur, et je n’ai pas fui. C’est que nous, les ânes, nous nous défendons par les ruades. Je ne suis pas couard, comme ta chienne. Décidément, je n’aimerai jamais cette race de bestiaux. Je hais les chiens, autant que mes ancêtres détestaient les loups.
- Je n’ai jamais pensé que tu étais poltron, mon Roudoudou. Au contraire. Ta stratégie était la bonne. Regretterais-tu que j’aie mis fin si vite à votre entretien ?
- Pas vraiment. Tu as eu raison. J’aurais fini par l’aplatir comme une carpette. D’ailleurs, ce n’est que partie remise. J’aurai ma revanche, je t’en fais serment.
- S’il te plaît, mon gros, ça, il vaudrait peut-être mieux éviter, vois-tu. Car c’est le chien de mon fils. Il n’apprécierait pas de le retrouver plat comme une galette. Que lui dirais-je alors ? Qu’il est passé sous un rouleau compresseur ? Il ne me croirait pas. Mais il serait furieux, à coup sûr. Pas ça, je t’en prie, faites la paix. »
Tout en devisant, nous nous étions rapprochés du portail, où j’avais attaché le fauteur de trouble.
« La paix ? Jamais !
- Mais enfin, Gordes, aurons-nous point la paix ?[1] »
Je pensais à toutes ces guerres depuis la nuit des temps, entre les ânes et les lions, les guépards et les gazelles, les hommes et les loups, les hommes et les hommes …
Bien sûr, ce jeune fou de chien tirant sur sa laisse à la rompre, aboyait furieusement derrière le grillage au nez de mon âne qui, complaisamment le lui tendait pour le narguer.
Je crus qu’il allait lui décocher une de ces ruades magistrales dont il a le secret, mais non, il repartit au galop, visiblement assez en colère. Cette fois, le bouc eut la sagesse de s’écarter de son chemin.
Je sortis du pré, refermai la barrière tristement, méditant sur la difficulté des relations entre les êtres.
« Tiens, me dis-je. Au fond, il y a beaucoup moins de problèmes avec Louve. Je n’ai pas à me fâcher. Un geste à peine perceptible, et elle arrive, soumise, obéissante. Non pas que cela m’emplisse d’aise, d’être ainsi obéi au doigt et à l’œil. Mais à la vérité, cette complicité extrême entre ma chienne et moi, ou mon baudet et moi simplifie les choses et amène de la sécurité pour tout le monde, par la rapidité dans la compréhension des messages. Mais tout cela importe peu.
Je fais le malin, comme ça, mais en vérité, je n’étais pas serein du tout, tout du long de cette scène de panique. J’ai craint pour ce Loup à moi confié (il eût été pris sous les sabots de mon âne, qu’il eut pu en perdre la vie, ou des dents, ou s’y briser la cage thoracique), tout autant que pour mon Tic Tac, qui aurait pu, mordu, tomber en pleine course et se casser une patte.
Je n’ai pas été assez prudent, sans doute. Mais, avec les animaux, on ne se méfie jamais assez. Leurs réactions sont imprévisibles.
Ce soir, nous sommes retournés au champ : Loup est resté attaché de l’autre côté de la barrière…
Ânerie N°46
9 août 2013
Tic Tac m’aide
Le coup de vent du 27 juillet dernier avait endommagé la palissade coupe-vent qui protège la cabane des vents du nord et d’est. Je devais donc la réparer. Hier déjà, j’avais commencé le démantèlement de cette barrière. Je m’étais aperçu alors que le bois était pourri, et qu’il fallait refaire la palissade avec du bois neuf. Tout s’use...
Aujourd’hui, donc, j’ai procédé à la démolition des dernières planches, et à la reconstruction de l’ensemble.
Avec l’aide de Tic Tac, bien sûr. Il m’a très peu quitté et beaucoup aidé. Ainsi, à chaque planche déclouée, il m’accompagnait, étant toujours dans mon passage. J’avais posé ma chemise sur la barrière : il s’en est emparé et l’a mâchonnée…
« Tic Tac ! Que fais-tu ?...Ma chemise !... »
Trop tard ! Elle est tachée, toute gluante de sa salive…
Il a voulu se faire pardonner, sans doute, un peu plus tard : de ses dents il a enlevé la dernière planche qui restait encore clouée aux poteaux. Eh oui, il avait observé le déroulement des opérations, et avait parfaitement la manœuvre. Que pouvais-je faire d’autre que le remercier ?...
Bien sûr, il se frottait constamment à moi, en quête de câlins.
« Écoute, mon vieux, ce n’est pas le moment. Laisse-moi tranquille !
- Mon maître ! Moi je veux te faire des câlins et j’aimerais me rendre utile.
- C’est gentil, mon bonhomme. Allez, dégage, tu me gênes. »
Bien sûr, il ne s’est pas déplacé d’un pouce. J’ai dû le pousser de l’épaule. En fait, non seulement il m’empêchait de travailler, mais encore, il explorait tous mes outils : marteau, tenailles, et aurait bien tripoté la boîte où je déposais les pointes rouillées que je retirais au fur et à mesure des ais.
« Pourquoi t’embêtes-tu à retirer ces vieux clous rouillés, mon maître ?
- Ballot ! As-tu envie de les retrouver dans la corne de tes sabots ? Si cela arrivait, tu risquerais l’infection. Tu ne pourrais plus t’appuyer sur ton sabot. L’infection pourrait gagner ta jambe, il faudrait te couper la patte ! Tu vois ça de là ? Tu n’aurais que trois pattes ! Imagine le spectacle ! Un âne à trois pattes !
- Oui, évidemment. Je n’y avais pas pensé. Tu es un père pour moi.
- Je sais. C’est d’ailleurs ainsi que me nomment certains enfants : « C’est toi le père de Tic Tac ? », entends-je fréquemment. C’est un peu vrai. Dans une certaine mesure… »
Ce disant, j’avais achevé cette première partie de l’ouvrage. J’ai posé les planches pourries sur le toit de la cabane, en attendant de les évacuer du terrain. Puis j’ai retiré les quatre poteaux verticaux de la terre, qui sont l’ossature de la palissade, car la force du vent sur les planches les avait déstabilisés. Avant de les repositionner, je devais recreuser les trous. Bien sûr, me voyant à quatre pattes, retirant la terre qui en obstruait le fond, mon âne a voulu m’aider : de son museau, il a fait tomber de la terre et des cailloux au fond des autres excavations.
« Mais enfin, Tic Tac, que fais-tu ?
- Mais je t’aide, voyons, tu ne vois pas ?
- Mais pas du tout ! Au contraire, tu me rebouches les trous ! Arrête, je t’en prie !
- Tu n’es décidément jamais content ! Moi qui ne cherche qu’à t’aider, eh bien, c’est réussi ! »
Il s’est éloigné de deux pas, a semblé bouder un instant. Moi, j’avais repris la barre et recreusais mon trou. Comme c’était sec, à l’aide d’une boîte, j’ai empli la cavité d’eau. Puis j’ai attendu que la terre s’en imprègne bien avant de continuer le creusement. En attendant, je suis allé caresser mon doudou, qui est si doux. Il aurait ronronné, s’il avait pu, tant il était content.
Il est allé flairer l’orifice, dans lequel j’avais laissé la barre fichée verticalement. Il a commencé à sucer la barre et à la mordiller.
Je suis encore intervenu.
« Ben voilà ! Maintenant, je vais me mettre les mains dans ta bave ! Es-tu pénible, mon pauvre ! »
Je l’ai chassé. J’ai recreusé dans la terre devenue molle. Bien sûr, à chaque fois que la barre traversait la couche de boue liquide qui emplissait le fond du trou, elle était projetée hors de celui-ci et j’en étais « jobré »[1]. Ce qui ajoutait à mon entrain, vous vous en doutez. En tout cas, voilà qui a bien fait rire mon baudet. Il ne s’est pas privé de se moquer de moi :
« Ah ! ah ! ah ! On dirait que tu as pris un bain de boue !... »
(…allusion à la blague de l’autre jour sur les baignoires verticales, vous vous souvenez sans doute…)
Une fois les poteaux en place, grâce à l’aide de Tic Tac, comme de bien entendu, est venu le temps de la reconstruction. J’avais stocké la volige neuve dans la cabane. Je devais clouer chaque planche à deux poteaux successifs, horizontalement, l’une succédant à l’autre jusqu’à atteindre le sommet des poteaux. J’avais sorti la brouette. En effet, je devais scier l’extrémité de chaque pièce de peuplier à la mesure. Pour ce faire, je m’appuyais sur elle. En outre, j’y avais entreposé mon matériel : marteau, pointes neuves, scie, équerre…C’était bien pratique. Je faisais suivre la caisse à roue au fur et à mesure de l’avancement du chantier. En outre, je n’avais pas à me baisser pour ramasser le marteau ou les pointes à chaque planche. Comme vous savez, mon dos ne veut plus rien savoir.
Il fallait que j’aille dans la cabane chercher les planches une à une. En effet, je les eusse stockées sur l’herbe ou le long de celle-ci, il me les aurait abîmées. Déjà, à peine la première planche était-elle en place qu’il est allé la mordre à belles dents. Il faut croire que le peuplier est à son goût : il n’a pas cessé ce manège tout du long. Et puis, rappelez-vous : ce plant de peuplier qu’il m’avait dévoré l’hiver dernier…Il aime le peuplier, c’est sûr.
Bref. Il m’a fallu faire bien attention. Il était toujours embusqué dans mon dos, prêt à quelque nouvelle facétie, le mufle dans la brouette, à flairer mon mètre, l’équerre, le marteau, à lécher la boîte de pointes, que je devais refermer sans cesse. Inutile de préciser qu’il ne m’a pas épargné sa niche favorite : il a renversé ladite brouette une ou deux fois, évidemment.
Quant au marteau, il a assurément sa préférence. J’ai eu toutes les peines du monde à enfoncer mes clous : toujours près de moi (plus près, impossible), il collait son mufle entre le fer du marteau et la pointe ! Dans ces conditions, difficile d’avancer…
Cependant, à un certain moment, les animaux m’ayant quitté pour aller brouter, je n’avais pas refermé la porte du fenil, où étaient entreposés mes outils. Soudain, ils furent de retour. Je ne les avais pas entendus venir. Je dus intervenir contre Tic Tac qui s’en prenait à nouveau à mes planches fraîchement posées. C’est le moment que choisit Robin pour entrer dans le fenil. Il en ressortit avec un journal dans la bouche ! Il s’en régala rapidement, avec un contentement évident. Heureusement, cela n’avait guère d’importance.
Et vous croyez que je m’ennuie avec mes zèbres ? Je puis vous assurer que non. Mais en revanche, quelle douceur, quelle tendresse de la part de ce grand dadais de Tic Tac ! Cela paraît difficile à croire, mais il est certain que quelque chose se produit entre cet animal et moi. C’est assez étonnant. Il déborde d’une grande affection à mon encontre, et il adore jouer. Nous finissons par nous comprendre d’instinct. Et c’est vraiment agréable cette relation singulière, ça, je puis vous l’assurer.
Tenez ! Pas plus tard que tout à l’heure, je rentrais de l’Alliance[2] de Lessac, près de Confolens, avec, dans la benne de mon pick-up, un râtelier métallique. En effet, ce sot de Tic Tac est parvenu à me déglinguer son râtelier, qui est en bois, au point que je devais le remplacer.
Je l’ai enfermé dans le pré du haut, le temps de porter l’objet en question près de l’abri tranquillement avec le véhicule, sans risquer de le voir s’échapper. Mon bouc a jugé opportun de ne pas se joindre à son petit camarade, ce qui fait que lorsque j’ai ouvert la barrière, il a cherché à s’enfuir. J’ai voulu l’attraper au lasso pour le ramener dans le pré haut : pas question ! « Inutile d’insister, je ne l’aurai pas ainsi », me dis-je. J’ai rusé. Je ne me suis plus occupé de lui, et j’ai ouvert le portillon du pré, allant flatter Tic Tac à l’encolure. Dans la seconde qui suivait, il nous avait rejoints dans le champ. Je n’avais plus qu’à refermer le portillon. Ainsi, j’ai pu manœuvrer tranquillement. Je ne les ai pas surveillés pendant l’opération de déchargement. Mais Tic Tac, quant à lui, n’en a sûrement pas perdu une miette, car, aussitôt libéré, il s’est empressé d’aller voir de plus près ce que j’avais déchargé. Il est d’une curiosité sans borne !
Si ça peut vous rassurer, il me reste encore un peu de bricolage à faire autour de l’abri : de belles heures en perspective !
Ânerie N°47
20 septembre 2013
Tic Tac revient !
« Non je ne suis pas mort ! Qu’est-ce que j’apprends, nom d’un petit bonhomme ! Tu n’as pas parlé de moi depuis un mois ? Mais c’est un scandale ! Tu vas t’y remettre, et vite ! D’abord, pourquoi as-tu cessé de raconter nos histoires, hein ? Tous ces braves gens qui sont suspendus à mes aventures, comment ont-ils pris la chose ? Mais c’est très grave, voyons, mon maître. Tu te ramollis ou quoi ? Deviendrais-tu paresseux, par hasard ?...
- Je vais t’expliquer, mon bon Tic Tac. »
Oui. En attendant, je me sentais penaud, pas très à l’aise, en vérité. Comment lui avouer que l’été m’avait emporté loin de notre monde habituel ? Que j’étais allé…que l’on m’avait demandé…que…que…Oh ! Après tout, je puis bien l’avouer, j’ai traversé une crise. Pas une crise de foi, ou financière, ou tout ce que l’on entend à gauche ou à droite ces temps derniers. Non. Une crise de l’inspiration. Une crise de l’écriture. Ce sont des choses qui arrivent. Pour ma part, je n’aime pas me forcer. Alors, si l’inspiration est là, j’écris. Sinon, je me tais. Cela peut durer un certain temps. Pendant lequel je m’inquiète, bien sûr. Je me dis : « Cela reviendra-t-il ?... » Et plus le temps passe, plus j’appréhende de reprendre mon clavier. C’est bête. Mais c’est ainsi.
Donc, tout ce que je vous confie là, je n’en ai rien dit à Tic Tac. Je le connais, il n’aurait pas manqué de me sermonner. La preuve. Quelqu’un lui a dit que j’avais cessé de vous parler de nous. Vous voyez le résultat.
Bon. Mais que lui dire ?
« Mon Roudoudou, qui t’a dit que j’avais cessé de relater tes âneries depuis un mois ? Avoue : c’est Jean-Claude, encore une fois, assurément ?
- Qu’est-ce que cela peut faire ? Tu ne m’avais rien dit, méchant. De ça aussi, je t’en veux. »
Voilà qu’il s’est mis à bouder, la tête basse.
« Arrête, tu veux ? Est-ce si grave ? Ne suis-je pas à tes côtés chaque jour, à te caresser et à te parler ?
- Oui c’est grave, justement. Comment puis-je avoir confiance en toi, désormais, si tu me fais des cachotteries ? Et puis, pense à nos lecteurs. Quelle déception ! Je suis sûr qu’il en est qui en sont malades. Les priver de nos histoires ! Mais enfin, mon maître, te rends-tu compte ?
- N’exagérons rien, Tic Tac. Rien ne prouve que nous leur avons manqué. C’étaient les vacances, tu sais ? Dans ce temps de l’été, on abandonne un peu ses habitudes, on voyage, on fait des infidélités… »
Là, il se met à pleurer ! Des gros hoquets secouent sa bedaine. Des ruisseaux de larme inondent son museau. Me voici contraint de sortir mon mouchoir et de le consoler.
« Mais non, ils t’aiment bien, tes lecteurs, tes lectrices aussi, d’ailleurs. Mais enfin, comprends-les. Ils ont besoin de s’évader un peu, pendant leurs congés.
- Oh ! J’ai compris, tu sais. On m’oublie. Je ne compte plus guère pour eux.
- Stop ! Arrête de faire l’enfant, mon gros Doudou. Est-ce que je t’ai oublié, moi ?
- Oui, justement, tu m’as délaissé. N’es-tu pas parti à plusieurs reprises, toi aussi, cet été ? Heureusement que Jean-Claude était là. Lui, au moins, il est fidèle.
- Ah ! Là, cela suffit, maintenant. Certes j’ai dû m’absenter deux fois, sur deux ou trois jours. Mais tu sais très bien que j’étais invité à chanter et à dédicacer mes livres en Bretagne et en Vendée. C’est loin, et comme c’était sur deux jours, à chaque fois, j’ai dû dormir sur place. Je te l’ai dit je ne sais combien de fois. Tu as la tête dure, mon âne.
- Je sais. J’ai compris. N’empêche que tu m’as laissé. Tu aurais bien pu m’emmener.
- Ah non ! Tu ne vas pas recommencer. Tu sais très bien que cela était impossible.
- Peut-être, mais tu as bien emmené Louve.
- Nous y voilà ! Encore ta jalousie ! Tu es insupportable. Louve loge dans le coffre. Pas toi. Quant à t’emmener dans le van, n’y pensons pas. Sur d’aussi grandes distances, tu parles d’un plaisir. Avec, en prime, les gaz d’échappement. Et où t’aurais-je parqué, à l’arrivée ?... En Vendée, j’étais en ville, chez une amie, dans un immeuble : je ne vois pas très bien comment nous aurions fait. Tu te vois dans l’ascenseur ? Par contre, en Bretagne, j’aurais pu t’emmener. Il y avait un enclos dans lequel vivaient un âne et une jument. Ton congénère était petit et gris. Ce n’était pas un baudet du Poitou. Mais enfin, tu aurais eu de la compagnie.
- Eh bien, tu vois que j’avais raison. Tu aurais pu m’emmener.
- Non. C’eût été trop compliqué. Tu étais bien mieux dans ton parc. Tranquille. Loin de la cohue de l’été. Et puis, si je t’avais emmené, il m’eût fallu emmener aussi le bouc ? Tu n’y penses pas sérieusement ?
- Oui. Je l’admets. Voilà qui nous aurait posé problème. Finalement, tu as eu raison.
- Non mais ! Vous n’avez pas bientôt fini, tous les deux ? Dites aussi que je vous gêne, tant que vous y êtes. C’est la meilleure, celle-là. Vous ne manquez pas de culot, traîtres. On voit bien l’affection que vous me portez. Pourtant, je vous aime bien, moi. Mais je ne suis guère payé de retour.
- C’est juste, Robin. Tu as raison. Je ne voulais pas te vexer, mais reconnais que cela n’aurait pas été une mince affaire que de partir tous ensemble. On nous aurait pris pour la caravane du cirque Pinder.
- Oh là ! Doucement, mon maître. Prétendrais-tu que je ressemble à un éléphant ? Ou à un dromadaire ? Il ne faudrait pas pousser, quand même, intervint mon baudet.
- Et moi, alors, j’ai l’air d’un lama, peut-être ? »
Cette dernière réflexion de Robin m’a bien fait rire, Tic Tac aussi. Louve s’est sauvée, bien sûr.
Mais ce qui rendait tellement mon âne hilare, c’est autre chose. Il me l’a avoué quand il fut parvenu à se calmer un peu, entre deux fous-rires.
« Je t’imagine bien en clown, mon maître. Tu verrais la touche que tu as, avec ton vieux chapeau délavé, tes bottes et cet affreux pull bleu. Quelle horreur, ce pull ! Enlève-moi ça tout de suite. »
Et, illico, il joignit le geste à la parole. Saisissant mon pull entre les dents, il tira de toutes ses forces.
« Mais arrête, bougre de crétin ! Tu vas me le déchirer ! Un pull tout neuf ! Ou presque (en vérité, il a bien dix ans). Qu’est-ce qui te prend ? Lâche-moi tout de suite ! »
Sa petite comédie a duré deux ou trois minutes. Quand il tient quelque chose entre les dents, il ne lâche pas si facilement.
D’ailleurs, il a à nouveau cherché à me retirer ce pull chaque fois que je suis retourné le voir. C’est vrai : je ne l’avais encore jamais mis pour rendre visite à mes bêtes. Il ne l’aime pas, j’ai bien compris. La couleur, sans doute. Il a ses lubies. Il n’aime pas le bleu.
Après un moment, les esprits s’étant calmés, nous avons évoqué la tempête du 27 juillet dernier. Je vous en avais parlé, il m’en souvient. Nous sommes retournés, Jean-Claude et moi, pour enlever les branches débitées en bûches et en menu bois. Ce fut encore l’occasion pour ce ronchon de me faire des reproches.
« Pourquoi m’enfermes-tu dans le pré du haut, quand tu viens travailler sur le terrain ? J’aurais bien aimé jouer avec toi encore.
- Je sais. Mais justement, je n’avais pas envie de jouer. Déjà, lors de la reconstruction de la palissade, tu m’as cassé les pieds…
- Quoi ! Je t’ai cassé les pieds ! Vraiment, quelle ingratitude ! Je t’ai aidé, l’aurais-tu oublié ?
- Oui, c’est vrai. En partie du moins. Tu as ôté une planche. Parlons-en. Le reste du temps, tu étais dans mes jambes à m’empêcher de travailler.
- Je vois. Eh bien, Môssieur, désormais, pour les câlins, tu iras te brosser.
- D’où tiens-tu cette expression, encore ? C’est un peu familier, je trouve.
- Je veux dire, lorsque tu voudras me brosser, je m’enfuirai.
- Oh ! C’est malin, ça ! Mais pas du tout. Non tu ne t’enfuiras pas. Je suis sûr au contraire que tu seras doux comme un agneau. Tu auras oublié tes méchantes paroles dès que je serais reparti tout à l’heure. Tu aimes tellement que je te toilette, que je ne suis pas inquiet pour ça. Au fait, tu ne m’as pas dit comment tu trouvais ton nouveau râtelier ?
- Bôf ! On verra.
- Comment cela, on verra ? Il ne te plaît pas ? C’est parce qu’il est en acier, et que celui-ci, au moins, tu ne pourras pas le détruire ? L’autre, j’en avais assez de le retaper. Je n’avais pas plutôt réparé tes destructions que tu recommençais. Là au moins, tu pourras toujours essayer. »
Là-dessus, il n’a rien répliqué. Celui-ci, il ne risque pas de le détruire. J’ai fait du solide. Il n’est pas prêt de me le démonter. Il s’y casserait plutôt les dents.
Par ailleurs, j’ai profité de l’humidité apportée par la pluie pour renfoncer les piquets que la sècheresse rend branlants. Là encore, il n’a pas manqué de se moquer de moi, du haut de l’autre pré, en me voyant perché en équilibre à l’arrière du pick-up, la masse à la main. Il a dit :
« Pour le coup, tu devrais t’engager chez Pinder, ils recherchent des clowns équilibristes. »
Je n’ai pas répondu. Quoi ajouter à ça ?
Il faut dire que le spectacle ne devait pas manquer de sel. Jean-Claude pilotait le véhicule au ras de la clôture, lentement. J’étais debout dans la benne. À chaque piquet, il s’arrêtait. Je grimpais un pied sur un rebord de la benne, l’autre sur le haut du haillon arrière, afin d’être à hauteur (les piquets sont assez hauts). Je dois dire que cela devait mériter la photo. En tout cas, le spectacle l’a amusé longtemps.
C’est Jean-Claude qui n’était pas content. Il avait grand peur que je tombe. Au cas où j’aurais manqué mon coup, je risquais d’être emporté par la masse ne trouvant pas le piquet. C’est arrivé une fois. Heureusement, c’est la tôle du pick-up qui a arrêté la masse. Je ne suis pas tombé. Entre nous, il peut parler, mon copain. Vous l’auriez vu, grimpé dans le noyer déraciné pour en tronçonner les branches : je tournais la tête, imaginant le pire. Heureusement, il n’y a pas eu d’accident. Il est aussi têtu que Tic Tac : il n’a jamais voulu m’écouter. Tic Tac nous a baptisés les barbus casse-cous. Lui, ça le fait bien rire. Nous, c’est lui qui nous fait rire. Après avoir ramassé le bois, l’autre jour, j’ai dit à mon copain : « Que paries-tu que dès que nous aurons ouvert la barrière, ce brigand de Tic Tac va se précipiter inspecter nos travaux ? »
Eh bien, ça n’a pas manqué. Nous l’observions avec attention, sitôt la barrière du pré du haut ouverte : il s’est en effet précipité sur les lieux de notre travail. Il a flairé l’emplacement du tas des petits branchages que nous avions laissés sur le terrain pour qu’ils sèchent (soit dit entre nous, notre gaillard velu s’était bien amusé et en avait disséminé partout sur le champ), puis est allé s’assurer que nous avions bien enlevé les bûches dans le petit enclos du foin. Après avoir flairé et inspecté partout, il s’en allé vers sa cabane, d’un air supérieur. Il nous voyait rire en l’observant et s’est douté que nous nous moquions de lui. Il a préféré nous snober.
Bien. Vous voyez, finalement, je n’aurai plus à essuyer les récriminations de Tic Tac, puisque j’ai repris le fil de nos aventures. Si vous le voyez, n’oubliez pas de le lui rappeler…