Salut les ami(e)s ! C'est re-moi ! Je crois bien qu'il y a pris goût, mon maître, à vous raconter ses histoires à dormir debout. La première page est si bien remplie qu'il lui faut en entamer une seconde. Qu'est-ce qu'il peut raconter comme âneries, celui-là ! M'étonne pas qu'il écrive des contes...

16 décembre 2012

La bosse

Ainsi, j’ai dû abandonner mon baudet trois jours consécutifs, pour cause de salon à La Rochelle.

Lundi soir, je suis allé le voir, le dos cassé par un lumbago, avec quelques carottes et un peu de pain dur, pour me faire pardonner ce lâche abandon. Jean-Claude, qui a bien voulu s’occuper de lui en mon absence était là, justement, à lui donner son foin.

D’abord, mon baudet m’a ignoré complètement. Il fuyait mes caresses. Puis, entre deux bouchées de foin :

« Ah ! te voilà, lâcheur ! Je commence à en avoir plein le dos de tes abandons de poste. Je trouve que là, tu y es allé fort. Trois jours sans venir me voir ! Tu ne m’aimes plus, ça, c’est clair.

« Tic Tac. Ecoute-moi. Primo, si quelqu’un ici en a plein le dos, c’est bien moi. Figure-toi que je suis à moitié paralysé.

« Oh ! C’est bon. Ne cherche pas à m’amadouer. Tu voudrais que j’aie pitié de toi, c’est ça ? Eh bien, c’est raté.

« Tic Tac, tu n’es pas gentil. Secundo, j’étais au salon de La Rochelle, tu sais bien, je te l’avais dit, et puis j’ai vu ma fille, et son petit garçon, Halim. Tu ne te souviens pas d’eux ? Ils sont venus te rendre visite il y a quelque temps.

« En effet. Je me souviens très bien. Elle est belle ta fille, et ton petit-fils, il est gentil.

« Ah ! ça, c’est bien vrai, mon Doudou.

« Enfin, tertio, j’avais rempli le fenil avant mon absence, et j’avais donné largement de quoi te gâter en orge, pain dur et carottes à mon ami Jean-Claude, qui est le tien aussi, je le sais. Il t’aime beaucoup, Jean-Claude. As-tu remarqué ?

« Bien sûr. Mais j’eusse préféré que ce fût son épouse, sœur Anne, qui s’occupât de moi.

Jean-Claude était alors dans le fond du fenil, occupé à piquer du foin au bout de la fourche pour le nourrir.

Il avait parfaitement entendu. Moi, j’étais très gêné. Avant même que je lui aie répondu, mon ami l’interpella du fond du réduit :

« Quoi ? Qu’est-ce que j’entends ? Répète un peu ça pour voir, tête de mule ! Tu vas voir de quel bois je me chauffe !

Dans l’instant, un cri de douleur nous parvint.

Jean-Claude sortait, se frottant le crâne d’une main, et l’air pas content du tout.

« Tu vois, abruti, ce que tu m’as fait faire ? Je me suis cogné à la poutre !

Il faut dire que la poutre est vraiment basse. Vous savez, c’est là que je me cogne chaque jour. Mais cette fois, c’était du sérieux : un filet de sang coulait sur son front !

« Ah ! Bravo, Tic Tac ! Tu n’en rates pas une ! Tu ferais mieux de te taire ! Avec tes âneries, voilà que Jean-Claude s’est blessé. Et ce n’est pas le pire ! Le pire, c’est que tu l’as rendu jaloux ! Me voilà bien ! Il va se fâcher contre nous, maintenant.

Cependant, je m’empressais auprès de mon ami. Comme il est gentil, il a bien voulu pardonner à mon âne sa réflexion stupide.

« Je constate que ce n’est toujours pas du bois de cette poutre que tu vas te chauffer, en tout cas, rajouta-t-il. En outre, tu eusses eu la tête d’une mule, tu ne te fusses pas fait si mal. Et puis, je ne considère pas qu’être traité de tête de mule soit injurieux, au contraire. Elles sont de la famille, les mules, et il en est de bien jolies, ce qui ne gâte rien. Ceci dit, je ne voulais pas te froisser. Je t’aime beaucoup, mais tu n’es pas si…euh ! …enfin, tu n’as pas son…comment dirais-je ?...

« Oh ! Ne cherche pas, Tic Tac, j’ai compris. N’en rajoute pas, surtout. Tout ce que tu vas ajouter sera en trop…En outre, ne te sens pas obligé de plaisanter sur cette petite bosse que je viens de me faire, s’il te plaît…

Ça, c’est Jean-Claude qui lui répond. Moi, je suis très embarrassé.

Comme si cela ne suffisait pas, mon âne en rajoute, le bougre !

« Ah ! Vous faites bien la paire tous les deux, ou plutôt, Lepère, devrais-je dire pour être plus précis (Lepère est le patronyme de mon ami). Un qui se tient le dos et l’autre la tête ! Quelle équipe !

« Oh ! C’est fin, cet humour, l’âne, répond Jean-Claude. Bravo ! Elle est bonne, celle-là !

« Méfie-toi, reprend mon équidé. Si le trou que tu t’es fait dans la tête est trop gros, ton intelligence va fuir par là ! Déjà ton sens de l’humour s’altère, tu devrais te rendre aux urgences pour qu’ils te mettent un bouchon.

Là, j’ai dû intervenir. Il y allait un peu fort, je trouve.

« Ça suffit comme ça, Tic Tac ! On se passera de ton humour. Il est d’un goût plus que douteux.

Pourtant, ça faisait bien rire mon copain, sa réflexion.

« Il est moins bête qu’il n’en a l’air, ton baudet, me dit-il. En fait, tu en as plein le dos de ses réflexions, voilà pourquoi tu es bloqué.

Nous avons tous bien ri ensemble.

Finalement, Jean-Claude dut se faire recoudre le cuir chevelu.

Le lendemain, ayant repris mes fonctions, je lui expliquai cela :

« Eh bien, il a le cuir moins épais que le mien. Si je devais me rendre aux urgences chaque fois que je m’égratigne aux barbelés ou aux épines de la haie, tu n’aurais pas fini de déplacer le SAMU…

Et de partir d’un de ces grands éclats de rire dont il a le secret, qui chasse toujours aussi sûrement ma chienne à tout coup !

Je dois avouer que l’image de mon âne dans la camionnette des pompiers m’amusait aussi passablement.

 

« Tu sais, Tic Tac. Ce soir, mon ami Christian, qui m’aime bien, m’a recommandé de prendre bien soin de ma santé, de me ménager. « Si tu continues ainsi, a-t-il ajouté, tu ne pourras même plus te rendre aux salons ou aux dédicaces. Bientôt on verra Tic Tac y apparaître à ta place. Il se pourrait même qu’il te supplante en célébrité. Je suis sûr qu’il aurait un succès fou. Et il nous dirait, le soir, en pliant ses bagages : « Les amis, excusez-moi de ne pas rester boire un verre avec vous, mais je suis pressé : je dois aller nourrir mon maître… »

« Que voilà une personne sensée ! s’exclame alors mon âne. Comme il parle d’or ! Tu devrais l’écouter. Ménage-toi. Je serais ennuyé de devoir te remplacer derrière la table. Certes, voilà bien qui ne me déplairait pas. Il a raison de dire que j’aurais un succès fou. Après tout, un âne aurait bien sa place au salon. Je m’y vois bien.

« Ah oui ? Eh bien, alors, il faudrait peut-être te décrotter un peu les sabots. Parce que, pour l’heure, dans l’état où ils sont, mon pauvre, j’imagine les traces sur le parquet ! Et les pattes de mouches dans tes dédicaces !

Du coup, c’est à mon tour de rire de bon cœur. Tic Tac faisant des pattes de mouches sur les pages de garde de mes bouquins ! Non, de ses bouquins. Pas les miens. Tout de même !

« Oh ! Que c’est malin ! Tu peux être fier de toi, mon maître. Cependant, permets que je rectifie. Ce ne seraient pas des pattes de mouches, mais des pâtés de mouches ! De gros pâtés, certainement.

Lui aussi, du coup, rit franchement, et cela secoue sa bedaine et ses grandes oreilles. Mais moi, je dois me forcer à cesser cette hilarité, car mon dos me rappelle à l’ordre manu militari.

« Tu veux que je te masse ? ajoute cet idiot.

« Non merci. Ça va comme ça.

« Au fait. Dis-moi, mon maître. Quand m’amènes-tu cette petite ânesse ?

« Non, pas possible ! Tu as de la suite dans les idées. Pas question, pour l’instant. Si elle mangeait autant que toi, je n’aurais pas assez d’argent pour vous nourrir tous les deux.

« Dommage, ajoute-t-il d’un air rêveur.

« Je sais, mon Doudou. Je vois bien à quoi tu penses…

« Oh ! fait-il dans un gros soupir. Ce n’est pas forcément ce que tu crois. Je songeais que nous pourrions discuter, faire la course, et toutes sortes de jeux, ensemble. Jouer à saute-moutons, par exemple…

« Certes, mon âne. Je te vois bien jouer à saute-moutons dans le pré…sans moutons…Mais pour ce qui est de la course, rien ne t’empêche de t’entraîner, vois-tu.

« Mais je m’entraîne chaque jour, en ton absence, réplique-t-il d’un air pincé. D’ailleurs, si tu voulais, tu pourrais m’inscrire à Longchamp, ou à Enghien, aux grands prix hippiques.

« Tiens ! Voilà qui est nouveau. Quelle lubie ! Quelle mouche te pique, mon pauvre compagnon ? Mais tu n’y songes pas sérieusement, j’espère ?

« Mais si. Vous faites bien concourir les étalons et les juments. Je ne vois pas pourquoi je n’y serais pas également.

« Mais voyons, Tic Tac, ce sont des chevaux. Ils courent bien plus vite que toi. Ils sont élégants, aussi.

Je l’ai vexé. Je l’ai senti tout de suite. Il a tourné la tête de l’autre côté de la mangeoire, a regardé le mur en tôle de l’abri, et a baissé le nez de façon pitoyable.

« C’est bon, j’ai compris. Je ne suis pas élégant et je ne sais pas courir. Un rêve qui s’écroule, encore une fois !

« Allons, ne pleure pas, mon gros nounours. Je ne voulais pas te vexer. Mais as-tu déjà vu des ânes courir contre des chevaux ? Entre vous, les ânes, d’accord. Mais pas contre vos cousins.

« C’est vrai ce que tu dis. J’ai entendu parler de courses asines. Je pourrais peut-être y participer ?

« Ecoute, mon gros. J’ai failli te faire participer à un concours entre baudets du Poitou, à l’asinerie de Dampierre-sur-Boutonne. Tu te souviens de l’asinerie ?

« Et comment ! J’étais jeune, dans ce temps-là. Tu es venu me chercher, et depuis, je suis resté ici, près de toi.

Un long silence. Chacun est plongé dans ses pensées.

« Au fait, pourquoi ne m’as-tu pas inscrit, finalement ?

« Eh bien, mon Roudoudou, sache que tu étais inscrit. Je suis allé sur place une journée, afin de me faire expliquer en quoi consistaient les épreuves.

« Alors ?...

« Alors, dis-je embarrassé…Tout d’abord, il y eut un contretemps dans l’organisation de mon emploi du temps, qui a fait que j’ai dû annuler. Mais il y a aussi que je n’ai pas aimé ce que l’on demandait aux participants. C’eût été du dressage. Et je n’aime pas le dressage. Je t’aime comme tu es, mon Tic Tac, et je ne t’aurais pas aimé en champion dans des épreuves artificielles. En outre, j’aurais dû t’entraîner chaque jour à marcher sur une bâche, à traverser une passerelle, à enjamber des barres tendues au-dessus du sol, traverser des ruisseaux, gravir des escaliers, que sais-je encore ?...Or, je ne possède aucun matériel nécessaire à cette préparation. Et puis, cela aurait été long et contraignant, pour toi comme pour moi. Et, en fin de compte, je ne suis pas sûr que tu aurais été très doué pour ce type d’exercices. Voilà pourquoi j’ai abandonné l’idée d’un dressage. Surtout, je te préfère comme tu es, mon Doudou.

Il a réfléchi longuement. Il m’avait écouté avec un grand intérêt. Il a fini par me dire :

« Mon maître, je crois que tu avais raison. Sans doute aurais-je pu apprendre à réussir dans certaines épreuves. J’avais commencé, là-bas, un peu, avec les animateurs du centre. Avec un certain succès, je dois dire. Mais dans le fond, ça ne me plaisait guère. Vous, les humains, vous êtes toujours dans la compétition. Moi, je préfère la vie que tu m’as choisie, mon maître.

« Alors, tout est bien ainsi. Nous voici d’accord, mon baudet.

« Au fait, ajouta-t-il soudain, un sourire en coin. Tu n’as pas besoin de mettre ta baignoire verticale, en ce moment…

Moi, fort surpris :

« Tu passes de l’âne au coq, si je puis dire…Pourquoi ?

« Mais pour prendre un bain de boue.

« C’est vrai qu’avec toute l’eau qui est tombée du ciel aujourd’hui et les jours précédents, quand je viens te voir, heureusement que j’ai mes bottes ! De toute façon, je n’ai pas de baignoire et, contrairement à certains ici, je n’aime pas les bains de boue.

« Tu n’as rien compris, mon maître. Pour prendre un bain debout, il te faut une baignoire verticale !...

Là, son éclat de rire fut si énorme, que je suis resté sidéré. Il m’a fallu du temps pour comprendre…

 

 A suivre...

19 décembre 2012

 Les écuries d'Augias

Il a tant plu ces derniers jours que le champ n’est plus qu’un bourbier glissant. Devant la cabane, on enfonce de près de dix centimètres dans la boue, quand ce n’est pas dans le purin, puisque c’est dessous et devant la cabane que mon âne urine. Voilà bien ce qui me désole. En qualité d’humain civilisé, j’aspire à un environnement propre pour mes bêtes. N’est-ce pas normal ? Or, avec les animaux, il en va différemment. Ils n’ont pas la notion de propreté. Ou alors, une notion différente. J’en parlais justement ce soir avec Tic Tac.

« Oh ! moi, tu sais, du moment que tu m’apportes mon orge, mes carottes et mon pain dur…

« Voilà qui me surprend grandement, joli cœur. A part te nourrir, tu ne sembles pas être enseveli sous les préoccupations d’hygiène. Te rends-tu compte que tu pourrais tomber malade, à force de vivre dans la crasse ?

« Malade, moi ? Tu rêves ? Que veux-tu qu’il m’arrive ? Nous, les ânes, nous n’attrapons pas de lumbagos. Je ne sache pas, de mémoire d’âne, que mes ancêtres fussent affectés de maladies. Chez nous, les bêtes, en général, le remède est radical : si tu ne meurs pas, tu guéris. Seuls les plus résistants restent. Les plus faibles disparaissent. Alors forcément, seuls les plus résistants se reproduisent, et leur progéniture est vigoureuse, puisque le produit de parents sains. Alors, tes préoccupations de rendre propres les abords de notre cabane, elles te sont personnelles.

« Tu n’as pas tout à fait raison, polisson. Chaque année, au printemps, je te vaccine. Ainsi, tu es protégé de certaines maladies, dont tu pourrais bien être affecté. Certes, tu n’en mourrais pas à coup sûr, mais le risque existe. Et je ne veux pas te perdre, mon ami.

« C’est tout à ton honneur, mon maître. Moi non plus je n’aimerais pas te perdre. Cependant, si cela devait arriver, il te faudrait l’accepter : c’est dans l’ordre de la vie, que de mourir un jour.

« Que tu es sage, mon baudet ! Tu dois avoir raison. N’empêche que je vais essayer de nettoyer un peu ton toit. Ce seront bientôt les écuries d’Augias, ici.

Pour une fois ; il n’a pas relevé. D’habitude, il ajoute son grain de sel.

Il avait achevé d’ingurgiter sa ration quotidienne de douceurs, mais il demeurait sous l’abri, près de moi, à me regarder remplir la brouette de son fumier. Il n’avait nulle envie de me taquiner, cet après-midi. Il semblait placide. Notre conversation était un peu éteinte. Moi, je peinais à soulever les fourches, le dos douloureux. Le bouc aussi semblait renfrogné. Louve était enfermée dans le fenil.

Quand j’eus fini mes tours vers le tas de fumier, j’enjambai la barrière du petit clos pour retirer de la paille. La pluie incessante des jours derniers m’avait empêché de réapprovisionner le fenil en paille et en foin. Il me fallait profiter de cette accalmie passagère pour m’en occuper.

Je dus retirer les palettes qui, imbibées d’eau comme des éponges, me parurent aussi pesantes que du plomb. En effet, c’est avec elles que je coince le polyane au pied du pailler. Je soulevai la bâche noire, et retirai à la main les brassées de paille d’orge d’un beau jaune d’or. Comme j’étais près de la clôture de séparation d’avec le champ, Tic Tac vint m’accompagner. Il tendait le cou par-dessus le fil de fer jusqu’à la paille. Cela ne m’aurait pas gêné qu’il se serve un peu dans la botte. Mais il se contenta de flairer longuement la bâche et la paille. Je n’ai pas su quelles odeurs pouvaient l’intéresser. Il n’a pas daigné me le dire. Mais j’ai compris qu’il avait dans la tête de tirer sur la bâche. Aussi dus-je le surveiller de près. A un certain moment, il faillit parvenir à ses fins. Mais un petit coup du manche de ma fourche sur le mufle le chassa et lui ôta toute velléité de recommencer.

Ayant mis à l’abri suffisamment de paille pour tenir la semaine, je ressortis et fis le tour du clos jusqu’aux abreuvoirs. Je suis obligé de passer par le petit portillon (une palette verticalement érigée, qui ferme par des ficelles), à côté des timbres. Là, question boue, c’est le clou ! Je voulais sortir d’une botte une réserve de foin suffisante pour quelques jours. Louve dans les jambes, je retirai les pneus (je les utilise aussi pour bloquer les bâches de protection), puis coupai le filet de rétention du foin. A l’aide du croc, je tirai l’herbe sèche encore odorante et la déposai dans un morceau de bâche inutilisé. Je m’en sers pour le transport jusqu’à la cabane.

Un coup d’œil au portillon m’indique que Tic Tac est en train de ronger le piquet qui retient le portillon.

« Arrête, Tic Tac !

« Oui, me fait-il de loin, sans cesser de secouer le piquet.

« Mais arrête, voyons, tu vas me desceller ce piquet, et je ne pourrai plus refermer le portillon.

« Bon, ça va…

J’ai repris mon travail. Quand j’ai amassé un peu de foin dans le morceau de bâche, je le roule en ballot. Habituellement, je charge plus, et tire ce traîneau improvisé. Mais là, il y a tellement de boue, que je ne sais pas dans quel état je serais si je procédais ainsi, parce qu’il me faut saisir la bâche à pleines mains pour la tirer, la porter par endroits, dans les passages étroits et pour décharger mon traîneau dans le fenil. La dernière fois, j’ai dû faire bouillir mon pantalon, maculé.

Je referme le portillon derrière moi. Je n’ai pas envie de voir mes deux lascars piétiner cette partie de l’enclos, et venir me tirer le foin de la botte. Pourtant, cela les tente bigrement. Mon âne tend désespérément le cou par-dessus le grillage. Au bout d’un moment, je réalise qu’il est parvenu à entrouvrir le portillon, en tirant dessus avec ses dents !

« Non, Tic Tac ! Ne recommence pas ! Arrête tes sottises !

Il me regarde. Mais il continue de tirer sur la palette, et il a même commencé à s’engager par le pertuis ainsi ménagé. Je dois interrompre ma tâche pour remettre le portillon en place.

Je le gronde.

« Laisse-moi entrer, mon maître. Je ne ferai pas de bêtise. Promis. Je veux juste brouter un peu les tiges des ronces de la haie.

Il n’y a que dans cet enclos que la haie pousse ses rejets loin vers l’intérieur du champ : partout où Robin et Tic Tac ont accès, les haies sont taillées de main de maître : ils raffolent des extrémités épineuses des végétaux de la pallis.

« Oui, c’est ça. C’est ce que tu dis. Une fois à l’intérieur, je sais bien que tu vas te précipiter sur le foin et me l’éparpiller dans la boue.

« Non. Je t’assure, mon maître. Je veux juste goûter ces pousses de ronces. Elles sont si appétissantes.

« Moi je ne trouve pas qu’elles soient appétissantes. Je me demande même comment tu fais pour ne pas te blesser en mangeant des épineux.

Je travaille en silence, sans cesser de le surveiller du coin de l’œil. Bien m’en a pris ! Voilà qu’il s’est attaqué aux ficelles que j’utilise pour assurer la fermeture du portillon ! Là, il m’entend !

« Mais ça ne va pas, Cadichon ?...Laisse-moi ces ficelles, tu vas t’étouffer avec ça !

Je dois à nouveau interrompre ma tâche. Mais il sait bien qu’il fait une bêtise, il fuit lorsque j’approche, avec son butin dans les dents. Je le hèle en vitupérant, commençant à perdre patience. Le jour décroît rapidement. Je n’aurai pas fini avant la nuit. Je lui cours après. Il démarre au grand galop, mâchant sa ficelle bleue qui pendouille de ses lèvres ! Louve a senti que je m’énervais. Elle court autour de nous en jappant à qui mieux mieux. Lui prend peur et repart au triple galop de l’autre côté de la prairie ! Quelle cavalcade ! Finalement, il délaisse son jouet et me regarde venir de loin, l’air amusé.

« Je t’ai bien eu, mon maître. Je t’ai fait courir ! Mais tu n’as pas l’air de rigoler ce soir ! Décidément, tu n’es pas drôle. On ne peut même plus jouer ensemble ! Allez ! C’est bon, j’arrête. Je te laisse travailler tranquillement.

Je suis retourné à mon foin. J’ai oublié volontairement de fermer le portillon, le temps de porter mon fardeau au fenil. Eh bien ! Négligeant l’enclos pourtant libre d’accès, il m’a suivi jusqu’à la cabane. Il m’accompagne en silence, gentiment. Robin, qui suit toujours sottement son camarade, aussi. Du coup, je pense qu’ils ont bien mérité une petite récompense. Pendant que j’installe à nouveau mon chargement, je laisse le portillon ouvert et les invite à entrer. Ils ne se font pas prier et se jettent sur les ronces. Quel festin ! Lucullus ne leur aurait pas mieux satisfait les papilles.

« Merci, mon maître. Tu es moins mauvais qu’il n’y paraît, finalement. Je t’aime bien, tu sais.

Je suis à fermer mon portillon, penché pour lier mes ficelles, qu’il m’a salies, entre parenthèses.

Il est là, tout près, son mufle sur mon cou. Je sens ses lèvres qui me tètent doucement l’épaule.

Il a parfois ces manifestations imprévisibles de tendresse, et à chaque fois, cela me touche beaucoup. Je me relève et lui caresse le chanfrein, les joues, les lèvres.

Il est heureux.

« Tu vois. En fin de compte, la vie, ce n’est pas compliqué. Un peu d’herbe ou de foin, quelques carottes et du pain rassis, et un gros câlin de temps en temps. Tu ne peux pas dire que je t’ennuie trop, mon maître.

« C’est vrai, Roudoudou. Ce n’est pas compliqué, la vie…

Je ne peux m’empêcher de penser aux petits enfants d’Afrique qui meurent de faim, ou qu’on a transformé en petits soldats après les avoir forcés à assister à des horreurs ; à tous ces gens qui se déchirent ou qui n’ont de cesse de nuire à leurs proches ; aux criminels qui tuent sans vergogne ; à la nature que les humains riches détruisent inexorablement…

« Oui, je sais à quoi tu penses, mon maître. Mais ne te rends pas malade : tu n’y changeras rien. C’est ainsi. C’est inéluctable. Je t’assure, ne te rends pas malade en pensant à la misère du monde. Profite du moment présent. N’es-tu pas heureux avec moi ?...Ne pense plus à tout ça…

Je le regarde, perplexe. Aurais-je pensé tout haut, inconsciemment ? Voilà qui est troublant. Comment a-t-il deviné le cours de mes pensées ?

« Dis-moi, Doudou. Comment sais-tu précisément à quoi je pensais ?...

« Oh ! Inutile que je t’explique. Tu ne comprendrais pas. Et puis, est-ce si important que tu le saches ?...Laisse tomber, et suis mon conseil. Profite du moment présent. C’est ce que je fais moi-même. Et, tu vois, je ne m’en porte pas plus mal.

« Ainsi, tu me conseilles l’épicurisme ?...Force m’est de t’écouter, donc. Je suivrai ton conseil, mon bon Tic Tac. Mais je me demande où tu vas chercher tous tes talents…

 

Il est à brouter le foin qu’il prend au râtelier. Il tourne sa tête vers moi, sans cesser de broyer consciencieusement sa bouchée. Je jurerais qu’il m’a fait un clin d’œil !...

 

Le crépuscule a tout enseveli de gris ce soir. Le ciel était lui-même si gris qu’on n’a pas senti venir le déclin imperceptible de la lumière et la nuit qui s’approche. Tout n’est qu’humidité et boue ce soir, sur les champs labourés que la décrue a découvert. Mes bêtes festoient sous le petit abri de tôle. Je réalise combien elles sont dépendantes de moi pour vivre. Pour la nourriture, comme pour l’eau. Comment me perçoivent-elles ?...Pour le bouc, j’en suis sûr, me reconnaître lui suffit. Pour mon baudet, c’est autre chose. Tout à l’heure, il m’a vu, de sa barrière, quand je montais vers lui, alors que je passais à peine le hangar, sur le chemin des Petits Prés, au bas du champ qui nous séparait. Il y a bien deux cents mètres. Il a brait. Il m’avait reconnu. Il m’attend, me guette, chaque soir. Je suis certain qu’il éprouve une grande tendresse pour moi. Oh ! Fier comme il est, il se gardera bien de me le confier trop. Mais toute son attitude semble le montrer.

Il doit avoir raison, l’animal. Profitons simplement de l’instant présent…

 

A suivre…



23 décembre 2012

 L'admirateur

« Tu sais, Tic Tac, un admirateur t’a écrit aujourd’hui.

« Ah, tiens ! Tu es sûr que ce n’est pas plutôt une admiratrice ?

 

Voici comment débute le tête à tête de ce soir, entre mon âne et moi. Pas mal, non ?...

Il ne changera pas, ce Tic Tac ! Toujours obsédé par la gent féminine. Quoi de plus normal, au fait ? C’est la vie, n’est-ce pas ? Je lui pardonne cet état d’esprit, car, en fait, je le connais bien, c’est un genre qu’il se donne, une façon d’être, un style. En vrai, il est le plus timide des ânes, sous des apparences de mâle assurance. Et il ne ferait pas de mal à une femme, bien sûr. A quiconque, en fait. Il est si doux. Et il n’a, en fin de compte, aucune préférence pour le sexe faible. Il témoigne autant d’amitié pour les hommes, évidemment. Voilà. Je vous ai tout dévoilé. Mais ne le lui répétez pas. C’est son truc.

« Non, Tic Tac, il s’agit bien d’un admirateur. Un homme.

« Ah ! Et je le connais ?

« Oui et non.

« Comment ça, oui et non ? Je le connais ou je ne le connais pas ?

« Oui, puisque nous avons eu l’occasion de parler de lui déjà ; non, car il n’est pas encore venu te rendre visite.

« Tu aimes ménager tes surprises, dis-donc, mon maître. Ne me laisse pas sur le grill : qui est-ce ?

« Christian.

Il réfléchit un instant.

« Oui, je me souviens, en effet. Il me paraît décidément très bien, cet homme. J’ai hâte de le connaître. Et que dit-il de moi ?

« Il dit qu’à l’occasion de Noël, il est bon de reparler de ton aïeul.

« Quel glaïeul ?

« Non, pas de ton glaïeul. Je ne vois pas très bien, d’ailleurs, ce que viendrait faire ton glaïeul dans cette affaire. De ton aïeul. Un de tes grands-pères, si tu préfères.

« Ah ! J’avais mal entendu. Un de mes grands-pères ? Lequel ? Cadichon ?

« Non, pas Cadichon. Je sais bien que Cadichon, ton grand-père paternel, fut célèbre en son temps, pour des concours qu’il remporta. Il s’agit en fait d’un de tes lointains ancêtres, qui vécut au début de notre ère. Tu connais bien l’histoire, nous en avons souvent parlé.

« Oui, oui, je vois ce à quoi tu fais allusion. Je te rappelle à ce propos que j’avais écrit un fort beau poème pour illustrer le menu du repas des aînés de notre village. Cela me fait penser que tu ne m’as jamais dit la suite : l’ont-ils imprimé sur les cartons du menu ? Leur a-t-il plu, mon poème ?

« Oui, mon cher. Non seulement ton poème a été imprimé sur les menus, mais encore, on y a fait figurer ton portrait. En outre, le Maire en personne a lu ton poème à l’Assemblée des Aînés. Et tout le monde a applaudi. Je suis fier de toi, mon Roudoudou. Il semble qu’on ait apprécié tes talents, vois-tu.

« Peuh ! C’est bien la moindre des choses. Il n’y a bien que toi pour être surpris de ce que je sois devenu illustre.

« Calme-toi, mon Doudou. Reste modeste, je t’en prie.

« Bon ! Et qu’a-t-il dit d’autre, ce Christian ?

« Que tu devais être gentil avec moi, et ne pas me faire bisquer, avec tes rodomontades et tes facéties.

« Ça, c’est toi qui le dis, pas Christian. Ne me raconte pas d’humaneries, je sais quand tu mens.

« J’avoue. Il n‘a pas dit cela, mais que tu devais continuer à apaiser ma peine et mes tracas, quand j’en ai.

« Tu as des soucis ? C’est nouveau, ce truc-là. Qu’es-tu encore allé lui raconter ? Tu dis bien n’importe quoi pour te faire plaindre. Tu ne changeras pas.

J’étais penaud, soudain.

« Allons ! Je te pardonne. Fais-moi un câlin.

Il tendait sa grosse tête vers moi.

J’aime poser ma joue sur son museau. Il est si doux, et je sens son affection, si chaude, dans ces moments-là…

« Là, ça va mieux maintenant ? Eh bien, tu le remercieras chaleureusement pour moi, Christian, s’il te plaît, et lui diras qu’il peut venir quand il voudra. Je l’attends. J’aurai un vif plaisir, assurément, à faire sa connaissance.

 

J’ai entrepris sa toilette. Depuis bientôt quinze jours qu’il pleut quasi sans interruption, je n’avais pas pu procéder à celle-ci. Des mottes de terre fraîche sont collées dans les poils entremêlés de sa crinière. Tout son corps est crotté de la sorte.

« Pourquoi te fatigues-tu ainsi à me passer l’étrille ? Tu sais bien que dès que tu auras tourné le dos, je me roulerai à nouveau par terre ? Note bien que j’apprécie. Donne-moi donc une des carottes que tu caches au fond de ta poche.

Ce disant, il tend le cou vers ma poche, qu’il effleure de ses babines gourmandes.

« Oui, je sais bien que cela ne sert à rien. Nous en avons parlé l’autre jour : c’est une question d’hygiène. Tu ne pourras jamais comprendre.

Je lui fourre une carotte entre les dents.

« C’est ça. Dis que je suis bête, pendant que tu y es.

« Oui, d’une certaine façon, tu es bête, au sens que tu es un animal ; mais, d’une certaine façon, ton intelligence et ta culture te distinguent bien nettement de tes congénères.

« Tu vois : vous, les humains, vous nous rabaissez sans cesse. Crois-tu que je ne connaisse pas le sens péjoratif de cette expression : que tu es bête ! Mais vous devriez être flattés, au contraire, de cette dénomination.

« Je te rends justice, mon bon. C’est tout à fait vrai, ce que tu dis là. En vérité, souvent, je le pense.

« Vois-tu, mon maître. Votre Jésus était meilleur que vous, sur ce point, déjà. Il a toujours respecté les bêtes. Mieux, il a distingué ma race à trois reprises. J’ai eu l’occasion déjà de te l’exprimer. Et puisque nous sommes à la veille des fêtes qui honorent sa venue au monde, j’aime à repenser à cet enfantelet, qui, comme l’a si bien rappelé ton ami Christian - qui est le mien désormais, malgré qu’il ne possède pas un système pileux abondant -, un soir de décembre, vint au monde sous le nez d’un de mes ancêtres, au fond d’une étable. C’est une pensée qui m’attendrit. Il serait sûrement mort de froid sans moi. Je veux dire, sans mon ancêtre.

« Tu as raison. Moi aussi, cette pensée m’émeut. Mais ne fais plus d’allusion au système pileux de notre ami, je t’en prie, Tic Tac, il pourrait se vexer.

« Oui, pardonne-moi. Mais il n’y avait pas méchanceté, tu sais.

« Oui, je sais, mon gros.

« Pour parler d’autre chose, quoique ce ne soit pas bien éloigné. Votre Père Noël, c’est quoi, au juste ? Quel rapport avec la Nativité ?

« Pas grand-chose, en fait. C’est une fable, un conte. Pour les enfants. On dit qu’il passe dans la nuit de Noël, sur un traîneau tiré par des rennes, à travers le ciel, pour distribuer des joujoux aux petits enfants. On dit aussi qu’il descend par la cheminée pour ce faire.

« Ah oui ?...C’est fou les humaneries que vous pouvez inventer, les hommes ! Pourquoi des rennes ? Pourquoi pas des ânes ? J’aimerais bien, moi, voler dans le ciel pour apporter des jouets aux petits enfants.

« Tu rêves, mon pauvre ! Tu vois bien que tout ça, c’est des inventions.

« Peut-être, mais une fois de plus, ce n’est pas l’âne qui est choisi pour tirer le traîneau du Père Noël ! C’est toujours la même histoire. Avec vous, on a l’impression qu’il y a une hiérarchie : l’homme, en haut de l’échelle, bien sûr, sur son trône, et, bien plus bas, les animaux. Parmi ceux-ci, certains sont distingués, pris comme modèles souvent, mais nous, les ânes, ce n’est jamais en bien. C’est désolant de fonctionner ainsi ! Ce n’est pas une preuve d’intelligence de votre part.

« Je l’admets bien volontiers, mon garçon. Tu sais que je ne partage pas cette opinion. D’ailleurs je voudrais ajouter quelque chose, à ce sujet, qui va te faire plaisir, parce que cela va dans le sens de la réhabilitation des ânes du monde entier.

« Alors, là, tu m’intéresses. Dis vite. J’ai hâte d’entendre la suite.

« J’ai entendu, à la radio, que, dans les années à venir, on aurait de plus en plus besoin des ânes pour tous les travaux dans lesquels l’homme lui demandait sa coopération autrefois : travaux des champs bien sûr, traction de charrettes pour la collecte des déchets, dans les communautés urbaines et touristiques (cités balnéaires entre autres…), etc…Par exemple, on l’utilise beaucoup dans les pays pauvres. Evidemment, le paysan, dans ces pays-là, préfère l’animal pour ses travaux des champs ; il ne l’achète pas trop cher, il n’a pas besoin de payer du carburant pour le faire travailler, pas besoin de l’emmener chez le mécanicien pour changer des pièces défectueuses, et, quand il est trop vieux pour continuer son travail, le paysan le vend, alors que son motoculteur ou son tracteur, il ne vaut plus rien, quand il veut le vendre. Je pourrais te citer encore bien des avantages que l’on est en train de découvrir à votre race, mon Tic Tac. N’est-ce pas une bonne nouvelle, ça ? Vous avez encore de beaux jours devant vous, les ânes.

« Oui, en effet. C’est un peu triste, néanmoins.

« Comment ? Je ne vois pas ce qu’il y a de triste là-dedans, Tic Tac.

« Eh bien, c’est que, une fois de plus, notre devenir est la résultante de vos desiderata, à vous, les humains. La race à laquelle j’appartiens, le Baudet du Poitou, a bien failli disparaître, dès lors que la machine a remplacé les mules et les mulets pour vos travaux. Vous avez besoin de nous, alors nous continuons d’exister. Mais quand vous n’aurez plus la fantaisie de vous intéresser à nous, ou de nous exploiter, vous nous abandonnerez à notre sort, jusqu’à l’extinction de la race. En somme, c’est vous qui décidez de la vie et de la mort des espèces animales, en ce bas monde. Est-ce bien dans l’ordre des choses ?

« Je te comprends, mon âne. Là encore, je dois reconnaître que tu as raison. Mais si nous en sommes là, c’est le fruit de l’Evolution. Qu’y puis-je ? A moins de revivre comme aux temps antédiluviens, je ne vois pas trop comment les choses pourraient retourner à un plus juste équilibre entre les bêtes et l’homme. Finalement, même si c’est exact, ce que tu dis, ne vaut-il pas mieux que ton espèce perdure ?

 

Il eut un gros soupir d’âne, mon Tic Tac.

Je me devais de constater qu’en vérité, les choses sont bel et bien ainsi. L’espèce humaine en est à un tel point d’envahissement de la planète, de développement de ses activités, qu’il est en vérité impossible d’envisager de faire marche arrière. Il est inimaginable de rendre la liberté aux ânes dans notre pays civilisé. Ils n’y peuvent être que privés de leur liberté. Ils n’ont aucune raison d’être conservés non plus. Leur avenir est sombre. Le devenir de l’animal, à terme, est bien incertain. Hormis quelques poches de territoires encore préservés, la nature n’est plus que le champ d’investigation de notre espèce. Que pouvais-je dire à mon Tic Tac ?

 

Je l’ai longuement observé, ce soir, songeant tristement à tout cela. Il m’a regardé, lui aussi, longuement. Et puis, j’ai remis le cadenas à la chaîne qui clôt son pré.

 

A suivre…

29 décembre 2012

Tic Tac a écrit une fable

Figurez-vous qu’il me réservait une surprise, Tic Tac, hier !

Il était demeuré sous l’abri, semblant bouder.

« Tic Tac ?...Que fais-tu ?...Tu n’es pas malade ?...

Vous savez, quand une mère voit son enfant, habituellement remuant, inactif, elle s’inquiète, avec raison, le plus souvent. Pour moi, considérant mon âne, c’est pareil. Je m’inquiète quand il ne bouge pas, ce qui est rarissime. La dernière fois, c’était il y a deux ou trois ans, je ne sais plus au juste. Je l’avais mis dans la jachère qui jouxte le pré, et, comme la sécheresse avait rendu rare l’herbe de la pâture, on m’avait autorisé à y faire paître mon âne et mes trois chèvres, à condition qu’ils y soient libres sous ma surveillance, ou attachés à un piquet, mais clôturer m’était interdit, pour des raisons de législation.

La seconde solution avait ma préférence, car je ne me voyais pas planté en plein soleil dans le pâturage toute la sainte journée. Je me fusse ennuyé à mourir. Sans compter qu’à cette époque-là, mon baudet n’avait pas encore acquis la parole, il la mûrissait encore…

Or donc,  j’avais fiché en terre quatre solides piquets, à la masse, y avait noué solidement quatre solides cordes de chanvre, et y avais attaché celles-ci premièrement au licol passé à la tête de Tic Tac, puis respectivement aux cous des deux chèvres et de mon bouc. Ce dernier n’était pas l’actuel Robin, mais un chevreau que j’avais acquis à peine sevré, et qui était tout brun foncé. Sans trop me remuer les méninges, je l’avais baptisé Noiraud. La plus vieille des chèvres c’était Biquette, et la plus jeune des deux, toute blanche comme l’autre, Blanchette. Je n’avais pas fait de frais pour leur trouver des noms, ça c’est sûr.

J’installais donc mes bêtes sur cette pâture en fin d’après-midi, quand la bascule du soleil de juin est bien entamée, et les ramenais au bercail à la tombée de la nuit, une à une, chacune au bout de sa longue corde.

 

Un soir, je parlais avec des promeneurs. Le crépuscule était venu, et je jetai un œil, de temps à autre, sur les chèvres et l’âne. A la fin, je constatai un curieux manège, tout en devisant tranquillement. La petite Blanchette, par moments, exécutait des bonds de folle au bout de sa corde, tirant sur elle à se tordre le cou, sans que je comprisse la raison de cet étrange comportement. Les deux autres broutaient paisiblement. Quant à mon baudet, il demeurait immobile, bizarrement immobile. Vous commencez de sentir pourquoi je vous raconte l’histoire. Ce n’est pas tout à fait par hasard.

Mais, tout à ma conversation, je n’étais nullement préoccupé de ces deux comportements anormaux : une chèvre qui bondit sans raison apparente, et mon âne qui ne bouge pas. Lui ne broutait pas. Il tenait sa tête immobile, comme le reste de son corps.

Les promeneurs partis, je commençais de m’inquiéter des cabrioles de la chevrette. Une pensée me traversa l’esprit : un serpent !

« Il y aura là quelque reptile, pensai-je, qui l’effraie…

Inquiet soudain, je me hâtai vers la bestiole, tache blanche dans le soir. Ce n’est qu’en dénouant le cordage attaché à un piquet de la clôture que je compris soudain l’origine de ses bonds. Elle était attaquée par des guêpes ! Trois ou quatre de ces insectes, assez petits, non de l’espèce de celles que les peaux de melon attirent plus sûrement que les charognes les mouches vertes, mais de celles qui font leurs nids dans la terre, au pied des hautes herbes. Je fus aussitôt pris en chasse à mon tour. Tout en tentant un repli stratégique avec mon caprin, je me protégeai comme je pus de leurs attaques. Par chance, elles ne me parurent pas trop vigoureuses : soit parce que le soir était tombé, soit qu’elles eussent été fatiguées de piquer la Blanchette. L’une d’elles, cependant, plongea en piqué droit sur mes yeux. Elle vint se heurter au verre de mes lunettes. Si je ne fus pas blessé moi-même, la petite chèvre, quant à elle, avait dû l’être à plusieurs reprises : libérée, de retour sur le pré, elle se coucha le long de la cabane et ne bougea plus. Tout en la surveillant du coin de l’œil, je courus à mon âne, toujours immobile dans la prairie, masse sombre dans l’obscurité qui commençait à régner.

J’allai le voir. Il expirait pesamment, le souffle court. Il tremblait de tout son corps, et, passant ma main dans sa fourrure, je réalisai qu’il était moite ! Je le détachai fébrilement, fort inquiet maintenant, et le ramenai comme je pus à la cabane : il avait peine à avancer !

A un moment, il s’accota à un poteau de la cabane, comme s’il perdait l’équilibre. Là, vraiment, je compris qu’il se passait quelque chose de grave. Je décidai de le brosser à l’aide de l’étrille. Quelle ne fut pas ma surprise de retirer des centaines de ces petites guêpes encore piquées dans son cuir et prisonnières de son pelage ! Je compris alors que mon âne était en danger. Assailli en masse par les insectes, il avait dû chercher à s’échapper, mais, coincé au bout de sa longe, avait été la victime expiatoire des petites criminelles. C’était un dimanche. J’appelai néanmoins, de mon téléphone portable, le vétérinaire. Evidemment, il n’était pas chez lui. Son épouse eut l’obligeance de le joindre pour lui expliquer la situation. Elle me rappela assez rapidement. Heureusement, car l’état de Tic Tac semblait empirer de minute en minute. Il ne tenait debout qu’appuyé à la cabane ! Il ne me restait plus qu’à sauter dans ma voiture, foncer au cabinet du vétérinaire, qui avait laissé dans une poche, à la poignée de la porte dudit cabinet, une seringue prête à l’emploi, contenant la substance qui allait peut-être sauver mon âne. Au retour, je m’attendais à le trouver raide mort. Il était debout, encore, toujours en sueur et tremblant, immobile. J’imagine comme le pauvre avait dû souffrir sous l’attaque de ces meurtrières ! Et je culpabilisais, bien sûr, de ne pas avoir réagi plus tôt. Pendant que je bavardais, je le voyais là, dans un comportement anormal, et je ne m’étais seulement pas inquiété ! Ah ! Si seulement il m’avait appelé ! S’il m’avait expliqué ce qu’il se passait ! Mais il s’était tu. Par fierté, peut-être ? Ou parce que nous ne nous connaissions pas encore assez, il se méfiait encore de moi, peut-être ?

Toujours est-il qu’il fut sauvé. Le lendemain, il ne conservait aucune trace de cet épisode dramatique. Fort heureusement. La petite chèvre non plus ne garda pas de séquelles de l’attaque. Elle avait été apparemment moins touchée que lui. Sans doute s’étaient-elles acharnées sur le solipède d’abord. Il avait dû poser son sabot sur le nid. Quelques égarées seules avaient dû s’en prendre à la chevrette.

 

Vous comprenez, du coup, pourquoi je m’inquiète quand Tic Tac ne bouge pas. Il est toujours en mouvement, habituellement. Là, j’approche, l’inspectant rapidement des pieds à la tête. Rien que de très normal, à première vue. J’arrive à son mufle.

« Eh bien, mon ami, qu'y a-t-il ? Cela ne va pas bien ? Dis-moi, Tic Tac, que se passe-t-il ? Rien de grave, j’espère ?

« Bonjour, mon maître. Rassure-toi. Tout va bien. Je réfléchis.

« Ah bon ! Tu réfléchis ! A la bonne heure ! J’aime mieux ça. Mais ne t’en rends pas malade, tout de même ? Et à quoi réfléchis-tu, qui t’absorbe tant ?

« A une fable de La Fontaine. J’aime bien les fables. Surtout celles de ce Jean de La Fontaine.

« Ah ! Je vois que tu n’en pinces plus pour Daudet. Tu changes d’auteur, c’est bien. Et à quelle fable précisément songeais-tu ? Je parie qu’il y est question d’ânes ?

« En effet, mon maître. Elles ne sont pas si nombreuses. Il semble que, le plus souvent, il y soit question du lion, soi-disant le Roi des animaux. Mais, passons !

« Oui, c’est exact. Mais, mon Doudou, tu sais bien qu’elles sont allégoriques, ces fables. En fait, c’était le roi Louis XIV, qui régnait à cette époque dans notre pays, qui y est mis en scène sous les traits du lion. Mais tu ne m’as toujours pas dit à laquelle de ces fables tu penses particulièrement ?

« L’âne chargé d’éponges et l’âne chargé de sel.

« Je la connais bien. Je l’aime beaucoup, Tic Tac. Pour deux raisons. La première, c’est qu’elle met en scène tes congénères, et, comme tu le sais, j’ai un tendre penchant pour ceux de ta race. La seconde, c’est que la morale qu’elle illustre est toujours d’actualité. Peut-être, aussi, que cette idée d’éponges et de sel m’amuse prodigieusement. En gros, au passage de ce gué, que le sel fonde et allège ainsi son porteur quand les éponges gorgées d’eau plombent l’autre me fait bien sourire. Ainsi, le porteur d’éponges, aussi léger sur le chemin, qui se gaussait de son compagnon, est bien puni, quand l’autre, allégé soudainement de sa charge subitement dissoute, passe sans peine le courant. Il semble qu’il y ait une justice immanente, parfois, dans les accidents de notre vie…

« Oui, mon maître. Pour les mêmes raisons, j’aime beaucoup cette fable. Mais, vois-tu, je voudrais te demander un service, mon maître ; veux-tu bien sortir ton carnet et ton stylo, qui ne te quittent jamais, et écrire sous ma dictée ?

« Ecrire sous ta dictée ? Pourquoi pas ? Si ce n’est pas quelque nouvelle ânerie de ta part. Et que veux-tu que j’écrive ?

Tout en parlant, j’avais sorti du fond de ma profonde le matériel nécessaire.

« Tu verras bien. Es-tu prêt, mon maître ?...

 

Et là, à ma stupéfaction, il me dicta une fable. Une fable où il était question de deux ânes portant dans leur bât deux chargements différents, un peu comme dans la jolie fable dont nous venions de parler, mais s’en distinguant légèrement. En fait, c’était un pastiche. Connaissant les talents littéraires de mon âne et son goût pour la facétie, je ne fus pas surpris.

Et, puisqu’il m’en a fait la requête fort aimablement, je m’exécute, et vous livre ici le fruit de son travail. Voici donc, composée par Tic Tac, la fable qu’il avait inventée dans la cabane :

 

L'âne chargé de punch et l'âne chargé de faisselles

 

Un marchand menait au licol

Deux ânes sur la route d'un col.

Celui de faisselles chargé

Fonçait devant comme un coursier,

Sans souci de son compagnon.

Et l'autre, malheureux grison,

Peinait sous le poids des bouteilles

Chassant les mouches de ses oreilles.

« Attends-moi !...

Aide-moi !... »

Criait-il tout au long du chemin

A l'autre déjà loin.

« Que nenni !

Mon ami !... »

Trottant comme s'il avait des ailes,

Celui qui portait les faisselles

Et qui faisait son fier,

Sa charge étant légère,

Caracolait devant

Sur les pas du marchand.

Il fallut tout soudain gravir les raidillons :

Essoufflé, celui-ci grimpe sur Aliboron

Et le fouette tant et tant

Qu'il s'arrête, haletant.

 

Cependant, loin derrière,

Flairant la bonne affaire,

Trois voleurs par l'odeur alléchés

Ont vidé les bouteilles sans tarder.

Plus léger, notre Cadichon

Part au trot vers ses compagnons,

A tôt fait de les rattraper,

S'arrête un instant à côté.

«Ami, aide-moi, s'il te plaît !... »

Clame l'autre croulant sous le faix.

« Que nenni !

Mon ami !...

N'est-ce pas ce que tu m'as dit ?

Pour moi je me suis affranchi.

Et puis, ne sois pas si grognon :

N'as-tu pas un bon compagnon ?...

Pardi si !... »

Ayant dit,

Il leur fait une belle pétarade

Puis s'enfuit vers sa vie nomade...

 

 

A suivre…

 



2 janvier 2013

 Tic Tac se mêle de politique

Ah ! Le bonheur de retrouver mon âne ! Allez savoir pourquoi, mais à de certains moments, j’éprouve un grand bien-être en présence de mon destrier. Anthropomorphisme, sans doute, mais il me semble percevoir la même chose en lui.

Ce qui laisserait croire que cet animal accède à la fonction suprême de générer des sentiments : je vois d’ici la polémique…Encore je ne poserai pas la question qui fâche : les animaux ont-ils une âme, ce qui reviendrait à tenter de donner une définition de l’âme…Avec nos mots d’humains, cela me semble mission impossible…

Que ressent mon âne lors de nos retrouvailles, ou de nos séparations ?

Bizarrement, j’observe que si je pose la même question à l’égard de ma chienne, les réponses convergent, apparemment.

J’affirme que les manifestations de ma chienne lorsque je reviens d’une absence de toute une journée, sont celles de la joie. Tout comme je sais qu’elle n’aime pas me voir partir sans elle. Tout comme je vois bien qu’elle est prise d’une peur panique quand elle entend un coup de fusil, de pétard, ou de tonnerre.

Elle est donc douée d’émotions diverses, ce qui n’en fait pas à coup sûr des sentiments. Mais j’ajoute qu’elle est attachée à moi : si je m’absente plusieurs jours, elle ne mange pas, se terre au fond de sa niche, est profondément triste. Bien sûr, cela demeure à un stade primitif : j’ignore si elle a conscience de tout cela.

J’observe également chez mon âne des comportements similaires. Il manifeste sa joie de me revoir, parfois bruyamment, de même sa frustration, si je viens le voir en voiture et repars sans être descendu du véhicule. Il lui est arrivé à plusieurs reprises d’avoir peur, au point de prendre la fuite en m’entraînant pendu à son cou (ne vous l’ai-je pas déjà raconté ?...)

J’affirme également qu’il frotte volontiers sa tête contre moi, et apprécie mes caresses. Qu’il me joue volontiers des tours, à sa façon. Je puis donc penser, parfois, qu’il a une certaine conscience de l’être que je suis, et de nos rapports privilégiés.

Et je sens qu’il éprouve parfois du plaisir à ma présence à côté de lui.

J’autorise évidemment les sceptiques à remettre en cause ce que je viens de dire. Car ces quelques considérations n’ont rien de scientifique. Peu importe. Pour ma part, je sais maintenant qu’il existe d’autres formes de perceptions que celles venues de nos cinq sens, ou émanant d’elles toutes, je ne sais trop. Peu importe aussi qu’on me croie ou pas. Mais j’affirme qu’il se passe quelque chose entre les animaux et les humains. Je pourrais multiplier les exemples, et je pense particulièrement aux oiseaux. Saint François d’Assises, paraît-il, parlait aux oiseaux : je ne suis pas loin d’y croire, d’une certaine façon.

 

Mais je vous ennuie probablement avec ces pensées personnelles. Revenons aux choses sérieuses.

Tic Tac et ses âneries.

C’est étrange, cet après-midi, nous conversions paisiblement de choses et d’autres. Il faisait exceptionnellement doux, et le ciel était dégagé. Un promeneur venait juste de me dire qu’il avait entendu passer des grues. J’étais un peu dubitatif. Tic Tac aussi. Pourquoi pas, au fond ? Nos climats semblent tellement perturbés…Mais que mon âne ne s’en soit pas rendu compte m’étonne. Bref ! Nous parlions de l’évolution de la société humaine. Vaste sujet !

Je lui disais à peu près ceci :

« Vois-tu, mon Roudoudou, il est des choses que j’ai du mal à comprendre, parfois.

« Ça ne m’étonne pas, mon maître. Sauf le respect que je te dois, tu ne comprends pas grand-chose, en général. Ce doit être l’âge. Tu vieillis, mon vieux.

« Dis donc, tu exagères, Tic Tac. Je ne suis pas encore trop ramolli, il me semble. Hum !...A vrai dire, tu as peut-être raison…

« Bon, alors, que voulais-tu me dire ?

« Eh bien, je discutais avec cet homme, en venant. Je croyais sa femme en retraite. « Pas encore, fait-il, avec la nouvelle loi, elle doit prolonger son activité de quelques mois…Si c’est pas malheureux ! Pendant ce temps-là, on paie des jeunes au chômage, qui seraient bien mieux au travail… » Tu sais, Tic Tac, ce sont exactement ses propos. J’avoue que je n’ai pas su quoi lui répondre. Je suis demeuré perplexe. Au fond, il avait raison, non ? Qu’en penses-tu, mon âne ?

« D’habitude, tu m’emmènes sur des terrains moins bourbeux.

« Oui, je sais. Pour ce qui est de terrain bourbeux, on peut dire que nous sommes sur un terrain bourbeux, avec toutes ces pluies…

« Facile, mon maître, facile. Je vais néanmoins te donner mon avis. En effet, il y a quelque chose d’illogique en ce que, d’une part, une personne ayant durement travaillé toute sa vie doive continuer son labeur, ce qui, assurément, diminue le temps dont elle bénéficiera de sa retraite pourtant bien méritée (je me demande d’ailleurs si là n’est pas justement le but recherché par vos dirigeants…), et en ce que, d’autre part, une personne jeune et en pleine force de l’âge, avec des besoins financiers plus pressants (surtout si elle est mariée et a des enfants), demeure contrainte à l’oisiveté, ce que vous appelez, je crois, chômage, alors qu’elle préfèrerait sans doute puiser sa dignité dans le travail. Somme toute, vos dirigeants, même s’ils ont leurs raisons, sont stupides.

« Tic Tac, je pense comme toi, mais je ne me permettrai pas de qualifier de stupides nos dirigeants. Ils savent ce qu’ils font, voyons, ce sont des énarques, ils sont très intelligents ; aussi, ce n’est pas parce que je ne les comprends pas que je ne les ne les respecte pas. Je leur fais confiance.

« Tu me sembles bien aveugle, mon maître. Ne vois-tu pas que ces gens n’ont aucune clairvoyance ? Ils vous mènent dans des impasses. Leurs prédécesseurs n’ont pas agi autrement. Tout se passe comme s’ils étaient aveugles et sourds. Ils paraissent œuvrer toujours exactement contre le bon sens. Vois où cela vous mène.

« Tu as peut-être raison, mon âne. Mais comment expliquer, alors, cet aveuglement chez des gens si intelligents et formés spécialement pour prendre de sages décisions ? Je ne comprends vraiment pas.

« Toi aussi, serais-tu devenu aveugle ? Je te croyais plus lucide, mon maître. Pour ma part, je crois qu’ils sont coupés du peuple qu’ils dirigent. Ils s’imaginent que le pouvoir leur donne la raison. Ils feraient mieux de se méfier : le pouvoir corrompt l’âme. Je serais prêt à parier ma ration d’orge qu’ils bénéficient d’avantages financiers importants pour ce service qu’ils sont censés rendre à votre Etat ?...

« Euh !...oui, en effet. Ils touchent, pour gérer les affaires de l’Etat, des sommes replètes. Ce que les citoyens leur donnent est nettement supérieur à ce que les patrons donnent à leurs ouvriers, par exemple.

« Tu vois, je ne risquais pas de perdre ma ration d’orge. Je ne me trompe pas, mon maître. Vous confiez le pouvoir à des incapables.

« Tic Tac, tu exagères. Je ne peux pas te laisser dire ça.

« Primo : je dis ce que je veux. Je ne suis peut-être pas libre d’aller à ma guise, mais au moins, il me reste la liberté de dire ce que je pense. Secundo : je peux bien dire ce que je veux, vous, les humains, vous vous souciez de ce que je dis comme d’une guigne. C’est une façon de parler. C’est bon, les guignes.

« Oui, mais si tu continues à dire des choses comme ça, tu vas finir par me la porter, la guigne, justement. Ne parle pas trop fort, je t’en prie. On pourrait nous entendre…

Il éclata de son rire tonitruant, qui a le don de faire fuir ma Louve.

« Ma parole, mais tu as peur, mon maître, tu es un trouillard ! Que crains-tu donc ? Ne vis-tu pas dans un pays de liberté ? T’a-t-on retiré la liberté de pensée ? ou celle de t’exprimer ?... Dans d’autres pays, ou à d’autres époques, je ne dis pas, mais en France, quand même…Tu rêves. Allons ! Remets-toi. Reconnais que j’ai raison.

« Je ne sais pas, au fond. Si tu avais raison, tout le monde partagerait ton opinion, ce qui est loin d’être le cas, et alors, on ne persisterait pas à se choisir des incapables pour nous gouverner.

« Je crois honnêtement, mais je ne suis qu’un âne, que beaucoup d’entre vous pensent comme moi. Il y a également une grande part de tes semblables qui préfèrent ne pas penser, parce que ça les arrange. Ils ne veulent pas perdre leurs petits avantages matériels. Ils sont veules, en somme. D’autres ont peur. Ils n’ont pas le courage de dénoncer ce système.

« Tu vas trop loin, mon bon Tic Tac. Même si je commence à penser que tu n’as peut-être pas entièrement tort, je me dis que je ne vois pas comment on pourrait changer cet état de fait.

« Ah ! Nous y voilà ! Tu commences à penser juste, mon maître. En effet, dénoncer la nocivité d’un système est une chose stérile si elle n’est pas suivie d’une proposition de reconstruction. Il faut penser à ce qui pourrait être plus judicieux. Là, vous manquez apparemment de compétences. Vous semblez être incapables d’imaginer d’autres façons de faire. Décidément, les hommes, je vous trouve bien inintéressants. Et dangereux, qui plus est. Non seulement vous vous laissez opprimer par une poignée de vos semblables, mais vous demeurez de plus en plus aveugles et sourds à la nature, à ses plantes et à ses animaux, que vous détruisez irrémédiablement, quand vous ne les élevez pas en batterie pour les manger, et vous la manipulez à votre guise, tels des apprentis sorciers, pour en tirer profit. Ah ! le profit ! Le maître mot ! Vous jouez avec le feu. Quand je pense que vous passez votre temps à vous entretuer ! Ne feriez-vous pas mieux d’ouvrir tout grands vos yeux et vos oreilles ?

Mais je crois bien qu’il est trop tard, mon maître. Vois comme vous avez déréglé les saisons, avec votre fameux réchauffement climatique, comment vos enfants sont malades de respirer l’air que vous avez rendu impur à force de le polluer ! A force de boire une eau souillée par vos produits chimiques ! Sans compter les menaces terribles que font peser sur toute forme de vie vos funestes centrales nucléaires…

« Arrête, Tic Tac. Tu dois avoir raison. Cependant, que faire ? J’ai peur qu’il ne soit trop tard. Quand bien même on enrayerait ce mode de vie complètement fou, ce qui a été fait est irrémédiable.

 

Tic Tac me regardait de son œil si doux. Que dire de plus ? N’avait-il pas raison ? Pour enrayer tout ce satané mécanisme qui mène notre société vers un désastre, ne faudrait-il pas agir sur les esprits ? Changer les mentalités ? Or, chacun d’entre nous n’agit que pour ses propres intérêts, en général. Et voilà où cela nous mène, en effet, la pollution des âmes…

« Mon vieux Tic Tac, je n’ai pas le moral, tout à coup. Tu m’as montré un bien sombre tableau, sans laisser beaucoup d’espoir et de lumière…

« Mon maître, je sais cela. Je dis vrai, hélas ! et tu le sais bien. Il est avéré également que personne ne peut plus rien faire. Mais moi, je t’exhorte à chercher en toi la lumière. Elle n’est jamais loin au fond de nous-mêmes. Alors, tu trouveras un réconfort. Tu ne me parais pas si loin d’elle que cela, si tu veux mon avis. Mais méfie-toi. Souvent, quand tu l’approches, l’ombre te gagne. C’est un combat permanent entre ces deux-là. Ne baisse pas les bras, et continue de chercher des solutions lumineuses à tes questions…

 

Je n’avais jamais remarqué à ce point la sagesse de mon baudet. Ma parole, une poignée d’ânes au gouvernement des nations, et les choses auraient tôt fait de s’arranger…

 

 

A suivre…



6 janvier 2013

 Tic Tac philosophe

L’autre soir, nous avons eu une prise de bec, mon âne et moi. En voici l’origine.

J’avais trouvé au fond d’un grenier, dans un vieux fablier d’un illustre inconnu (les premières pages manquaient), cette fable, pastiche d’une ô combien célèbre fable du ô combien célèbre Jean de La Fontaine, que je m’étais empressé de lire à mon baudet :

 

L’âne pressé de coliques[1]

 

Un baudet pressé de coliques

S’imagina qu’on l’admirait.

Dans cette idée il claironnait

Dégageant au loin l’encens et les moustiques.

Quelqu’un s’approcha et lui dit :

« Maître Baudet, est-ce point votre esprit

Qui dans vos boyaux batifole

De cette manière folle ? »

« C’est ainsi, assurément ! »

A l’odeur reconnues,

D’un personnage pédant,

Ce sont les paroles qui puent.

 

Certes, je reconnais que ce n’était guère bucolique (bien, la rime !...). Mais cela m’avait amusé. Pas lui.

« On voit, par là, avait cru bon d’ajouter Tic Tac, pincé, ce qui te fait rire. Ça ne vole guère au-dessus des pâquerettes.

« Je ne vois pas ce que les pâquerettes ont à voir avec cette fable, avais-je ajouté un peu surpris. Je croyais te distraire, c’est tout.

« Merci bien, mon maître. Mais je préfère encore me distraire tout seul. Je trouve cet humour nauséabond.

« Oh la la ! Dis, Roudoudou, tu ne vas pas en faire tout un fromage ? Bon, d’accord, ce type ne s’est pas trop foulé. Il a quasi recopié La Fontaine.

« Ce n’est pas de cela que je te parle. Tu m’as très bien compris.

« Non, Tic Tac, je ne vois pas où tu veux en venir.

« Ah bon ! Monsieur ne voit pas ! Mais tu ne sens pas, non plus, ce que je veux te faire comprendre ?

« Ah ! … J’y suis ! Tu veux parler des odeurs ?...C’est vrai que tout cela manque un peu, comment dire ?...d’élégance, de raffinement. Mais je te trouve mal placé pour me faire la leçon, mon âne.

« Ah, tiens ! Et pourquoi donc ?

« Mais dis donc, mon cochon, qui me dépose son crottin chaque jour sous la cabane, devant la porte du fenil, hein, mon gros ?

« Voilà, nous y sommes ! C’est bien cela qui te gêne, et que tu cherches à me reprocher encore.

« Non. Honnêtement, je ne pensais pas à mal en te ramenant cette historiette de bas étage. J’ai trouvé cela amusant, voilà tout.

« Oui, mais c’est un de mes congénères, une fois encore, qui est mis en scène, et ce n’est pas pour arranger notre espèce.

« Mais voyons, mon Doudou, tu sais bien que ce n’est pas parce qu’un individu possède un défaut que tous ses frères en ont hérité. Tu me comprends ?

« Peut-être, mais ce n’est pas à mon avantage.

« Mais ce n’est pas de toi qu’il est question ici, mais d’un âne hypothétique, à qui l’auteur a attribué ce travers, mais c’est seulement pour sa démonstration. OK ?

« C’est bon, n’en parlons plus. Mais attends-toi, mon maître, à ce qu’à mon tour je te livre de la sorte ma façon de penser. Ce jour-là, tu ne seras pas déçu.

« Mais je n’y suis pour rien, moi, dans cette affaire, mon gars. J’ignore même qui a écrit ce texte insignifiant.

« Ah, ça, tu peux le dire, qu’il est insignifiant. Allons, mon maître, tournons la page !

 

Je notai au passage la tournure imagée, en référence à la littérature. Quel âne cultivé, tout de même, que ce Tic Tac ! Et dire qu’il n’est pas pour lui de plus grand plaisir que celui de se rouler dans la boue ! Bizarre, ce baudet !

« Que lis-tu, en ce moment, me demanda-t-il brusquement. Kierkegaard, Kant, Nietzsche, Hegel ?...

 

Quelle stupéfaction ! Qui vient l’enseigner de la sorte en mon absence ? pensai-je, estomaqué.

Juste pour l’épater, je répondis, au hasard, le premier nom qui me passa par l’esprit.

« Spinoza.

« Baruch Spinoza : 1632-1677. A vécu aux Pays-Bas. Fameux exégète de la Bible…Je trouve ses idées un peu…libertaires, disons, pour l’époque. Mais si l’on considère…

 

Je l’ai interrompu, interloqué. Juste pour voir, comme ça, je lui ai demandé s’il connaissait Leibnitz.

« Gottfried Wilhelm Leibniz : 1646-1716 ; Alors lui c’était un touche à tout. Tout l’intéressait : les mathématiques, entre autres. Savais-tu qu’il conçut la première de vos machines à calculer ?...

 

Là, j’ai eu un malaise. J’ai dû m’appuyer au râtelier. J’ai tourné la tête, et la tête me tournait. J’avais des vertiges. Incroyable mon Tic Tac ! Mais c’est un phénomène, cet âne ! Si les gens savaient ça ! Mais je serais riche ! Immensément riche ! Comment n’y ai-je pas songé plus tôt ? C’est un génie, cet animal. Je pourrais le montrer à la télé. Fantastique !

« Tic Tac …

Il était songeur.

« Oui, mon maître…

« Euh ! Tic Tac, je ne sais pas d’où te vient cet immense savoir, mais je trouve dommage qu’il n’y ait que moi à en profiter. Tu n’aimerais pas le partager ? Hein ? Qu’en penses-tu ? Tu pourrais instruire les enfants qui viennent te rendre visite, par exemple.

« Oui, ce n’est pas une mauvaise idée, mon maître. Je pourrais commencer par leur parler du Banquet, de Platon…

« Socrate, Tic Tac…

« Platon, mon maître…

« Tu es sûr ?

« Absolument certain, je te l’affirme.

« Oui, en effet. Excuse-moi, Tic Tac. Mais, peut-être est-ce un peu difficile pour des enfants si jeunes, Tic Tac, ne crois-tu pas ?...

« Tu penses ? Alors, les Cyniques, peut-être ? Diogène…

« Tic Tac, il faut réserver la philosophie aux adultes, si tu veux bien. Les enfants ne peuvent accéder à un tel mode de pensée. Mais tu pourrais leur apprendre à compter. Sais-tu compter, au fait ? Nous n’avons jamais eu l’occasion d’éprouver ça ensemble. Montre-moi si tu sais faire. Nous, les humains, nous apprenons à nos enfants, tout petits, à compter sur leurs doigts : un, deux ; trois…Tu connais ça, toi, mon Roudoudou ?

« Pour qui me prends-tu ? Pose-moi une opération, tu seras surpris.

« Heu, je ne sais pas, moi. Trois plus quatre.

Mon âne eut un très gros soupir, secoua ses oreilles, qu’il a longues et poilues, me regarda avec commisération :

« Ce n’est pas gentil, mon maître. Tu te moques de moi. Je t’ai dit une opération.

« Eh, mais, c’en est une, Tic Tac.

Après un silence qui en disait long, il reprit, d’un air infiniment supérieur et agacé :

« Par exemple : 327 x 72. Tu vois ce que je veux dire ?...

« Très bien, mon ami. Ecoute, mon garçon. On dira que ça suffit pour aujourd’hui. Je ne me sens pas très bien. Je dois rentrer. La migraine commence à monter.

« Peuh ! fit-il en détournant la tête.

 

Il me snobe ! Mon âne se fout de moi ! C’est un comble ! Je me demande vraiment si je ne rêve pas. C’est fou, ce Tic Tac est une anomalie de la nature, une monstruosité, un avatar…N’empêche que je suis résolu à tirer profit de ce phénomène. Que feriez-vous, à ma place ? Bien, c’est entendu. Mais je dois m’assurer d’une chose.

« Tic Tac ?

« Mon Maître ?

« A quoi penses-tu, mon Roudoudou ?

« Au calcul de probabilités.

« Mmmh…Passionnant ! Mais dis-moi. As-tu déjà parlé aux enfants qui te rendent visite chaque jour ?

« Non, mon maître.

« Comment, non ?

« Mon maître, il n’y a pas de communication possible entre eux et moi.

« C’est surprenant. Avec moi, tu parles bien.

« Oui, je sais. Mais avec les autres, enfants ou adultes, je ne peux pas. Je me bloque, et il n’y a rien à faire. Rien ne sort. Pas une diphtongue. C’est psychologique.

« Psychologique ?

 

Du coup, tout mon plan s’effondre. Personne ne me croira, s’il ne parle pas aux autres.

« Ecoute, Tic Tac, si c’est psychologique, je vais t’emmener chez un psychologue, ou un psychiatre, ou un psychanalyste. Il parviendra bien à te débloquer la parole.

« Tu crois ?

« Absolument certain. J’en connais un excellent. Je prendrai rendez-vous, tu veux bien ?

« Pourquoi pas ? Ce sera une expérience intéressante. On commence quand ?

« Du calme, Tic Tac. Pas si vite. Il faut obtenir un rendez-vous, et ce peut être long. Et puis, il n’est pas dit qu’il accepte de te prendre.

« Pourquoi ne me prendrait-il pas ?

« Mais, réfléchis : généralement, ce sont les humains qui vont consulter ce genre de spécialistes. Pas les animaux, encore moins les ânes.

« Ah ! je vois ! Raciste ! Il est raciste, ton psy. Bravo ! Il ne manquait plus que ça ! Un psy raciste !

« Attends, Tic Tac ! Ce n’est pas exactement ça. Je veux dire que les ânes, ce n’est pas sa spécialité.

« Mmmh ! Voilà qui commence mal. Es-tu bien sûr, finalement, que cela vaille la peine, cette visite chez le psy ?

« On verra. Pour l’instant, repose-toi, mange, fais de beaux rêves, n’aie aucun souci. Je te préviendrai lorsque j’aurai le rendez-vous.

« Oui. Et je les noterai, mes rêves ?

« Pourquoi veux-tu noter tes rêves, mon Doudou ?

« Pour le psy, voyons ! C’est connu : les psy analysent tes rêves pour mieux t’aider à voir clair en toi. Ainsi, il pourra comprendre l’origine de mon blocage.

« Eh, mais tu en connais des choses, mon gaillard. Bien, sur ce, je te laisse. Il se fait tard, et j’ai encore du travail à faire, moi.

« Moi ! Tout de suite ! Mais moi aussi, Môssieu, j’ai du travail à faire.

« C’est nouveau. Tu veux peut-être labourer le champ ? Tu l’as déjà bien labouré de tes sabots, avec la pluie qui est tombée…

« Es-tu bête ! Non, je suis sérieux : je dois m’entraîner à revoir les tables trigonométriques, il me semble qu’une petite révision s’impose…Au revoir, mon maître. A demain.

« Au revoir, Tic Tac. A demain…

 

Je l’ai regardé par en dessous, inquiet. On me l’a ensorcelé, me dis-je. Ce n’est pas Dieu possible ! Voilà que mon baudet se pique de trigonométrie ! Mais bientôt il va s’attaquer aux logarithmes népériens !

Quand je vous dis que la tête m’en tourne ! Quel Tic Tac !

 

A suivre

 

[1] L’âne portant des reliques



7 janvier 2013

Tic Tac chez le psy

Le plus difficile, ce fut le canapé.

Suivez-moi bien.

Souvenez-vous. Tic Tac souhaitait voir mon psy, pour débloquer sa parole en présence d’autrui. Je suis parvenu à lui obtenir un rendez-vous. Déjà, ce n’était pas évident. Bon, d’accord. Celui-ci est plus habitué à psychanalyser les chrétiens (c’est une façon de parler ; il psychanalyse aussi les juifs ou les musulmans). Parfois, leurs chiens ou leurs chats, puisque ceux-ci sont une composante des troubles de la personnalité de ses patients, souvent. Mais des ânes, c’est plus rare.

Quoique…

Donc, je l’ai accompagné, bien sûr, en ville.

Tic Tac avait déjà vu la ville, la grande : il avait jadis participé à des concours de beauté, dans la capitale. J’ignore s’il avait gagné.

Il n’a pas paru étonné. A la descente du van, je lui ai fait mes recommandations.

« Surtout, sois propre. Et ne dis pas d’âneries, surtout.

« Parce que, j’ai l’habitude d’en dire, peut-être, des âneries ? m’a-t-il rétorqué, froissé.

« Comme tout le monde. Moi le premier, il m’arrive parfois d’en dire, mais surveille ta langue, malgré tout. Je ne voudrais pas que cet homme de science nous juge mal. Car, à travers toi, je serai jugé, tu sais.

« C’est donc ça ! Tu as peur qu’il te juge ! Mais tu as raison. Je me demande si tu ne ferais pas mieux de faire une analyse chez ce monsieur, mon maître. Tu me parais sacrément complexé.

« Merci, Tic Tac. Je t’en prie.

Quel mufle, cet âne !

 

Nous avons été interrompus par le psy, venu nous accueillir sur le trottoir. Des rideaux commençaient à se soulever derrière les fenêtres des maisons voisines. Forcément, les citadins n’ont jamais vu de baudet du Poitou. Ils ignorent totalement ce que c’est que cette grosse bête pleine de poils bourrus. Ils prennent certainement mon Tic Tac pour un mammouth.

Je les ai présentés. Ils se sont serré les pattes. Puis Tic Tac a suivi l’homme de l’art dans son cabinet.

Le psy ne voulait pas que j’assiste à la séance. Je me suis vexé.

Mais voilà qu’après quelques instants, la porte s’est rouverte, et le psy m’appelle.

« Dites, Francis, vous ne pourriez pas venir m’aider ? Votre animal refuse de s’allonger sur mon canapé.

 

Ça commence bien, pensé-je.

« J’arrive.

En effet, ce têtu était bloqué raide sur ses pattes, ne bougeant d’un sabot ni d’une oreille. Heureusement, je l’avais soigneusement brossé. Sa pelisse était douce et soyeuse. Ses sabots étaient curés et vernis au goudron de Norvège.

J’avais même acheté pour l’occasion un joli licol rouge et des grelots. Même que quand je lui ai installé toute cette quincaillerie autour du cou ; il m’a dit :

« Tu ne crois pas que je vais avoir l’air d’un c…, avec tes fanfreluches ?

J’ai répondu que c’était pour impressionner favorablement le psy.

 

Il était donc à côté du canapé, obstiné.

« Que se passe-t-il, mon Roudoudou ? Tu as peur du vilain monsieur ? Mais non, il est gentil, tu vas voir. Allons, mon Roudoudou. Tu sais, ça ne fait pas mal, la psychanalyse. Rassure-toi. Tout va bien se passer. N’aie pas peur.

Là, le psy s’est fâché après moi.

« Dites-donc, vous ! Premièrement je ne suis pas un « vilain monsieur », comme vous dites. Ensuite, apprenez qu’à lui parler comme ça : « mon Roudoudou » par ci, « mon Roudoudou » par là, vous l’infantilisez grave. Enfin, il ne faut jamais dire à quelqu’un qui a peur : n’aie pas peur, cela ne fait qu’accroître son angoisse.

« Mais je n’ai pas peur du tout. Vous commencez à me fatiguer tous les deux. Je ne veux pas m’allonger sur ce canapé, c’est tout.

 

Notre surprise fut grande de l’entendre ainsi s’exprimer : le psy car c’était la première fois de sa vie qu’il rencontrait un âne qui parle ; moi, de constater que mon baudet venait de s’adresser à quelqu’un d’autre que moi.

« Allons, sois gentil, allonge-toi sur le canapé du docteur.

« Jamais de la vie.

Moi, au docteur :

« Excusez-le, Docteur, il est un peu cabochard.

« Mais enfin, Tic Tac, nous diras-tu enfin pourquoi tu refuses de t’allonger sur le canapé du docteur ?

« Personne ne me l’avait encore demandé. C’est la couleur.

« La couleur ? Quelle couleur ?

« La couleur du drap ne me plaît pas.

« Docteur, la couleur du drap ne lui convient pas.

« Oui, bien, ça, j’avais compris. Merci beaucoup.

« Ne vous énervez pas, Docteur.

« C’est ça, ajouta alors mon âne. Ne vous énervez pas, Docteur. Changez plutôt de drap. Vous n’en auriez pas dans les jaunes d’or, par hasard ? Ça conviendrait mieux à mon teint.

« Vous commencez à m’échauffer, tous les deux, avec vos simagrées ! repartit le psy, visiblement en colère.

Je crus bon d’ajouter :

« Vous savez, Docteur, ce n’est jamais bon de s’énerver, surtout en présence d’un patient. La colère est mauvaise conseillère…

« Mais cessez, vous aussi ! Est-ce que je m’énerve, moi ? rugit-il d’une voix si féroce qu’on eût dit celle d’un lion. Mon pauvre Tic Tac en frémit de tout son être.

Cela dut lui rappeler une certaine fable de La Fontaine où il était question du roi des animaux.

Finalement, le psy après s’être absenté quelques minutes, revint avec un couvre-lit d’un beau jaune d’or qu’il étendit sur le canapé après en avoir retiré l’autre, d’un rouge d’un goût douteux, j’étais bien d’accord avec Tic Tac.

« Attention ! c’est celui de mon lit. Prenez garde à ne pas me le salir avec vos grosses pattes.

Cette fois, mon baudet ne posa aucune difficulté et s’allongea sur le canapé, lequel gémit un peu sous la charge.

« En fin de compte, on n’est pas si mal là-dessus, conclut-il sans faire de manières. Tu pourrais peut-être m’en acheter un, mon maitre ? Cela ne me déplairait pas d’avoir ça sous ma cabane.

 

Moi, j’imaginais le canapé avec une couverture jaune, dans la boue de son abri ! Sans compter que ça me gênerait pour ouvrir la porte du fenil ! Il me faudrait le déplacer à chaque fois. Avec mon mal au dos, je vois ça de là !

« Ne rêve pas, Tic Tac. Je suis fauché, avec la crise et les impôts sur la fortune qui augmentent. Comment veux-tu que je m’en sorte ?

« Nous n’avons qu’à déménager pour la Russie, mon maître. Les impôts y sont moins chers. Et puis, il paraît que c’est une grande démocratie, la Russie. Même qu’ils protègent les animaux, là-bas.

« Qui t’a dit cela ?

« C’est BB qui l’a dit.

« Qui ?

« Brigitte Bardot. Un bel animal, entre parenthèses.

« Bon. Quand vous aurez fini, tous les deux, on pourra peut-être se mettre à l’ouvrage ? intervint le psy. Allez, fichez moi le camp, vous, maintenant. Laissez-nous travailler.

« Et puis, ajouta-t-il brusquement, me prenant par le bras en me poussant vers la porte, achetez-lui donc un lit avec un dessus-de-lit jaune d’or. Après tout, ce n’est pas si cher. Il y en a très bon marché chez Conforama.

« Merci. Je me passerai de vos conseils.

« Tu vois, j’avais raison. Le monsieur pense comme moi, jugea bon d’ajouter mon grison, qui n’est pas gris, comme vous savez.

« Cessez ! Vous allez me rendre fou, tous les deux. Je vous laisse.

 

Là-dessus, je suis allé faire les cent pas sur le trottoir, en attendant la fin de la séance.

Je me demandais bien ce qui allait sortir de tout ça. J’ai attendu un peu moins d’une demi-heure. Enfin la porte s’est rouverte. Moi, j’étais rongé d’anxiété. Qu’est-ce qu’il avait bien pu raconter au psy, cette andouille de Tic Tac ? Il était capable d’inventer n’importe quoi pour se rendre intéressant. Comme moi, d’ailleurs.

« Allez, au revoir, mon vieux, disait le psy à mon Tic Tac, lui tapant familièrement dans le dos. Ils se sont serré la patte.

J’ai avancé.

« Va m’attendre dans le van, Tic Tac. J’arrive.

« Dites, Docteur. C’est grave ? Il ne vous a rien dit de mal sur moi, au moins ?

Sinistre, le psy m’a rétorqué, d’un air hautain :

« C’est quatre-vingts euros. J’accepte les chèques. A condition qu’ils soient comme moi.

« Eh ben dis donc ! Vous n’y allez pas avec le dos de la cuiller, vous au moins. Mais que voulez-vous dire avec votre « à condition qu’ils soient comme moi » ?...

« Je ne suis pas de bois, mon ami…

 

Eh bien, au moins, les choses ont le mérite d’être claires, pensé-je en remplissant mon chèque.

« Vous revenez dans huit jours, cher ami, ajouta le psy, péremptoire.

 

J’ai acquiescé sans conviction. A ce prix-là, compte là-dessus et bois de l’eau, mon pote, ai-je murmuré pour moi-même.

Mais il m’a entendu ! Il a l’ouïe fine, le bougre !

« Je vous en prie, m’a-t-il dit. Je ne suis pas votre pote. Et si cela ne vous ennuie pas, je préfère le bon vin. Le Bordeaux, de préférence. Après tout, si vous ne voulez plus le bien de votre âne, c’est votre problème. Au revoir, Monsieur !

 

Il avait été un peu sec. Il faut bien se mettre à sa place. C’est vrai que je n’aurais jamais dû penser si fort. Mais enfin, si le résultat est probant, me dis-je, du moins ce n’aura pas été de l’argent jeté par les fenêtres. Je verrai bien…

 

A suivre





18 janvier 2013

Tic Tac et le Saint-Bernard

 

Eh bien, le psy, si j’ai bien compris, a échoué !

Je lui ai demandé l’autre soir, à mon Daudet du Poitou :

« Alors, mon Tic Tac, cette séance avec le psy, comment cela s’est-il passé ?

« Oh ! Très bien ! Il n’a pas été agressif, ni indiscret.

« Drôle d’idée ! Un psy, ça n’est jamais comme ça. Mais est-il parvenu à lever ce blocage dans la prise de parole avec autrui ?

« Je n’ai aucun problème de ce côté-là, a-t-il rétorqué d’un ton coincé.

« Mais, Tic Tac, tu m’as bien dit que tu ne pouvais pas parler à d’autres humains que moi, et que c’était psychologique ? Souviens-toi, c’est bien pour cela précisément que tu es allé le voir ? Je n’ai pas rêvé ?

« Oui, mais tu me parles des truies : je n’ai aucun souci pour communiquer avec elles, mais j’évite. La gent porcine, ce n’est pas ma tasse de thé.

« Moi, je t’ai parlé des truies ? Que me chantes-tu là, Tic Tac ? Jamais de la vie.

« Si ! Tu m’as dit : « le psy est-il parvenu à lever ce blocage dans la prise de paroles avec les truies. » Je n’ai pas rêvé ?

« Ne reprends pas mes expressions, je te prie, mon ami, tu n’as pas rêvé, non. Je n’ai pas dit : avec les truies, mais avec autrui. Tu ne m’as pas compris.

« Mais ça n’a pas de sens, ta phrase, avec avec aux truies ; c’est avec les truies, qu’il faut dire.

« Tic Tac, je vois que tu ne connais pas ce mot : autrui. Il signifie : les autres. Ta prise de parole aves les autres. Comprends-tu ?

« Mais alors, pourquoi ne m’as-tu pas dit : avec les autres, au lieu d’employer des mots savants pour m’en mettre plein la vue ?

« Je ne cherche pas à t’impressionner, mon Doudou, je te parle français, voilà tout.

Il a continué à bougonner. Il n’aime pas être pris en défaut.

Et puis, soudain :

« Au fait, c’est pour quand, le canapé avec un dessus de lit jaune d’or ?

« Ne rêve pas, gamin : jamais. Primo : ce serait difficile à traîner jusque là. J’ai mal au dos, l’as-tu oublié ? Secundo, ce ne serait pas souhaitable. Tertio, ce serait ridicule.

« Ridicule ? Parce que le psy est ridicule, lui, avec son canapé ? Et pourquoi ne serait-ce pas souhaitable ?

« Eh bien ! Ce serait ridicule, parce qu’on n’a jamais vu un baudet allongé sur un canapé jaune d’or. Et ce n’est pas souhaitable, parce que tu deviendrais fainéant, d’abord, et exigeant, ensuite. Et puis, que diraient les gens ? Imagine un peu tes visiteuses et tes visiteurs : que penseraient-ils de nous en te voyant vautré sur un canapé, hein ? Y as-tu songé, seulement ?...

Il m’a répondu que c’était moi qui étais ridicule, que le ridicule n’a jamais tué personne, et que si je commençais à me préoccuper du qu’en dira-t-on, je n’avais pas fini d’être inquiet.

De toute façon, il ne l’aura pas, son canapé. C’est moi le chef, ici.

J’ai changé de conversation. Je lui ai dit qu’il y avait, au cirque Grüss, un phénomène remarquable : un baudet du Poitou qui obéissait au doigt et à l’œil à sa maîtresse. Puis j’ai ajouté : « Tu ferais bien de prendre de la graine. »

« Pfff ! Tu parles ! Je ne vois pas ce qu’il y a de remarquable là-dedans. Moi aussi je t’obéis, mon maître…quand je veux.

« De temps en temps, en effet. Mais sais-tu seulement ce qu’il fait, lui, ce baudet-là ? Eh bien, il s’assoit sur ses fesses, et pose nonchalamment ses pattes avant sur les épaules de sa maîtresse, assise devant lui ! Ça ne t’épate pas, ça, mon vieux Tic Tac ?

« Un : je ne suis pas vieux. Deux : je te fais cela tous les jours, les doigts dans le nez, si je veux.

Moi, ricanant :

« Oui, bien sûr, tous les jours, vantard ! Tais-toi donc, tu dis n’importe quoi.

« Pas du tout !

« Alors, tu prétends en faire autant ?

« Mais bien sûr, mon cher maître.

« Eh ! Mais alors, qu’attends-tu pour me montrer ça ?

« Tu ne me l’as jamais demandé.

« Je te le demande.

« Je ne peux pas.

« Ah ! Tu vois comment tu es : un vantard, c’est tout. Montre-moi comment tu t’assois sur ton derrière, comme un ours. J’aimerais bien voir ça.

« Je ne te donnerai pas ce plaisir, mon maître.

« Et pourquoi donc ?

« Parce que d’abord, je ne veux pas imiter les ours, et puis…j’ai mal aux oreilles.

« Tiens ! C’est nouveau ! N’importe quoi !

« Et puis, je n’ai pas envie de faire le clown. Je ne veux pas être ridicule…

Moi, goguenard :

« Le ridicule ne tue pas…

« Oh ! Tu m’agaces, mon maître. Tu n’arrêtes pas de changer d’idées. Un jour tu ne veux pas d’un âne de concours, bien dressé, le lendemain, tu veux me faire faire le clown…Il faudrait savoir.

« Je ne te demande rien, Tic Tac. Parlons d’autre chose. D’ailleurs, je n’ai nullement l’intention de te faire faire du cirque. Avec toi, de toute façon, c’est tous les jours le cirque, ici.

« Oh ! Là, tu exagères, maître Francis. Que veux-tu dire par là ?

« Oh, rien ! Je parlais comme ça…Des paroles en l’air…

« Oui, l’air de rien. Tu ne manques pas d’air, cependant.

« Ne prends pas tes grands airs, toi, l’âne, s’il te plaît. Si nous parlions d’autre chose. Tu ne m’avais pas dit que tu frayais avec un Saint Bernard…

« Quoi ! Qu’est-ce que c’est que cette nouveauté ?

« Si, si. J’ai appris, de la bouche de ses maîtres même, qui passent te rendre visite régulièrement, que leur chien et toi vous entendiez parfaitement. Un gros chien noir et feu. Ne me dis pas que tu as oublié. Tu n'es pas encore atteint de la maladie d’Alzheimer, je pense ?

« Ah ! Oui ! Je vois ! En effet. Mais je ne comprenais pas de qui tu voulais parler. J’ignorais qu’il s’appelait Bernard. Et qu’il était sain. Il n’a pas l’air malade, toujours. Mais dis-moi, c’est quoi ta maladie d’Aïe –je-meurs ?

« Alzheimer. C’est de la démence. On finit par oublier tout, on perd la mémoire totalement. Par exemple, tu en serais atteint, tu ne me reconnaîtrais plus. Quelle tristesse, n’est-ce pas, Doudou ?

« On peut le voir comme ça.

« Dis donc ! Tu me cherches, Tic Tac. Pour en revenir à ton Saint-Bernard. Ce n’est pas son nom, Saint-Bernard. C’est le nom donné à la race de chien très particulière à laquelle il appartient. Et le mot Saint est un homonyme de sain. Ici, on évoque une communauté de moines qui vivaient au col du même nom, et qui élevèrent ces chiens pour sauver les hommes en perdition dans les neiges de la haute montagne des Alpes. On les représente souvent avec un tonnelet d’alcool attaché au cou. Les chiens, pas les moines. Ce n’était pas pour eux, cet alcool, bien sûr. Il était destiné aux personnes épuisées qu’ils allaient secourir.

« Je me verrai bien avec un tonneau de rhum sous le cou. Voilà qui ne manquerait pas de faire rire mes amis les enfants.

Une fois encore, son rire tonitruant chassa Louve aux confins du pré.

Il est vrai que l’image de mon Tic Tac avec un tonneau de rhum sous le cou avait de quoi faire rire.

« Il faut dire qu’avec la neige qui tombe en ce moment, on pourrait te prendre alors pour un Saint Bernard. Tu pourrais venir me secourir quand je me sens faible en tirant le foin de dessous les bâches.

« C’est cela. En quelque sorte, moi, je serai Milou, et toi le capitaine Haddock …

 

OK. Je l’avais bien cherché. Mais j’étais content, au fond, que mon âne s’entende bien avec ce bon gros chien sympathique. Il est passé, avec ses maîtres, l’autre jour. Nous avons échangé. Encore des admirateurs de Tic Tac ! Et ils viennent d’un hameau proche. C’est fou le monde que peut connaître mon Tic Tac, et dont j’ignore l’existence. Mais ça me fait plaisir. Je ne suis pas jaloux de sa popularité, bien au contraire. Il a de la visite, et je sais qu’il aime ça. Sans compter que chaque visiteur lui amène son obole. De pain dur ou de carotte, généralement.

A ce propos, mon Tic Tac m’a demandé de remercier tous les généreux donateurs de carottes, de salades, de choux, de blettes, de betteraves et de pain rassis qui ne manquent jamais de flatter sa gourmandise. Je m’acquitte donc pieusement de cette tâche ici.

Je parlais du froid. Je me dois de rassurer tous les petits enfants, Axel, en particulier, qui s’inquiètent pour Tic Tac. Moi aussi, je m’inquiétais, au début. J’avais peur qu’il n’ait froid à ses pattes, ou à ses oreilles, quand il gèle dehors. Or, s’il m’a demandé un jour des chaussettes et des bottes fourrées, c’était pour faire comme moi. Je n’ai pas cédé, bien entendu. Vous l’imaginez en caleçon et en passe-montagne ? Non, il ne craint pas le froid. Avec le chaud manteau de laine dont Dame Nature l’a doté, il peut affronter les rigueurs des frimas. A condition d’être convenablement nourri. Mais, pour ça, pas d’inquiétude. Je lui porte chaque jour sa ration d’orge et de compléments alimentaires en granulés, et garnis copieusement en foin son râtelier chaque soir. Et puis, avec tout ce que vous lui donnez chaque jour, amis visiteurs, pas de soucis.

D’ailleurs, je vais vous laisser pour me rendre à nouveau auprès de lui. Je vais devoir affronter la neige et le froid. Mais que ne ferais-je pas pour ce cher Roudoudou !

Il a certainement des tas de choses à me dire, que je vous raconterai prochainement…

 

A suivre…