Oh ! Oh ! Qu'il est prolixe, mon maître ! Mais où va-t-il chercher tout cela ?...Certes, ce n'est pas de la grande littérature. Heureusement qu'il ne se prend pas au sérieux ! Il ne manquerait plus que ça ! Moi, j'espère simplement que ça vous change un peu les idées, nos bavardages...Bonne lecture, les amis !

23 janvier 2013

Les oreilles de Tic Tac

 

Il faut vous dire, mes amis, que les oreilles de Tic Tac, c’est quelque chose !

Ainsi, du plus loin que je le découvre, cet animal, quand il ne broute pas, bien sûr - mais en général, il me repère bien avant que je sois parvenu à la barrière -, ses deux grandes oreilles sont dressées. J’adore les voir dans cette position. Je lui en parlais tout à l’heure.

« Mon gros, j’ai une tendresse spéciale pour tes oreilles. Elles me font penser au télégraphe Chappe. Tu vois ce que je veux dire ?

« Je ne vois rien du tout, à vrai dire. Explique-toi, mon maître.

« Eh bien, en 1794, Claude Chappe inventait un moyen de communication visuelle très efficace : il consistait à percher en haut de tours élevées, des postes de guet, ou sémaphores, si tu préfères, des bouts de bois articulés, visibles de loin, par conséquent. A chaque position des différents segments, manipulés à la force des bras, correspondait un codage. Ainsi, de relais en relais, les informations traversaient la France.

« Je ne vois toujours pas où tu veux en venir, vieux barbu…

« Un peu de respect pour ton noble maître, je te prie, Martin.

« Martin ?...Tiens, c’est nouveau, ça ! Pourquoi m’affubles-tu de ce ridicule prénom ?

« Oh ! Tic Tac ! Pourquoi dis-tu ça ? Ce n’est pas gentil pour les Martin.

« Peut-être, mais ce prénom-là ne me plaît pas. Pourquoi l’as-tu employé ?

« Pour rien, mon bonhomme.

Je dois vous dire la vérité, mais n’allez pas lui répéter : du temps de La Fontaine, on dénommait ainsi souvent par dérision les ânes et les ours. Pourquoi ? Mystère.

« Alors, si j’ai bien compris, tu me prends pour un sémaphore ?

« Un peu. Ce n’est pas si faux : tu guettes chaque jour ma venue, tu es haut sur pattes et tes oreilles, qui sont grandes, sont juchées sur le haut de ta tête comme les bras articulés du fameux télégraphe.

« Mmmmh !...Je vois.

« En outre, je puis décoder les messages qu’elles m’indiquent, selon leur position.

« Ah bon ? Je t’envoie des messages par les oreilles, moi ? Eh bien, pour une surprise, ça, c’est une surprise. Je ne savais pas que je te parlais avec mes oreilles. Explique un peu, pour voir.

« C’est simple. Les animaux qui possèdent des oreilles mobiles les utilisent assez souvent pour signifier des postures : l’attention, la colère, la joie…Toi, quand tu me guettes, tu dresses bien haut et en avant tes deux grands cornets, pour mieux entendre (pas pour mieux me voir, bien sûr), du plus loin que tu m’aperçois. Ou quand quelque chose t’intrigue, ou qu’un bruit te surprend. Par exemple, lorsque les chiens des premières maisons du bourg se déchaînent, c’est qu’un promeneur passe devant chez eux avec un chien, et ça, tu l’as remarqué. Désormais, entendre les aboiements des chiens qui se propagent dans le bourg, c’est pour toi le signal que quelqu’un va bientôt passer sur la route devant ton pré. Alors, tu guettes, pour t’assurer du promeneur. Car soit ce promeneur, c’est ton maître qui vient te rendre sa visite quotidienne, soit c’est quelqu’un d’autre. Or, souvent, dans les deux cas, cela est pour toi synonyme de friandises. Voilà pourquoi tu dresses ainsi les oreilles.

Quand un bruit parasite survient, tu diriges un des cornets vers sa source, tout en maintenant l’autre dans la première direction. Si tu as peur, tu couches les oreilles en arrière. Comme quand je te gronde, par exemple, pour une bêtise. Comprends-tu mieux ma comparaison de tout à l’heure, mon garçon ?

« Tout cela est parfaitement clair, mon maître. Tu l’as si joliment expliqué. Et comme je suis loin d’être bête…

« Oui, c’est vrai, Tic Tac.

« Cependant, je n'imaginais pas que tu étais aussi observateur, mon maître. En effet, je dois bouger mes oreilles de la sorte. Mais je ne savais pas que tu aimais mes oreilles à ce point. Alors, c’est pour cela que tu me les tripotes si souvent ?

« N’exagérons rien. Je ne risque pas de te tripoter les oreilles, tu détestes ça. Pourtant, il me faut bien te les nettoyer, de temps en temps.

« En effet, en effet.

Puis une idée saugrenue me traversant la tête, je me mis à rire brusquement.

« Que t’arrive-t-il ? Ce n’est pas si souvent que je te vois rire, mon maître. Tu te moques de moi, sans doute ?

« Pas vraiment. Une amie m’a téléphoné tout à l’heure. Nous avons parlé de toi.

« Et c’est pour ça que tu ris ? J’avais raison, tu te moques de moi.

« Non, Tic Tac. Je lui disais simplement dans quel état est ton champ, et, par conséquent, dans quel état tu te trouves- toi-même.

« Et alors ? Qu’est-ce qu’il a, mon état ?

« Tu es tout crotté des pieds à la tête.

« Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle là-dedans.

« Attends. Je lui explique comme c’est difficile d’effectuer ton pansage, avec tous ces morceaux de terre collés dans tes longs poils. Alors, elle me dit, d’un grand sérieux : « Pourquoi ne l’emmènes-tu pas à l’Eléphant bleu ? »…

« Je ne vois toujours pas ce qu’il y a de marrant là-dedans : ou je suis stupide, ou c’est toi.

« Mais, mon brave, ce qui m’amusait, c’était de t’imaginer à l’Eléphant bleu.

Et je me pris à rire franchement de nouveau.

« M’expliqueras-tu ce qu’est ton fameux « éléphant bleu » ? C’est comme quand tu as fumé la moquette et que tu vois des éléphants roses ?

« Non, mon grand. C’est une enseigne de stations de lavage pour les voitures.

« Ah ! Je commence à comprendre. Ton amie te suggère de m’emmener à cette station de lavage pour faire ma toilette ? Et la pensée de ton baudet sous les rouleaux de lavage t’amuse beaucoup, c’est bien ça ?

« Oui, en quelque sorte. J’imagine la tête des gens venus pour laver leur auto ! Ils seraient réellement surpris.

« Assurément, mon maître. Néanmoins, moi, je veux bien que tu m’y emmènes, à cette station de lavage. Peut-être que j’aimerais ça.

« J’en doute, Tic Tac. D’abord, cette machine fait un bruit qui t’effraierait à coup sûr, trouillard comme tu es.

« Moi, trouillard ? Tu y vas fort, je trouve ! Je suis méfiant et prudent. Ce n’est pas la même chose.

Ceci dit, je crois que je n’aimerais pas passer sous ces rouleaux, ni prendre les jets de lessive dans les oreilles et les yeux.

« Ah ! Pour ça, c’est sûr ! Dommage, parce que cela serait certainement très efficace. Vu comme je peine à décrotter ta fourrure.

« Décidément, Maître, tu es un maniaque de la propreté. Moi, ça ne me dérange pas. Après tout, ce n’est que ma fourrure qui est sale, pas moi.

« Vu sous cet angle, tu dois avoir raison, mon gros balourd.

« Au début, quand tu m’as parlé d’éléphant bleu, j’ai pensé qu’il y avait des éléphants, dans vos stations de lavage, qui utilisaient leur trompe pour asperger les carrosseries. Je trouvais cela moyennement amusant. Mais pour nettoyer un baudet, pourquoi pas ? On n’a jamais vu cela, mais il faut un début à tout.

« Alors, là, tu rêves. Imagines-tu sérieusement des éléphants dans toutes les stations du monde, pour nettoyer les automobiles ? T’imagines-tu le nombre d’éléphants qu’il faudrait ?

« Oui, un certain nombre, absolument.

« Sans compter qu’ils sont souvent maladroits. Imagine qu’ils posent négligemment une patte sur l’aile de la voiture qu’ils nettoient, ils en feraient vite de la bouillie.

Nous avons ri encore un bon moment à la pensée des éléphants bleus qui écrabouilleraient les voitures en s’asseyant dessus malencontreusement.

« Au fait. Pourquoi courais-tu comme un dératé, tout à l’heure, juste avant mon arrivée ?

« Moi, je courais ?

« Ne mens pas. Je te voyais dans le haut du champ, au triple galop, tout autour du pré, au moment où est passée la fourgonnette du boucher.

« Oui, c’est exact. Je me souviens. C’est parce que je n’aime pas ce véhicule. Il me fait peur.

« Il te fait peur, Tic Tac ? Mais je te croyais tellement courageux ! Tu me déçois.

« Peut-être, mais comment réagirais-tu, à ma place ?

« Ce sont les couleurs du camion qui t’effraient, Doudou ?

« Non. C’est de penser à son contenu, qu’il trimbale à travers la campagne, pour le porter aux ménagères.

« Oui ? Mais c’est de la viande, mon gros, c’est tout. Je ne vois pas là de quoi en faire une jaunisse.

« J’espère bien ne pas attraper une jaunisse. Mais je préfèrerais encore ça à me retrouver dans la camionnette du boucher.

« Quelle idée, Tic Tac ! Je t’imagine mal, en effet, dans sa camionnette. Elle est exiguë, d’abord, et puis, je ne vois pas trop pourquoi tu grimperais là-dedans.

« Il ne s’agit pas de grimper, mon maître. Mais vous, les humains, vous mangez de la chair animale. Et je ne voudrais pas finir en saucisson dans ce camion. Voilà pourquoi je ne l’aime pas. Que ferais-tu, à ma place ?

Je dus convenir que moi non plus, je n’aimerais pas finir en saucisson dans le camion du boucher.

« Qu’avez-vous besoin de vous nourrir de notre chair, vous, les humains ? Vois les ânes, les chèvres, les éléphants, les girafes, les chevaux et les zèbres, les vaches et les zébus, et tant d’autres : de quoi se nourrissent-ils ?...D’herbe, exclusivement. Nul besoin de tuer. Votre engeance ne fait que cela : donner la mort. Et quand ce n’est pas par nécessité, c’est par plaisir. Ils me font peur, tous ces chasseurs, le dimanche, avec leurs fusils. Et quand ce ne sont pas les bêtes que vous tuez, vous vous en prenez à vos semblables. Je te le demande : est-ce que cela a un sens ?

« A vrai dire, non, mon pauvre ami. Je crains que tu n’aies raison : toutes ces tueries n’ont aucun sens. On pourrait se nourrir de végétaux. Certains s’en satisfont. Pour ma part, j’ai honte d’avouer que j’ai un penchant pour la viande. Ne m’en veux pas trop, Tic Tac. J’ai été habitué comme cela. Mais je devrais cesser cette pratique. Hélas ! Je n’en ai pas la force.

 

Mon âne m’a regardé en poussant un gros soupir, et puis il a tourné la tête, et il est parti plus loin…

 

 

A suivre…





25 janvier 2013

Tic Tac et les drones

 

J’ai pris le temps de bien m’occuper de toi, mon gros Roudoudou. Il fait beau, un peu froid tout de même. Le ciel est dégagé. L’humidité s’évapore. J’ai apprécié que la boue s’assèche. Du coup, je t’ai attaché, mon âne, à un piquet, dans un endroit un peu moins boueux qu’ailleurs. Puis j’ai sorti, de la boîte de pansage, l’étrille. J’ai commencé à retirer la terre collée à ta fourrure. Mais tu n’as pas cessé de tourner la tête vers ma poche : tu y avais flairé les quignons de pain dur mis pour toi. Mais, tu le sais bien, ils sont une récompense. Si tu t’es laissé faire sans broncher, tu y as droit. En fait, même si tu n’as pas été très docile, je te les donne, finalement. Tu le sais bien.

Alors, tout le temps que je t’ai brossé, tu as cherché à happer le bas de ma veste, car ton odorat ne t’avait pas trompé. C’était plus par jeu que par désir de me chiper le pain. Néanmoins, si tu y étais parvenu, tu te serais réjoui. Tu as frotté ta grosse tête contre mon épaule, ce qui me touche toujours.

Et, tout en démêlant les poils de ton épais manteau brun, nous avons parlé.

Je t’ai fait part de mes réflexions relatives à un article de ma revue scientifique préférée, qui portait sur les drones.

« Sais-tu ce que sont les drones, mon Tic Tac ?

« Les drôles ? as-tu dit en secouant tes oreilles.

« Non, les drones. Tu deviens sourd, mon bonhomme.

« Ce sont des sièges pour les lions ?

« Pourquoi ça ?

« Ben, les lions sont, selon vous, les humains, bien que je ne partage pas du tout ce point de vue, les rois des animaux. Ils s’assoient donc sur des sièges particuliers : les trônes ? C’est bien cela ?

« Pas du tout, mon âne. Les dro-nes sont des avions sans pilote.

« Ah ! J’ignorais. Il y a encore quelques trous dans le filet immense de mes connaissances. Mais je suis ravi d’apprendre quelque chose de toi, mon maître. Pourquoi me parles-tu de ces drones ?

« Ce sont des appareils militaires, Tic Tac.

« Alors, je doute que cela m’intéresse. Tu connais ma position sur l’armée : je suis antimilitariste.

« Moi aussi, mon vieux. Mais écoute un peu. De nombreuses armées du monde planchent sur ces avions de l’avenir. Leur gros avantage, c’est qu’on épargne des vies humaines grâce à eux. Celles des pilotes, du moins. Car, jusqu’à présent, traditionnellement, tout avion a son pilote. C'est-à-dire au moins une personne à bord. Si l’avion est abattu, le pilote a de forces chances de mourir.

« Mais à quoi les soldats utilisent-ils ces drones, mon maître ?

« Tout d’abord, on les a confinés dans des missions de reconnaissance. Ainsi, on les envoie au-dessus des lignes ennemies pour filmer la position des troupes, qu’on peut de la sorte plus facilement détruire.

« Oui, je comprends. Mais qui les dirige, ces appareils, s’ils n’ont pas de pilote ?

« Ils sont dirigés du sol, par deux ingénieurs installés devant leurs ordinateurs. Ils transmettent leurs ordres par ondes aux ordinateurs de bord, qui, grâce au matériel embarqué, les caméras notamment, effectuent les manœuvres demandées.

« Dis-donc ! Voilà qui me semble compliqué. Avec votre informatique, tac, où vous arrivez !

« C’est hélas ! vrai, mon baudet. Mais pourquoi dis-tu : tac ? C’est un tic, tac , chez toi ? C’est nouveau.

« Oh rien, c’était juste un clin d’œil : informatique-tac. Tic Tac : tu comprends ?

« Oh ! Alors là, c’est trop fort pour moi. En as-tu beaucoup, des comme ça ?

« Un peu. Automatique-tac. Fantastique-tac. Elastique-tac…Pratique…

« Bon, ça suffit comme ça. C’est très nul, mon cher.

« Tu dis ça parce que tu es jaloux. Tu aurais aimé y penser, avoue, mon maître.

«  Pas du tout, mon ami. Je n’aurais pas été très fier d’avoir accouché de ce genre de jeu de mots laid. Tu piges ?

« Oh ! Oh ! Oh ! Très drôle. Mots-laid ! Tu es bon, je trouve.

« C’était juste pour te faire plaisir. C’est si usé…Mais tu disais que c’est compliqué. Oui, énormément. Et ce n’est que le début. Les nombreuses équipes d’ingénieurs de différents pays sont arrivés à fabriquer des drones aussi gros que les avions chasseurs-bombardiers ordinaires. Mais on ne leur assigne pas que des missions de reconnaissance. Ils transportent plusieurs tonnes de matériel : des bombes, par exemple. En outre, afin de ne pas se faire repérer par les radars ennemis, on les rend pratiquement indétectables : on les appelle, pour cela, avions furtifs. On redouble d’ingéniosité et d’imagination dans ce domaine. Mais ces techniques nouvelles d’invisibilité aux radars sont extrêmement onéreuses. Cette recherche et la réalisation de ces engins coûtent des fortunes.

« Je ne vous comprendrai jamais, vous, les bipèdes. Tu ne cesses de me dire que la misère est grande dans le monde, et vous dépensez des fortunes pour vous tuer. Toute cette énergie et ces dépenses ne seraient-elles pas mieux employées dans le domaine de la santé, par exemple, ou pour la lutte contre la faim ?

« Eh oui, mon gros patapouf, c’est exactement ce que je me suis dit en lisant cet article. Il se trouve aussi que certains états terroristes sont parvenus à détourner ces drones et à se les accaparer. Ils peuvent donc désormais les fabriquer à leur tour. Ils vont enfin parvenir à la réalisation de leur rêve le plus fou : leur faire transporter des bombes atomiques pour détruire les pays ennemis. Autre risque : la prolifération de ces engins. Bientôt, personne ne sera en mesure de contrôler tous ces appareils. Imagine les dégâts que pourrait causer une escadrille de drones chargée de bombes nucléaires ! C’est effrayant . L’auteur de l’article prétend que dans un avenir proche, la guerre se livrera entre drones dans le ciel et robots au sol. Des armées de drones et de robots qui s’affrontent ! Quelle folie ! Mon pauvre Tic Tac, l’homme est fou.

« C’est bien vrai. Quelle entreprise absurde que celle de construire de telles armes ! Que de gaspillage d’argent et d’énergie ! Et puis toujours tuer. Vous êtes une engeance terriblement dangereuse pour tout le règne du vivant, y compris vous-mêmes, les homo erectus, mais, surtout, particulièrement folle. Quelle absurdité ce comportement ! Il y a des moments où je me demande s’il n’aurait pas mieux valu que votre espèce fût détruite dès son apparition sur terre. Observe, mon maître, qu’aucune autre espèce animale n’a jamais cherché à s’autodétruire de la sorte. Encore moins à éradiquer les autres espèces vivantes. Et, pour la première fois dans l’histoire de la Terre, l’humanité peut s’autodétruire, et, avec elle, faire disparaître à tout jamais toute vie de la surface de notre refuge cosmique, cette arche de Noé. Ne sommes-nous pas tous des miraculés sur cette boule, goutte de lumière et d’eau, de vie, au sein d’un univers glacé et cataclysmique ? Il ferait si bon vivre en paix, en partageant les ressources que nous offre notre bonne vieille terre…

Là-dessus, mon âne eut un énorme soupir.

« C’est tout à fait ce que je pense, Tic Tac. Tu es sage. Mais qui t’entendra ? Il semble que les hommes soient devenus aveugles et sourds. Il est trop tard pour enrayer leur inconséquence. Vois-tu, mon Roudoudou, puisqu’il n’y a rien à faire pour empêcher cela, il ne nous reste qu’à profiter des bons moments qu’il nous est encore donné de vivre. Peu importe, au fond, que nous disparaissions un jour, demain ou dans quelques années. De toute façon, tout être vivant vient sur terre pour mourir, non ? N’y pensons plus. Laissons ces fous à leur folie. Au fond, quelle importance ? Que sommes-nous dans cet univers, à l’échelle des mondes ? Le temps lui-même n’existe plus au regard de la durée de vie de l’univers. Nous ne sommes que poussière. Nous retournons à la poussière. La même que celle dont sont faites les étoiles.

« Décidément, mon maître, aujourd’hui, tu n’es guère réjouissant. N’as-tu rien de plus rigolo à raconter ?

J’ai réfléchi désespérément, afin de me souvenir de quelque bonne blague pour le faire rire. J’ai fini par en trouver une, mais le cœur n’y était pas. Je la lui ai servie, toutefois.

« C’est une devinette, mon Tic Tac. Pourquoi Napoléon n’attachait-il jamais son cheval aux arbres ?...

« Ah ! Encore les chevaux ! Pourquoi pas les ânes, pour changer un peu ?

« Si tu veux. Pourquoi Napoléon n’attachait-il jamais son âne aux arbres ?...Alors, tu donnes ta langue au chat ?

« Ah ! Non ! Tu y vas un peu fort ! Pourquoi devrais-je donner ma langue au chat ? Il n’en a pas, peut-être ? Qu’en ferait-il, grands dieux ?

J’ai ri.

« Que tu es sot, mon garçon ! C’est une image. Une expression que l’on place quand une personne sèche sur une colle. Comme toi, en ce moment.

« J’ai beaucoup de mal avec vos expressions. Sécher sur une colle, c’est quoi ?

« Ça signifie ne pas trouver la réponse à une question.

« Mmmmh ! Je ne sais pas, moi. Parce qu’il était pressé, peut-être ? Ou trop fier pour s’abaisser à le faire lui-même ? Ou bien encore, il ne savait pas faire les nœuds ?

« Rien de tout cela, Tic Tac. Parce que les chevaux et les ânes mangent l’écorce.

Tic Tac m’a regardé, placide. Visiblement, il n’avait pas compris. J’ai répété.

« Les chevaux et les ânes mangent l’écorce. Les Corses…Napoléon était corse, Tic Tac.

« Aaaaah ! Je comprends ! Oh ! Qu’elle est bonne, celle-là !

Il rit à son tour, de son rire tonitruant qui envoie toujours ma chienne aux confins de son territoire. « Tu en as encore dans ce goût-là, mon maître ?

Je me suis souvenu d’images satiriques que m’avait envoyées Jean-Claude.

« Tu sais, Jean-Claude m’a adressé par internet des dessins très drôles.

« Ah oui ? Raconte…

« Il s’agit de plusieurs dessins qui représentent une mule qui rit à gorge déployée.

« Et cela t’a fait rire, maître Francis ?

« Justement, c’est cela qui est drôle : elle s’appelle Francis. Somme toute j’ai une tête de mule !

« Là, je connais l’expression avoir une tête de mule. Elle signifie être têtu. Mais je ne te savais pas têtu, mon maître. Moi, assurément, je le suis. Mais toi, vraiment ?

« Je ne sais pas. On se connaît si mal ! On s’imagine toujours être parfait, mais on se trompe souvent. C’est un peu comme si l’on portait un bissac sur l’épaule : la poche de derrière serait celle de nos défauts, et celle de devant celle de nos qualités. On a de la peine à grimper la pente, parce que la poche du dos est si lourde, qu’elle voudrait nous faire retomber en arrière, mais on ne la voit pas…

« Voilà que tu recommences à faire le moraliste. Tu n’es pas drôle, aujourd’hui, décidément.

Au bout d’un moment, je lui ai confié.

« C’est sans doute parce que je me suis fait flashé au radar hier.

« Encore ! Mais tu n’arrêtes pas ! Quel mauvais conducteur tu fais !

« Oui. Evidemment, ça ne risque pas de t’arriver, à toi, mon baudet.

« C’est malin. C’est sûr. Je n’ai rien d’un bolide, tu me l’as déjà fait remarquer. Mais je ne conduis pas sur les routes, moi. Je ne suis pas un danger public, comme toi.

« Oh ! N’exagère pas ! Je n’ai pas dépassé de beaucoup la vitesse imposée. Mais ces machines sont infernales. Je les exploserais, si je le pouvais (celle-ci, maître Baudet ne pouvait pas la comprendre…). Vois-tu, Tic Tac, il me vient une idée. Si je rendais ma voiture « furtive », c'est-à-dire invisible pour les radars, comme le sont les drones de l’armée, je pourrais rouler librement à la vitesse que je veux, en toute impunité. Ils feraient mieux de travailler là-dessus, les ingénieurs, plutôt que sur l’invisibilité des drones de guerre.

« Mon pauvre maître ! Comme je te plains ! Dans quel monde vivez-vous ! Toi qui évoques si souvent ta sacro-sainte liberté, j’ai bien l’impression qu’elle se réduit comme peau de chagrin. Tu ferais mieux de venir habiter à demeure avec moi. Ainsi, tu n’aurais plus toutes ces tracasseries.

« Je sais bien, mon âne. Il est évident que si j’étais un ermite, un ascète, en quelque sorte, vivant retiré du monde, je ne serais pas en butte à toutes ces contingences.

« Qui t’en empêche ?...

 

Il me regardait de son œil malin, mon Tic Tac.

Voilà bien une question profonde, me dis-je…

J’ai frotté ma joue à son museau si doux, et je suis rentré chez moi, pour vous raconter tout ça.

 

A suivre…



29 janvier 2013

Tic Tac et les plantes

 

Ce soir-là, j’étais arrivé avec des fleurs jaunes que j’avais cueillies pour soigner une toux récalcitrante. Mais Tic Tac, curieux, comme d’habitude, avait voulu me les manger. Il m’avait fallu batailler pour les préserver.

« Elles ne sont pas pour toi, Tic Tac, ce sont des pas-d’âne.

« Comment ça, pas d’âne ? Tu ne veux plus de moi ?

« Je n’ai pas dit cela. J’ai dit que ces fleurs portent le nom de pas-d’âne.

« Ah ! Tiens ! Voilà qui est curieux. Alors, si je les mange, je disparais ?

« Pourquoi ?

« Eh bien, pas d’âne, avec elles…

« Alors, là, bravo ! Tu fais très fort, mon gars. Chapeau. Peut-être, en effet, te tueraient-elles, si tu en mangeais, et après, pas d’âne, en effet. Mais j’en doute. Ou alors, il faudrait que tu en manges de grosses quantités. Mais pas de danger. Il ne s’en trouvera pas sur ton champ. Pas plus que des pétasites.

« Drôle de nom pour des plantes. Elles donnent des gaz ?

« Si c’est un jeu de mots, mon baudet, il n’est pas très bon. J’ai parlé d’elles parce que le pétasite ressemble au tussilage. Tussilage est l’autre nom du pas-d’âne. Et si on le nomme pas-d’âne, c’est que ses feuilles évoquent le sabot de ceux de ta race.

« Ah ! Enfin, on nous prend pour modèles dans le bon sens, pour une fois.

« Il y a d’autres expressions où l’on fait intervenir les équidés de votre espèce. Je dois dire qu’en effet elles ne sont pas toutes en votre faveur, hélas ! Je le regrette, tu sais, mon Roudoudou.

« Je sais bien que tu n’y es pour rien. Toutefois, j’aimerais que tu m’en parles un peu.

« Bien. Déjà, sur les routes, autrefois cahoteuses et pleines d’ornières, un « dos d’âne » désignait une partie soudainement élevée de la route, une bosse, en quelque sorte. N’y vois là rien de péjoratif, mon Tic Tac.

« Non, non, je comprends. Continue à m’enseigner, mon maître, comme si j’étais à l’école.

« Je t’ai parlé déjà, je m’en souviens, justement à propos d’école, qu’autrefois on coiffait d’un bonnet d’âne les mauvais élèves. Là, ce n’était guère flatteur pour ta race, je le confesse. Mais nous allons bien trouver de la flatterie pour tes semblables, je pense. Laisse-moi réfléchir un peu.

Alors que je rassemblais mes idées, il me donnait des gentils coups de tête dans les jambes, juste histoire de se frotter, comme il aurait fait avec ses congénères.

« On dit, par exemple : « Tu fais l’âne pour avoir du son ». Cela signifie qu’on fait semblant d’être stupide pour gagner quelque chose, un renseignement, par exemple. En ce cas, ce serait plutôt flatteur, vois-tu.

« Mmmh, je vois…

« On parle d’une charge très lourde, comme de celle d’un âne mort. Ce n’est pas péjoratif.

« Oui, mais ce n’est pas drôle.

« Exact. Ne dit-on pas de quelqu’un de sage et attentif qu’il est sérieux comme un âne qu’on étrille. Est-ce au sens propre qu’on doit l’entendre ? Car il est vrai que lorsque je te passe l’étrille, tu demeures généralement tranquille. Mais étriller a aussi le sens de sermonner. En ce sens, si je te passe l’étrille, ça te calme aussi, évidemment. On parle aussi de pont-aux-ânes, pour évoquer un obstacle qui rebute les débutants, alors que la difficulté est minime. En ce cas, cela évoque bien bon nombre de tes congénères qui refusent d’emprunter un pont, s’il s’en présente un sur leur route. Toi-même, n’agirais-tu pas de la sorte ?

« Sans doute. A moins que tu ne m’apprennes à surmonter mon appréhension. Avec toi, mon maître, les choses seraient plus aisées.

« Peut-être. Je n’en suis pas certain. On parle aussi de l’âne de Buridan, pour évoquer quelqu’un incapable de choisir entre plusieurs solutions. On évoque alors le fait que les ânes ne seraient pas capables de choisir entre deux friandises à eux offertes. Mais n’en serait-il pas de même pour bien des enfants, voire des adultes ?

« Ce n’est pas prouvé, ce que dit cette expression, mon maître. Tends-moi une carotte dans ta main gauche et un quignon de pain rassis dans la droite, pour voir…

« Désolé, Tic Tac, je n’en ai plus. Tu as tout mangé. Mais j’aurais envie d’en rajouter une, d’expression, en y songeant bien.

« Ah oui ? Et quelle serait-elle, je te prie ?

« Je dirais volontiers : gourmand comme un Tic Tac.

« Oh ! Mon maître ! Là tu exagères ! Moi, gourmand ?...Tu me blesses, sais-tu ?

Il boudait.

« Arrête, Doudou. Je plaisantais. Tout le monde ici connaît ta gourmandise proverbiale. Et ce n’est pas grave. Personne ne t’en veut pour cela. Au contraire. Cela te rend encore plus sympathique.

« Ah bon ? Tu crois vraiment ?

« Je t’assure. Allons, pour te consoler, laisse-moi te conter l’histoire du roi Midas.

« Il y est question d’un âne, dans ton histoire ?

« D’une certaine façon, oui. Midas était, il y a fort longtemps, le roi d’une contrée d’Asie Mineure, la Phrygie. Comme il était excellent musicien (élève d’Orphée !) on lui demanda d’arbitrer un concours entre un satyre, joueur de flûte réputé, et Apollon, remarquable joueur de lyre. Or, Apollon était un dieu. Le dieu de la musique et de la poésie. Il est cher à mon cœur. D’autres disent que ce satyre était le dieu Pan, dieu des bergers et des troupeaux. Midas ayant donné le satyre vainqueur, Apollon se fâcha et se vengea en l’affligeant d’oreilles d’âne. La longueur de ces appendices velus, qui peut paraître flatteuse chez tes semblables, ne le parut guère à ce pauvre roi, qui décida donc de les cacher sous un bonnet (le fameux bonnet phrygien : je te rappelle qu’il était roi de la Phrygie). A ce propos, sais-tu la force symbolique que revêt cette coiffure pour nos révolutionnaires de 1789 ?

« Oui, je suis au courant. Entre nous, les choses ont bien changé depuis ce temps-là.

« Ah ? Tu trouves ?

« Plutôt, oui. Je ne suis pas sûr que votre fameuse devise « liberté-égalité-fraternité » ait encore un sens dans votre pays.

« Ah bon ? Je ne comprends pas, Tic Tac. Explique-toi.

« Eh bien, par exemple, que penses-tu de vos grands patrons, qui perçoivent des salaires complètement disproportionnés par rapport à ceux des ouvriers qui travaillent dans leurs usines ? N’est-ce pas inique ? Ou certains d’entre vous qui, au prétexte qu’ils tapent avec une grande habileté dans un ballon, vont toucher des salaires vertigineux ? Tout ça pour jouer ?...Là je ne peux pas comprendre. Tu diras ce que tu voudras, mais cela demeure pour moi absolument incompréhensible. Et ce ne sont là que deux exemples pris au hasard. Je suis sûr qu’en réfléchissant bien, tu n’auras pas de peine à trouver d’autres injustices dans votre société humaine.

« Hum ! Je crois que je vais achever mon histoire. Cela vaudra mieux.

« C’est cela, oui. Achève ton histoire. Qu’advint-il de ce pauvre roi ? Entre nous, quelle idée d’accepter un tel marché ! Il aurait mieux fait de les laisser se départager tout seuls. Je suis persuadé que l’autre se serait vengé aussi, s’il l’avait donné vainqueur. Avec les puissants, c’est toujours comme ça, il faut toujours qu’ils aient raison. Le pouvoir, ça monte à la tête, c’est connu.

« Tu m’as l’air d’en savoir long sur les gens de pouvoir, mon pauvre Tic Tac. Hélas ! Même si tu as raison, qu’y pouvons-nous ? Ainsi est faite notre humanité, depuis toujours, et je doute qu’elle change un jour. Je reprends mon conte. Midas, donc, cachait ses oreilles sous son bonnet. Mais son serviteur découvrit son secret. Il courut dans les champs, creusa un trou dans le sol, y cria : « Midas a des oreilles d’âne !... », puis reboucha le trou. Il y poussa aussitôt un roseau qui se mit en devoir de répéter cela et le vent porta le secret du roi par la terre entière.

« Belle histoire, mon maître. Elle comporte des étrangetés, mais ça fait réfléchir. Evidemment, je trouve dommage qu’une fois encore, nos attributs soient ridiculisés, mais c’est une question d’habitude.

« Encore, je ne te dis pas tout !...

« Ah bon ?...Alors arrête ici. N’en dis pas davantage. Je ne veux plus rien entendre.

« De toute façon, je me serais arrêté là.

« Ah ? Pourquoi donc ?

« Pour rien, Doudou. Tu sais, je t’ai entendu m’appeler, tout à l’heure.

« Oui ? Je me demandais si tu m’entends, de chez toi, quand je t’appelle.

« Eh bien, oui. Ta voix couvre tout le village. Elle passe par-dessus les toits et, si je suis dehors, je l’entends.

« Je m’en doutais. Car, je ne te l’ai jamais confié, j’entends le bruit de ta voiture, quand tu rentres très tard dans la nuit. Je reconnais le son de ton moteur. De la même façon, j’entends la voix de ta chienne, et je la reconnais. Je puis même te dire ce qu’elle signifie. Souvent, elle sonne le départ de votre expédition quotidienne vers moi, avec ton seau sous le bras, qui contient mes friandises. C’est pour t’appeler que je brais si fort.

« Je l’avais compris, Tic Tac. Comme je sais aussi que tu as la vue perçante. Tu me guettes, le soir, et dès que je passe le hangar de Monsieur Dardillac, tu m’aperçois. Alors, tu commences à t’agiter devant la barrière, puis, les oreilles dressées vers moi, tu t’immobilises, et ne me quittes plus des yeux, jusqu’à ce que je sois arrivé à toi. Si je m’attarde en route pour parler à quelqu’un croisé sur mon chemin, tu t’impatientes, et me rappelles à l’ordre. Je me trompe, peut-être ?

« Pas du tout. C’est exactement comme cela que ça se passe. En fait, on se comprend bien, tous les deux, hein, mon maître ?

« Bien sûr, mon gros Nounours.

Là-dessus, nous avons échangé toutes les marques d’affection mutuelles habituelles : câlins, gratouilles, frottis-frottas…

Du coup, j’ai trouvé une lichette de pain dur au fond de ma poche, que j’ai fourrée dans ses grosses babines.

Quand il me regarde, de son gros œil, j’ai l’impression d’y lire toute la tendresse du monde.

Et qu’on ne me dise pas que les animaux n’ont pas d’âme ! Comment expliquer de telles relations d’affection entre lui et moi ?

Au fond, je me fiche bien de ce qu’on peut en penser, allez. Ce qui compte, c’est ce qui se passe entre mon âne et moi, n’est-ce pas ?

 

A suivre…



3 février 2013

Tic Tac et la 10

 

C’était je ne sais plus quand. Au printemps. A cause du gazon du pré, tout vert, des pâquerettes qui faisaient comme un tapis autour de nous, et des pissenlits comme autant de petits soleils attendrissants. Appuyé au manche de ma fourche, j’avais interrompu ma tâche. Rien de bien excitant : le ramassage des crottes de mon âne. Comme vous savez certainement – je suis désolé de vous parler de choses aussi terre à terre, mais c’est aussi cela, le quotidien d’un baudet, fût-il Maître Aliboron en personne – les ânes ne disséminent pas leur crottin n’importe où dans le champ, mais le déposent régulièrement par places. A ce sujet, décidément, nos ânes n’auront guère connu la célébrité que pour leur ignorance ; car, si Aliboron désigne par dérision un personnage sot, il faut savoir que celui qui a donné son nom à ce sobriquet était un savant persan autour de l’an mille. Un encyclopédiste assez génial, qui a apporté sa pierre dans bien des domaines : mathématique, astronomie, pharmacologie, géographie, etc, etc…Bref, un scientifique touche-à-tout génial, de surcroît polyglotte : Al-Biruni.

La Fontaine, que nous avons déjà croisé dans ces colonnes, surnommant de la sorte l’âne de ses fables, voulait lui conférer le caractère exactement contraire, par dérision, procédé qu’il nous arrive d’utiliser encore, en flattant quelqu’un dont on veut se moquer.

Mais, fi de la linguistique ! Et fi d’Aliboron ! J’en viens au fait.

Je considérais mon baudet, tranquille, broutant la tendre herbette du pâturage dans l’air printanier. Soudain, il s’arrêta, levant la tête pour considérer la 10, au loin.

La 10, chez nous, en Charente, c’est la nationale 10. Une route très passante, à quatre voies, reliant le nord au sud. Elle est empruntée intensément par les camions, allant parfois jusqu’à former des trains interminables. Des camions, mais aussi des voitures, bien sûr. Et tout ce trafic ne s’arrête jamais, dans les deux sens. Or, notre petit village se situe juste à côté de cette importante voie de communication terrestre. Oui, vous allez me dire : « Mais où nous emmène-t-il, avec ses histoires de circulation routière inopinées ? » J’y viens. Du champ de Tic Tac, on domine de loin ce flux de circulation incessant. Certes, c’est assez éloigné pour ne plus y prêter attention. Le plus souvent, le bruit des véhicules ne parvient pas seulement aux oreilles de mon baudet. Mais si les vents portent, on entend ce roulement lointain continu, sans d’ailleurs le remarquer particulièrement. Donc, généralement, je n’en fais pas cas. Qu’est-ce qui pouvait avoir ainsi alerté Tic Tac ? Portant à mon tour mes regards dans cette direction, je ne remarquai rien de particulier, que le va-et-vient ininterrompu des véhicules.

« Qu’as-tu vu, Tic Tac ? dis-je alors à mon baudet.

«Il mit un certain temps à me répondre, fixant pensivement le ballet lointain des poids lourds.

Enfin, il se décida, s’approcha à pas mesurés, et me répondit, après avoir frotté sa grosse tête contre moi :

« Je regardais vos camions.

« Eh bien, que leur trouves-tu, à nos camions ?

« Je ne comprends pas.

« Tu ne comprends pas quoi, Roudoudou ?

« Plusieurs choses. Te souviens-tu comme j’ai eu peur, la première fois que tu m’as emmené à proximité de cette voie ? Je n’ai pas changé : elle me fait toujours peur. Tout ce mouvement de boîtes qui roulent sans fin m’effraie. Je me demande d’abord à quoi elles servent. Ensuite, pourquoi il y en a tant qui bougent en permanence dans les deux sens. En outre, je me demande parfois si cette odeur désagréable qui couvre celle si suave des fleurs des champs et me prend aux narines n’émanerait pas de ces véhicules ?

« Ta remarque est tout à fait pertinente, mon cher. En effet, cette odeur nauséabonde qui masque les parfums champêtres provient bien de ces caisses qui roulent sans cesse là-bas. Je t’en expliquerai plus tard la cause. Mais je pensais que cette frayeur t’était passée depuis longtemps, mon gros ? Je comprends que cette agitation perpétuelle, qui n’est pas naturelle somme toute, t’interroge et te perturbe. Mais tu n’as rien à craindre, mon Doudou.

« Je le sais. Mais je n’y peux rien, c’est plus fort que moi. De temps en temps, ça me donne le vertige, et me fiche la trouille.

« Parle bien, Tic Tac. On pourrait t’entendre.

« Tu veux rire ? Qui pourrait m’entendre ? Ta chienne, peut-être ? Je ne lui ai jamais entendu prononcer autre chose que des aboiements furieux et discordants.

« Tu y vas fort, Tic Tac. Pour le coup, si elle t’entend, elle se vexera. Et puis, elle me parle, sais-tu ? Mais elle aussi a son caractère. Elle ne se confie que lorsque nous sommes seuls.

« Tu parles, Charles ! Des bobards, oui !

« Tic Tac, je ne te permets pas !

« Oui, réponds donc à ma question. A quoi cela peut-il bien servir ce mouvement perpétuel ?

« Ce n’est pas un mouvement perpétuel, Tic Tac. On appelle ainsi un mouvement qui se poursuit indéfiniment sans apport supplémentaire d’énergie.

« Et alors ? Je n’ai encore jamais vu ce truc invraisemblable s’arrêter. Même la nuit, ça roule : pourquoi ?

« Tic Tac, les camions assurent le transport des marchandises. Les voitures et les cars celui des personnes.

« Eh bé, mon maître ! Vous en avez de la marchandise, qui se balade sur cette 10 ! Mais qu’avez-vous besoin de tant de choses ? Et où les portez-vous ? Et d’où viennent-elles donc ? A quoi servent-elles ? En quoi consistent-elles ?

 

Je dois vous faire un aveu. Je me suis senti perdu face à toute l’étendue de son ignorance, ou plus précisément, à la façon dont j’allais m’y prendre pour combler cette lacune.

 

« Voyons, toi l’érudit, le Daudet du Poitou, tu ignores cela ?

J’avais dit cela pour gagner du temps, en somme. Ce fut maladroit : il se vexa.

« Dis donc, ce n’est pas très pédagogue, ta réflexion. Tu aurais pu t’en dispenser. Ce ne devrait pas être à moi de te le dire.

« Pardon, Tic Tac. Je ne voulais pas te vexer. Bien sûr, tu as le droit d’ignorer certaines choses. Et puis, si tu ne me le demandes pas, tu ne sauras jamais. Eh bien, vois-tu, pour faire simple, toi, de quoi as-tu besoin pour vivre ?

« De toi.

« Tic Tac, sois sérieux !

« Je suis tout ce qu’il y a de plus sérieux : n’est-ce pas toi qui m’apportes l’eau qui m’est indispensable à la vie ?

« Ah ! Je croyais que tu voulais me signifier que tu avais besoin de mon affection.

« Ma parole ! Mais tu te vexes, mon maître ! Bien sûr que j’ai besoin de ton affection, ballot. Mais ce n’est pas essentiel. Sans amour, je peux vivre, mais sans eau, non.

« Je l’admets. Tu ne m’as pas dit, et c’est normal, de nourriture, ou de vêtements, puisque l’herbe du champ suffit à ta subsistance, et que tu ne portes pas d’habits. Les humains, pour leur part, ont besoin de tout cela, et de bien d’autres choses encore. Ainsi, quant à moi, je trouve l’eau au robinet. C'est-à-dire que l’eau qui se trouve enfouie sous le sol est acheminée par des tuyaux jusqu’à ma demeure. Il en va ainsi pour la plupart des habitants de mon pays. Mais moi aussi je dois me procurer la nourriture indispensable à ma vie. Jadis, chacun assurait sa propre subsistance. On cultivait un jardin, et ses légumes suffisaient à nourrir une famille. Mais, de nos jours, peu de gens possèdent un jardin. De toute façon, on ne se suffit plus de quelques légumes. Notre société a fini par produire des tas de nourritures nouvelles. Comme tu sais, nous sommes carnivores. Autrefois, à la campagne, on élevait des bêtes en vue de garder sous la main une réserve de nourriture carnée. Il y a encore des gens qui le font.

« Je sais, mon maître. J’ai compris pourquoi vous élevez de la volaille et des cochons. Mais je préfèrerais ne pas m’attarder sur ce chapitre.

« Je comprends, mon bonhomme.

Je pensais à l’épisode du camion du boucher, vous vous souvenez ?

Je poursuivis.

« Ainsi, partout dans le pays, et dans les pays voisins, existent des unités de production d’aliments : des centres d’élevage de poulets, de poules pondeuses, de porcs, de bœufs, de poissons parfois…De la mer, nos bateaux ramènent les poissons pris dans leurs filets. Les apiculteurs récoltent en grande quantité le miel des abeilles. Les boulangers fabriquent notre pain, dont tu es si friand, à partir des farines moulues dans des minoteries – des moulins, si tu préfères.

« Ne m’explique pas. Je connais par cœur l’histoire du Moulin de Maître Cornille.

« C’est vrai. J’avais oublié que tu connais sur le pouce ton Alphonse.

« Eh bien, cette farine, elle provient du blé que font pousser nos paysans. Mais, tous ces éléments doivent être transportés jusqu’aux centres de distribution de nourriture disséminés sur tout le territoire. Tout comme les sacs de blé qui étaient acheminés au moulin, à dos d’âne, puis la farine, à son tour, repartait par sacs chez les paysans ou les boulangers pour cuire le pain. Tu comprends donc la nécessité et l’importance du transport, maintenant. Il faut donc, en permanence, que circulent ces denrées à travers tout le pays, jusqu’aux villes et villages, pour nourrir et vêtir toute la population.

« J’ai compris. C’est impressionnant. Voilà qui me donne encore plus le vertige. Mais dis-moi, pourquoi chacun ne cultiverait-il pas son jardin ? Est-ce impossible ?

« En théorie, non. En ville, c’est impensable. Dans les campagnes, ce serait envisageable, je veux dire pour chaque foyer. Beaucoup d’entre nous en possèdent un, Jean-Claude, par exemple. Encore faudrait-il que nous en contentions. Hélas ! Nous avons pris l’habitude de nourritures exotiques, et il nous serait difficile de nous en passer. Et puis, je crois que nous sommes devenus feignants : il est plus aisé d’aller acheter ses légumes au supermarché.

« Je vois…Mais pour les vêtements, il serait plus simple de n’en pas porter, non ?

«Tu me fais rire, Tic Tac. C’est inimaginable. Nos vêtements ont deux fonctions : nous protéger du froid ou du soleil, d’une part, mais aussi de la vue d’autrui. Tu te souviens du sens de ce mot ?

Il bougonna :

« Oui, oui. Mais pourquoi voulez-vous vous cacher de la vue de vos semblables ? Est-ce que nous cachons notre nudité, nous autres animaux ?

« C’est différent, Tic Tac. Certes, nous sommes sur certains points, semblables à vous, les animaux, mais sur d’autres, et c’est aussi ce qui fait notre différence, il ne nous est plus possible de vivre comme des bêtes. Ainsi l’a voulu l’évolution de la société humaine. Pense au paradis perdu, l’Eden, Adam et Eve. As-tu oublié l’histoire des premiers humains ?

« Non. Je me souviens bien de la désobéissance de leur premier couple. L’épisode de la pomme, puis la conscience de leur nudité. C’est étrange cette histoire. Depuis la nuit des temps, donc, vous vous transmettez cette honte de votre corps ?

« Hélas ! Je crains que oui. C’est un bien triste héritage. Certains d’entre nous essaient bien de se libérer de ces contraintes vestimentaires, mais la société le tolère mal. Bref, revenons à nos moutons.

« Ânes.

« Pardon ?

« J’ai dit : ânes.

« Comment ça, ânes ?

« Tu as dit : revenons à nos moutons. Moi je te dis : revenons à nos ânes. J’en ai assez. Ce sont toujours les autres, les modèles, jamais nous. Sauf en mal.

« Bon. Si tu veux. Revenons à nos ânes.

« Merci, mon maître.

« Je t’en prie. Il est d’autres marchandises dont nous avons besoin. Toutes les matières premières indispensables à l’industrie : coton, acier, bois, etc…Pour bâtir nos maisons, il nous faut des quantités de produits variés. Pour le fil électrique, par exemple, le cuivre est acheté à l’étranger. Une fois en France, il est transporté vers des usines qui vont le détailler sous des formes multiples. Des camions le transportent jusqu’aux centres de revente un peu partout sur le territoire. Tu piges ?

« Oui. C’est très clair. Maintenant, je comprends pourquoi tout ce trafic sur la 10. Mais par quel prodige faites-vous se déplacer ainsi vos véhicules ?

Là, je dus me lancer dans un long exposé que je vous épargnerai. Pour conclure, je dus reconnaître que tous ces gaz rejetés par les camions et les voitures nous empoisonnaient, et que leur odeur déplaisante n’était qu’un inconvénient mineur, à côté de leur toxicité.

« Mon Maître.

Tic Tac était devenu grave.

« Tout ce que tu me dis là, je l’ai compris. Je l’avais pressenti, à vrai dire. Car je vois bien à quel point le développement de votre engeance sur cette Terre modifie profondément la nature. C’est un bouleversement terrible, mon Maître, dont je crains qu’elle ne se remette pas. Vois plutôt. Il y a deux ans, j’ai failli mourir de faim en raison de la sécheresse. Tu as dû vendre la douce compagnie de mes chèvres. Cette année, il pleut tous les jours depuis trois mois. Au point que j’ai constamment les sabots dans la boue. Vous avez déréglé les saisons. Vous empoisonnez l’air et l’eau. Vous détruisez les espèces animales et les plantes. Réalises-tu combien c’est navrant ce spectacle ? Je ne trouve pas de mots pour qualifier ces comportements.

« Mon bon Tic Tac. Crois-tu donc que je l’ignore ?

« Je sais, mon maître. Eh bien, vois-tu, j’aime mieux encore ma place que la tienne. Il n’y a pas de quoi être fier d’être un humain. Et encore je ne parle pas de vos homicides et de vos massacres. Comprends-tu maintenant pourquoi j’ai peur de vos camions ?...

Il est reparti brouter à l’autre bout du champ. Sans me réclamer de caresse. Il a même fui les miennes.

Comment lui en vouloir, finalement ?

 

 

A suivre…



7 février 2013

La voix de son âne

 

« Qu’as-tu donc, ce soir, mon maître ? Tu n’as pas l’air en forme ?

« A quoi vois-tu cela, mon Patapouf ?

Il m’arrive de l’appeler ainsi. Mais rassurez-vous, c’est par affection, pas par moquerie.

« Au premier coup d’œil. A ta manière de te comporter, à ta façon de te tenir, de m’aborder, à ton regard ailleurs, à ta mine tristounette…

« Tristounette, tristounette, comme tu y vas ! N’exagère pas, tout de même. C’est vrai que ce soir j’ai un peu de vague-à-l’ âme.

« Du vague-à-l’âne ? Tiens ! C’est nouveau, ce truc-là. Et ça signifie quoi, au juste ?

« Non, Tic Tac. Pas du vague-à-l’âne. Du vague-à-l’ âme. Débouche-toi les oreilles.

Il se secoue bruyamment les oreilles, qu’il a, comme vous savez, fort grandes.

« C’est comme qui dirait, un coup de blues, de spleen, une bouffée de mélancolie, si tu préfères. Ce n’est rien. Ça va passer. Ça arrive parfois, tu sais, quand on vit seul.

« Mais tu n’es pas seul, mon maître : je suis là. Ne l’oublie pas.

« C’est vrai, mon Roudoudou. Je te demande pardon.

« Et qu’est-ce qui te rend morose ainsi, peut-on savoir ?

« Oh ! la vie, somme toute. Comme tous les parents, il est dur, parfois, de ne pas voir ses enfants, qui vivent au loin.

« Nous, les bêtes, nous n’avons pas ces problèmes-là. Mais dis-moi, mon maître, tu ne vas pas te débiner, hein ? Regarde comme nous sommes heureux ensemble. N’as-tu pas de plaisir à me caresser, à me raconter tes salons littéraires et tes séances de dédicaces ? A me confier tous tes petits secrets ? Est-ce que je me débine, moi ? Allons ! Secoue-toi un peu. Tiens ! Par exemple, pourquoi ne me raconterais-tu pas des histoires ? J’adore ça les histoires. Surtout les tiennes, tu les racontes si bien. Et il y a un bail que cela n’est pas arrivé. Allez ! Réfléchis ! Tu en as sûrement quelques-unes dans ta hotte ? Voilà qui va te changer les idées. Je t’écoute, mon maître.

Je lui ai caressé le museau, qu’il a si doux.

« Merci, mon Doudou. Tu es chic. Heureusement que je t’ai. Je ne sais pas ce que je deviendrais sans toi.

Il a toussé un peu, gêné.

« Alors, ça vient, cette histoire ? Une histoire d’âne, de préférence. Et, pour changer, une qui valorise ma race, si c’est possible…

« Oh ! Te voilà bien exigeant, Tic Tac. Tu vas bien, toi. Une histoire, ça ne s’invente pas comme ça, en claquant des doigts. Laisse voir, un peu, que je réfléchisse…

Il se remit à brouter un peu de foin, en attendant. De temps à autre, il me poussait gentiment de sa grosse tête, pour m’inciter à démarrer.

« Au fait, sais-tu que tu es mon fils ?

Il m’a regardé, ahuri, la bouche encore encombrée du foin qu’il s’est arrêté de mâcher tout de go.

J’ai ri.

« Ce n’est pas moi qui le dis. Figure-toi qu’un des petits qui t’aiment tant et te rendent leur visite régulièrement me l’a dit l’autre jour, à travers le grillage :

« C’est toi le papa de Tic Tac.

« Tu blagues, ou tu es sérieux, mon maître ?

« Je ne plaisante pas. Même que ses grands-parents ont bien ri, en entendant ça. Moi aussi, à dire vrai. Les enfants ont parfois de ces sorties !

« Oui, en effet, reprit mon équidé en reprenant sa mastication bruyante.

Des gaz roulaient dans son ventre en grondant sourdement.

« Mais c’est un peu comme si tu étais mon fils, à ses yeux. Il veut dire par là qu’il a senti le lien d’affection qui nous unit.

« Moi, j’ai un lien d’affection avec toi ? fit ce mufle, d’un air détaché.

« Dis donc, méchant, tu la veux ton histoire ou pas ?...Parce que, tu vas voir, ça va être vite réglé, ta récompense…

« Oh la la ! Ce que tu peux être susceptible, mon maître ! Je plaisantais. Tu es vraiment obtus. Décoince-toi, quoi. Bien sûr que je t’aime, mon maître. Si tu ne l’as pas compris, c’est vraiment que tu es bête à manger du foin.

« N’en rajoute pas, tu vas me faire braire. Bon, alors, tu m’écoutes ?

« Allez, vas-y. Je suis tout ouïe.

Avec la paire de cornets qu’il possède, ça, je n’en doute pas un seul instant.

Et il tourne la tête vers moi, me regardant de ses grands yeux doux, ses appendices auriculaires pointés en avant.

« Vois-tu, mon gros doudou, c’est une histoire qu’on m’a racontée. Mais on m’a affirmé qu’elle était vraie. Je le crois vraiment. Tu sais, elle est très belle, à mes yeux.

« Oui, bon, alors, tu démarres ?

« Quel impatient ! Ne sais-tu pas, cher Tic Tac, que tout conteur se doit de faire patienter son auditoire ? C’est la base même de tout récit : le suspens, voyons !

Il a un gros soupir.

« Figure-toi qu’il y a bien longtemps – moi, je n’étais pas né, et cette histoire aurait fort bien pu arriver à ton grand-père -…

« Attends, tu veux dire, cela se passait il y a environ un siècle ?

« A peu près. C’était la guerre. Alors, l’armée réquisitionna tous les hommes valides et les envoya sur le front.

« Le front de qui, et pourquoi faire ?

« C’est une expression. Le front, ou ligne de front, c’est l’endroit où les deux armées s’affrontent.

« Je comprends mieux. Continue.

« Or, il y avait, dans notre beau Poitou, un brave paysan qui possédait un âne. Il se trouve qu’il avait toujours été bon pour lui, et cet âne avait une grande affection pour son maître. Aussi l’aidait-il de son mieux dans les tâches que ce dernier lui demandait, que ce soit pour labourer ses champs, ou passer la houe dans la vigne ou dans les betteraves, ou l’emmener au marché du canton, dans sa petite charrette. Ainsi, ces deux-là vivaient heureux, sans rien demander à personne.

« Or donc, un jour, il dut s’en aller à la guerre. Il fit donc ses recommandations à sa femme, qui était inconsolable, l’embrassa, et s’en vint à son âne pour lui faire ses adieux. Puis enfin, il prit avec tant d’autres le chemin de la gare. Tant n’en sont pas revenus !

« Cependant, tu dois savoir que l’armée ne réquisitionna pas que les hommes. Les bêtes aussi furent récupérées par la troupe, pour servir la cause de la victoire. Que ce fût pour tirer les canons, ou traîner l’intendance.

Du coup, notre âne, lui aussi, fut réquisitionné. Ainsi, tous deux furent-ils séparés et chacun suivit son destin.

« Dis-donc, mon maître. Voilà une histoire qui n’est pas gaie. Est-elle déjà finie ?

« Non. Laisse-moi continuer.

Je lui brossais le poil au bouchon, tout en filant mon conte.

« L’homme fit sa guerre vaillamment, comme il se doit, quatre longues années durant, dans la boue et le froid, sous les obus et les balles, la faim et la peur au ventre. Comme tant d’autres. La chance lui ayant souri, il ne fut ni tué, ni blessé. La fin de la guerre arriva. Il fut démobilisé. Il prit donc la route pour regagner son logis. La route était longue, depuis le nord de la France jusqu’à chez nous. Mais il s’en souciait peu. En brave homme qu’il était, il ne se rebellait pas et acceptait les choses avec fatalité. Il demandait un peu de pain dans les villages qu’il traversait, et buvait l’eau aux fontaines.

« Or, un jour qu’il avançait dans la poussière du chemin, il entendit un braiement sonore qu’il aurait reconnu entre mille ! Il s’arrêta, se tourna vers l’endroit d’où venait l’appel, et aperçut, près d’un bâtiment de ferme, un animal dont il connaissait bien la silhouette. Il s’approcha : c’était bien son vieux compagnon ! D’ailleurs, celui-ci arrivait vers lui au grand galop ! Car c’était bien son âne qui, ayant reconnu de loin son maître qui passait sur la route, l’avait hélé de sa voix puissante, et qui, maintenant, accourait à sa rencontre !

« Comment décrire la joie de ces deux êtres, tout au bonheur de se retrouver ? Je te laisse imaginer, mon Roudoudou, la fête ! Et chacun d’eux se demandait bien par quel miracle s’étaient faites ces retrouvailles. Ils avaient bourlingué chacun de leur côté sur les routes de France et de Navarre quatre longues années durant, et le hasard les avait remis en présence !

« Ce que je trouve le plus merveilleux, pour ma part, dans cette histoire que, je le répète, on m’a donnée pour vraie, et j’y souscris, c’est la réaction de cet animal qui a reconnu son maître, et l’a appelé. Sans la profonde affection qu’il lui portait, je doute qu’il eût réagi de la sorte. N’est-ce pas qu’elle est belle, cette histoire, mon Doudou ?

« Oui, je le concède volontiers. Mais tu as l’air surpris ; pas moi. Je te reconnaîtrais aussi de loin, tu sais, même après des années de séparation. Car nous sommes ainsi, nous, les bêtes : fidèles. Et puis, tu as pu le constater, nous avons une mémoire infaillible. Souviens-toi de la mule du pape.

Mon baudet faisait ici allusion, est-il besoin de le préciser, au fameux conte d’Alphonse Daudet, dans ses Lettres de mon Moulin, qui sont la nourriture spirituelle quotidienne de mon Tic Tac. Comme vous savez, il a tant d’admiration pour ce Maître, qu’il les a apprises par cœur. Souvenez-vous : ne s’est-il pas proclamé un jour le Daudet du Poitou ?

« Oui, crut-il bon d’ajouter ; cette mule que ce brigand avait maltraitée, sut attendre patiemment l’heure de sa vengeance, et, le reconnaissant, bien des années plus tard, lui décrocha un coup de pied qui l’envoya à mille lieues de là. Le bien comme le mal, nous n’oublions rien.

« Tu me fais peur, soudain, Tic Tac. Dis-moi, t’aurais-je maltraité, un jour ?...

Il rit franchement, de son rire qui, comme vous savez, chasse ma Louve dans les trous de souris.

« Es-tu stupide ! Si c’était le cas, il y a bien longtemps que tu aurais goûté à la corne de mes sabots.

 

Du coup, je l’ai laissé continuer son repas en compagnie du bouc. Quant à moi, profitant de l’anormale douceur du temps de cette fin de journée d’hiver, je suis allé marcher vers les bois. Louve, libre, s’en donnait à cœur joie dans les garrets, et faisait lever les alouettes. Il a brait, derrière le grillage, me regardant longuement m’éloigner sur la route.

Quand je suis revenu, à la tombée de la nuit, le crépuscule était si avancé qu’on n’y voyait guère qu’à dix mètres, encore que fort confusément. J’ai deviné sa masse sombre, à la même place, derrière le grillage. Seule la tâche claire de son museau se devinait nettement. Il a tendu son mufle vers ma main, et m’a flairé. Il m’a suivi, longeant les mailles de sa prison métallique. Moi, je rentrais chez moi. Il me regardait, les oreilles haut dressées. Puis, soudain, il s’est mis à m’appeler de son cri touchant. Je l’ai salué une dernière fois : « A demain, mon Roudoudou ! »

Et, Louve au bout de ma laisse, j’ai repris le chemin de ma maison.

 

 

A suivre…



11 février 2013

Curée à la curie ?

 

« Tic Tac ! Sais-tu ce que j’apprends à l’instant ?

« Mon maître, comment le saurais-je ?

« Le pape démissionne !

« Le pape ?

« Le pape ! Quelle affaire !

« Et sa mule ?

« Quelle mule ?

« Ben la mule du pape !

« Ah ! Mais tu n’y es pas du tout ! Il a beau temps que les papes n’ont plus de mules.

« Oui, mais ils ont des émules, non ?

« Tic Tac ! Quel humour ! Tu as donc perdu ta morosité, à ce que je vois ?

« Il est vrai que trois mois de pluie quasiment ininterrompues m’ont miné le moral. Tu sais, nous, les ânes, nous n’aimons rien moins que la pluie et l’humidité. Or, question d’humidité, cette année, ça se pose là ! C’est comme à Dax, c’est le bain de boue en permanence. Je vais finir par pourrir sur pied.

« N’exagère pas, mon gros. Tu es solide comme un roc.

« Pour en revenir à ton pape…

« Ce n’est pas mon pape.

« Oui, peut-être, mais, dis-moi : comment ferez-vous sans pape ?

« Ne t’inquiète pas, mon âne. Primo, s’il n’y avait pas de pape, cela ne changerait rien pour moi, je continuerais à vivre normalement, et toi aussi.

« Oui, mais c’est ennuyeux. Ils vont devoir le remplacer, comme quand un pape meurt, c’est bien cela ?

« En effet. C’est ce que j’allais te dire. Mais il y a des règles de succession, rassure-toi, tout cela est bien au point, depuis des siècles que le pontificat existe. Les cardinaux – les plus hauts dignitaires de l’Eglise catholique – vont se réunir et désigner l’un des leurs comme pape. Tu vois, c’est simple.

« Oui, je comprends. Mais s’il y en a deux ou trois qui veulent la place, ils vont se battre ? C’est le plus fort qui l’emporte ?

« Non, Tic Tac, dis-je en riant. Ce ne sera pas la curée à la curie.

« Quoi ? Que dis-tu ? Des curés à l’écurie ? Je ne comprends rien à ce que tu me racontes, mon maître. Je ne vois pas ce que des curés viendraient faire à l’écurie. Qu’ont-ils besoin de canassons ?

« Mais non, gros malin. Je n’ai pas dit ça. La curée désigne ce moment de la chasse à courre où les chiens se jettent sur le cerf épuisé pour le déchirer de leurs crocs.

« Quelle horreur ! Ils vont lâcher les chiens sur le pape ?

« Non, mon gros Doudou. C’est au sens figuré que je te parlais. Dans le cas où plusieurs cardinaux sont candidats, les cardinaux votent pour les départager. Les choses se passent dans la civilité.

« Mais y a-t-il aussi un sous pape ?

« Non. Pas de sous-pape au Vatican. Mais une papamobile.

« De quoi me parles-tu là, maintenant ?

« Du véhicule du pape. Il est blindé, à l’épreuve des balles, et il l’utilise à chaque déplacement, au cas où un anarchiste ou un extrémiste, ou un malade psychologique voudraient attenter à sa vie.

« Oui. Somme toute, la papamobile, c’est la mule du pape, façon vingt et unième siècle.

« Un peu.

« Mais dis-moi, n’importe qui peut devenir pape ? J’y verrais bien Jean-Claude, moi. Déjà qu’il a pour compagne Sœur Anne, ça me paraîtrait plutôt judicieux, non ? Qu’en penses-tu, mon maître ? Sans compter que Jean-Claude est gentil. Et puis il est intelligent. Et quel puits de science ! Moi, je le verrais bien sous la mitre.

J’ai ri, évidemment.

« Il n’aime pas trop les mites, vois-tu, mon copain. Ça sent trop la naphtaline, et il n’aime pas trop l’odeur de sainteté, cet homme-là, je pense.

« Que dis-tu ? Il n’est pourtant pas sulfureux ? Je l’aurais senti, assurément. J’ai le nez pour ça.

« Et puis, mon bonhomme, tu dois savoir qu’un pape ne peut pas être marié.

« Ah bon ? Pourquoi ? Au fait, je ne sache pas qu’il soit marié, Jean-Claude ? Il vit maritalement avec la belle Anne, il me semble ?

« Tout ça ne nous regarde pas, Tic Tac. D’ailleurs, peu importe. Ce que je voulais te dire, c’est qu’il ne doit pas avoir de compagne.

« Mais un compagnon, il peut ?

« Grands Dieux ! Que dis-tu là, mon garçon ? Un compagnon ? Mais, Tic Tac, voyons, tu n’y penses pas sérieusement ? Un pape gay ? Quelle horreur ! L’église abhorre l’homosexualité.

« Ah bon ? C’est triste de ne pas accepter les gais lurons.

« D’ailleurs, crois-moi, si Jean-Claude t’entendait, il serait vexé. Il n’est pas comme ça. En outre, il n’est pas croyant.

« Ah bon ? Comment le sais-tu ? Il te l’a dit ?

« Non, au fait. C’est vrai. Pourquoi ai-je dit cela ? Je suis stupide. Sans doute parce que je sais que c’est un homme à thé. Il adore le thé.

« Oui, et alors, je ne vois pas le rapport ?

« Ben si, gros malin, si c’est un homme athée, c’est qu’il ne croit pas en Dieu.

« Ah oui ! J’y suis ! dit mon baudet en secouant ses oreilles. Un homme à thé, un homme athée ! Puissant, mon maître ! Toi, tu es en forme, ce soir. Tu n’as pas dû boire que du lait d’ânesse.

« Pardon ? Boire du lait d’ânesse ? Voilà qui ne risque pas d’arriver : je déteste le lait, d’abord. Ensuite, il n’y a pas d’ânesse dans le secteur, tu le saurais. Enfin, quelles vertus prêtes-tu au lait des femelles de ton espèce ? Aurait-il des pouvoirs miraculeux ?

« Oui, justement il est excellent pour l’alimentation des bébés. Le lait d’ânesse combat la fatigue et bien d’autres de vos maux. Surtout, il rend la peau douce et blanche. Ignores-tu, mon maître, que Cléopâtre, la belle reine d’Egypte, amante de César et Marc Antoine, prenait un bain de lait d’ânesse chaque jour ? Plus de sept cents ânesses étaient nécessaires à cela. Poppée, épouse de Néron, en fit autant. D’ailleurs, n’as-tu pas remarqué qu’à l’asinerie de Dampierre sur Boutonne, ils vendent du savon au lait d’ânesse ?

« Il est vrai, mon baudet. Tu as raison. Je n’y pensais plus. J’ai cru que tu allais me dire qu’à l’asinerie, on pouvait prendre des bains de lait d’ânesse. Voilà qui m’aurait surpris. Ce n’est pas un établissement balnéaire.

Je le regardais tirer délicatement le foin de ses lèvres passées entre les barreaux du râtelier. Je songeais à Cléopâtre, qui devait avoir la peau très blanche.

Mon âne reprit la parole.

« Sait-on pourquoi il abdique, votre pape ? Ne serait-ce pas qu’il veut se marier ?

« Non. Il est très vieux, tu sais. Il dit qu’il se sent trop faible pour continuer d’assurer ses responsabilités pontificales.

« Mmmmh…Mais dis-moi, mon maître. Pourquoi Cléopâtre et Poppée attachaient-elles tellement d’importance à avoir la peau si blanche ?

« Eh bien, mon Roudoudou, je crois, sur ce point, pouvoir éclairer ta lanterne. Avoir la peau blanche, à cette époque, pour une femme, conférait un puissant pouvoir de séduction. La femme aime séduire l’homme, c’est connu. Ainsi, afin d’être aimée de l’homme qu’elle aimait, la femme cherchait à rendre sa peau encore plus blanche.

« Et ça marchait ?

« Bien sûr. Une femme arrive toujours à ses fins, par la séduction.

« C’est étrange, vos mœurs, à vous les humains.

Tic Tac s’était arrêté de mâcher, plongé dans ses rêveries.

« Je vais te raconter une histoire vraie, mon gros, qui va dans le même sens que ce que je viens de t’expliquer. J’ai bien connu une femme à la peau naturellement très blanche, qui s’était rendue en visite dans un pays d’Afrique du Nord. Elle était accompagnée de son mari. Lors d’un périple touristique dans une région désertique, un riche et puissant chef de tribu s’approcha d’elle, apparemment ébloui, s’inclina profondément devant le couple et s’adressa à son mari éberlué. Leur guide traduisit. Ce cheik demandait au mari de lui vendre son épouse pour la faire sienne. Du moins l’ajouter à son harem, puisque, comme tu le sais peut-être, la loi islamique autorise la polygamie, contrairement à celle de nos pays de culture chrétienne. Bien sûr, le mari s’est offusqué. Il était choqué à l’idée même qu’on puisse lui faire une telle proposition. Chez nous, en France, une femme ne s’achète pas, car on ne peut l’assimiler à un objet, et lui attribuer une valeur marchande. Mais dans la tradition arabe, c’est la coutume. Le cheik ne se découragea pas de l’attitude du mari et offrit dix dromadaires en échange de cette femme. Refus du mari. L’enchère monta, je crois jusqu’à dix-sept méharis. Je ne me souviens plus exactement du nombre de bêtes. Le guide crut bon d’ajouter que ce cheik était très riche, et que ce qui donnait tant de valeur à sa femme, c’était justement la couleur laiteuse de sa peau. Ici, pour reprendre un calembour de je ne sais plus qui, on aurait pu s’écrier : « Ciel ! Mon méhari !… »

Je m’étais tu un instant, rêveur.

« Ben dis donc, il n’était pas sans provisions, ce cheik, mon maître !

« Oh ! Que c’est malin ! Oh ! Tic Tac ! Quel esprit ! Félicitations ! Tu n’en rates pas une !

« Je suis à bonne école, mon maître…

« Je te remercie, disciple. Tu me flattes.

« Que cela ne te monte pas au ciboulot ! Dis-moi plutôt : le mari a-t-il fini par céder et a-t-il vendu sa femme à ce chef ?

« Non. Il devait être bien attaché à elle, sans doute. J’en connais au moins un qui aurait profité de l’aubaine.

« Ah bon ? Et qui donc, mon maître ?

« Moi, pardi : cette femme était ma belle-mère.

Jamais Tic Tac n’avait ri de façon aussi énorme. Moi aussi, en vérité. Pas Louve, qui s’enfuit au fond du fenil, toujours aussi effrayée par le rire formidable de Tic Tac.

Quand nous fûmes un peu calmés, Tic Tac, d’une insatiable curiosité – tout comme l’Enfant d’Eléphant de Rudyard Kipling - reprit :

« Mais j’y repense, un pape qui vivrait au Sahara pourrait donc avoir un harem ?

« Non, Tic Tac. La religion catholique, depuis le quatrième siècle, au Concile de Nicée, interdit aux hommes de robe de se marier (et non pas de se marier en robe...)

« Auparavant, dans les premiers siècles du christianisme, les prêtres étaient donc mariés ?

« Exactement, mon Doudou. En 385, par exemple, le Pape Siricius est obligé d’abandonner sa femme pour devenir pape. Il est décrété que les prêtres ne peuvent plus dormir avec leur épouse. A ce sujet, j’ai une anecdote amusante. Figure-toi qu’un évêque de cette époque, qui était marié, mais dont j’ai oublié le nom, se trouva donc dans l’obligation d’exécuter la bulle papale.

« Il faisait des bulles, le pape ?

« Tic Tac, une bulle, dans ce sens, c’est un ordre, une consigne, un décret que les prêtres doivent appliquer. Ainsi, les deux époux, qui s’aimaient tendrement, durent se séparer. L’épouse se retira dans un couvent, et le prêtre poursuivit son ministère dans le célibat. Mais elle, dans son monastère, au fil des jours, commença de se demander si son mari ne recevait pas la visite d’autres femmes en son absence forcée, craignant qu’il ne fît pas abstinence. Elle résolut donc de quitter nuitamment le monastère et se rendit à son ancien domicile. Là, elle pénétra sans bruit dans la chambre, craignant de trouver de la compagnie dans le lit conjugal. Et, en effet, il s’y trouvait bien quelqu’un. « Ciel ! Mon méhari » s’écria-t-elle folle de dépit. Mais aux côtés du prêtre dormant comme un bienheureux, elle trouva, non pas un chameau (elle s’était trompée, dans le noir) mais…un agneau ! Pour confirmer sa volonté d’obéir aux directives de Rome, cet homme n’avait pas trouvé meilleur moyen pour conserver ou prouver sa pureté, que de dormir en compagnie d’une brebis, symbole du Seigneur. Voici une bien étrange histoire, n’est-ce pas, mon gros Patapouf ?...

« Certes ! Heureusement qu’il ne lui avait pas pris la fantaisie de dormir avec un âne, il aurait eu moins de place dans son lit !

Là-dessus il repartit dans son rire franc qui repousse toujours ma chienne sous les bottes de paille.

Bien sûr, quand il fut calmé, il en profita pour me rappeler qu’il attendait toujours son divan et son ânesse.

« Tu peux toujours te brosser, lui dis-je.

« Ah ! Tout de suite tu montes sur tes grands ânes…

« Non, tes grands chevaux.

« Moi je préfère dire « ânes », je trouve que ça sonne mieux. Et puis justement, mon maître, deviendrais-tu paresseux, que tu ne veuilles plus me brosser, et que je doive le faire moi-même ? Tu m’aimes moins, c’est ça, hein ?...

 

J’ai dû le câliner un long moment. Il s’était mis en tête que je ne l’aimais plus. Après avoir caressé son épaisse fourrure et l’avoir embrassé sur le museau, là où c’est tout blanc, je l’ai laissé à ses réflexions sur le pape. Je suis sûr qu’il aurait aimé, quand celui-ci était en Avignon, être la mule du pape. Mais je m’avance peut-être. Je le lui demanderai un de ces jours…

 

A suivre…