Ave, bipèdes de mon coeur ! Tic Tac est mon nom. Mon maître, c'est Francis, le barde. Je ne vous le présente pas. Par contre, je suis bien forcé de me présenter à vous, car il a, bien sûr, omis de le faire : forcément, depuis qu'il écrit ses âneries, il a la grosse tête. Moins que la mienne, c'est sûr.

Ses oreilles aussi sont moins belles que les miennes. Entre nous, il n'est pas très beau, moins que moi, assurément...

18 novembre 2012 :

Tic Tac, le Daudet du Poitou

Ben, voilà où j'en arrive, avec mon âne : non seulement il parle, ce qui, en soit, n'est pas très étonnant, mais voilà qu'il se pique de littérature !

L'autre jour, à la veille du salon de St Maur, où je devais me rendre pour essayer de vendre un peu mes bouquins, nous avons eu une conversation fort sérieuse, tous les deux. Je venais de lui expliquer que je ne viendrais probablement pas lui rendre ma visite habituelle du soir, car je ne serais pas rentré très tôt. Il boudait. Il est jaloux, bien sûr.

"Qu'as-tu, mon Roudoudou ? (c'est ainsi que je le nomme dans l'intimité)

- Emmène-moi !

- Quoi ! Mais tu n'y penses pas, voyons ! Il n'y a que des écrivains dans ces rassemblements littéraires...

- Emmène-moi !

(Il est un peu têtu, parfois ; gentil, mais têtu ; c'est un âne, tout de même)

Je lui explique patiemment à nouveau qu'il n'a pas sa place dans un salon.

- Tu te trompes, me fait-il.

Moi, rigolard :

- Ah bon ! ...je me trompe ?...

-Oui. L'un de mes aïeuls fut un écrivain célèbre. Moi-même, si tu consentais seulement à me fournir une tablette numérique, tu verrais de quoi je suis capable...

- Quelle fable me chantes-tu là ? Tic Tac, mon ami, tu te moques !

- Pas du tout !

- Ah tiens donc ! Un écrivain célèbre, chez les solipèdes ? Voilà qui est amusant ...

- Ecoute-moi donc, au lieu de ricaner bêtement. N'as-tu jamais entendu parler des Lettres de mon Moulin ?...

Moi, goguenard :

- Bien sûr, mais...

- Eh bien, c'est un lointain parent à moi qui a écrit ce livre...

- ...

- Alphonse Baudet, ça ne te dit rien ?...

 

Là, j'avoue, ça m'a coupé le sifflet !

Je ne l'ai pas emmené à St Maur, cependant.

 

Eh bien, ce soir, au retour du salon de Gond-Pontouvre, je me hâte, aussitôt ma voiture déchargée, de mettre ma tenue d'âne pour lui porter sa ration d'orge écrasée et les nouvelles.

Là, il m'a un peu moins fait la tête qu'hier soir.

Je lui ai parlé gentiment, lui contant par le menu ma difficile journée d'auteur en quête de lecteurs. Je l'ai gratté sous le menton, sur l'arcade sourcilière, sur le chanfrein, lui ai caressé le museau. Contrairement aux autres soirs, il ne s'est pas dérobé.

- Tu ne me dis rien ? dis-je au bout d'un moment. Il semblait méditer devant le râtelier. Je voyais sa grosse prunelle luire sous la pâle lueur de ma lampe à pétrole.

- Tu ne me respectes pas assez !

- Quoi ! Voilà autre chose ! Des reproches ! Là, Tic Tac, tu exagères. Je te porte tout plein de gâteries (du pain dur, des carottes, de l'orge écrasée...) je te caresse, je te parle gentiment, et c'est tout ce que tu trouves à me dire ?...Tu es bien ingrat, je trouve...

- Peut-être, mais désormais, adresse-toi à moi avec un peu plus de déférence, s'il te plaît.

J'étais ahuri. Quelle nouvelle lubie lui était passée par la tête ?

- Je ne vois pas pourquoi. Explique-toi.

- Tu t'adresses à un écrivain célèbre.

- Que me chantes-tu là ?

- D'abord, je ne chante pas : je parle.

- C'est une façon de parler...

- Ah bon ! Chanter est une façon de parler chez les hommes ? Tu me fais rire, tiens.

Il se mit à rire si bruyamment que Louve, ma chienne, eut peur et s'enfuit la queue entre les pattes.

Il reprit :

- Oui, mon maître. Je suis un célèbre écrivain. Ne suis-je pas le "Daudet du Poitou" ?...

Là, j'en eus le souffle coupé ! Quoi répondre ?...Je hasardai, prudent :

- En effet, mon roudoudou, tu es célèbre, et tu le mérites. D'ailleurs, tu devrais écrire tes Mémoires.

- Mais c'est déjà fait, mon cher, m'a-t-il répondu, très suffisant.

J'ai soufflé ma lampe, et je suis rentré manger ma soupe...

A suivre...

 

19 novembre 2012

Sir Âne

Aujourd'hui, comme il ne pleuvait pas, j'avais décidé d'aller au pré. J'ai retrouvé avec plaisir mon baudet et son ami bouc, Robin.

Mais dans quel état, mes amis ! Crotté de la pointe des oreilles au bout de la queue ! Et ses sabots ! C'est à peine si l'on y voyait la corne ! Je n'ai pas pu m'empêcher de le lui faire remarquer.

- Eh bien, mon gros doudou, dans quel état tu t'es mis !

- C'est de ta faute, me répond-il. Si tu t'occupais un peu plus de moi, je n'en serais pas là. Tu ne viens plus me voir qu'à la dérobée, la nuit, encore, c'est à peine si tu me caresses...

C'était vrai, ce reproche. Il y avait plusieurs jours que je ne l'avais pas pansé, et je culpabilisais. Je n'avais pas besoin qu'il en rajoute une couche.

- Bon, excuse-moi, Doudou. C'est vrai qu'en ce moment, j'ai beaucoup de travail, et je ne t'ai pas pansé depuis longtemps...

- En effet, depuis que tu ne penses plus qu'à tes livres et à tes chansons, tu ne me panses plus, tu ne penses plus à moi...

Je fus troublé, soudain. Il jouait sur les mots, c'était évident. Il ne va tout de même pas devenir plus malin que moi, pensai-je.

- De toute façon, ça ne sert pas à grand-chose que je te panse, ta toilette n'est pas plutôt finie que tu te roules par terre. La boue, ça n'a pas l'air de te gêner trop.

- Tu sais bien que nous, les ânes, nous avons besoin de nous frotter le dos dans la poussière. C'est génétique.

- Dans la poussière, je ne dis pas. Mais dans la gadoue, quand même...

- Je ne vois pas la différence.

Il faut croire que les ânes et les hommes n'ont pas la même perception des choses. Je soupirai. Je songeais qu'une bonne douche lui ferait du bien. Mais il n'entrerait pas facilement dans la cabine de douche. D'ailleurs, contrariant comme je le connais, il refuserait d'enlever ses sabots.

Tout en devisant tranquillement, il m'avait suivi jusqu'à sa cabane, où j'étais entré prendre son licol et la boîte de pansage. Bien sûr, il avait la tête dans l'entrebâillement, et m'observait de ses bons gros yeux doux. Dès qu'il me vit le licol dans les mains, il fit mine de s'enfuir. C'est un jeu. Il est taquin. Il feint de se sauver, et moi je râle et lui cours après. Ce soir, je n'eus pas besoin d'avoir recours à ma vieille ruse du pain rassis caché dans la poche de ma veste. Il m'attendit et se laissa docilement faire. Je l'attachai au piquet de la clôture (toujours le même). Et je me mis en devoir de retirer, à l'aide de l'étrille, les amas de terre collés dans son pelage. En même temps je lui parle, quand je lui fais sa toilette, je le flatte de la main. C'est un moment très agréable, en général. Ce soir, il ne bougeait pas, et semblait heureux que je m'occupe ainsi de lui.

- Alors, mon gros nounours, tu ne dis plus rien ? A quoi penses-tu ?...Que regardes-tu, tes oreilles ainsi dressées ?

- Je guette l'arrivée des petits. C'est l'heure à laquelle ils viennent me rendre visite.

Il faut vous dire que mon Tic Tac est bien le personnage le plus célèbre du village. On peut même dire qu'il m'éclipse complètement. J'en suis un peu jaloux, d'ailleurs.

Tous les enfants de la contrée le fréquentent. Il en est même qui viennent de Paris exprès pour le voir. Il n'y a pas que les enfants qui lui rendent visite : leurs papas et leurs mamans, leurs papis et leurs mamies, également, et tant d'autres dont je n'ai pas même idée. Cet animal connaît des tas de gens que je ne connais pas moi-même.

Tout en brossant vigoureusement son épaisse toison brune, je lui parlais, sans attendre aucune réponse. J'avais presque oublié qu'il pouvait m'entendre. Je le sentais tellement absorbé à surveiller la route, dans l'espoir d'y voir poindre les petits, que je ne pus m'empêcher de blaguer.

- Alors, Sir âne, ne vois-tu rien venir ?

Sa réponse me dérouta :

- Je ne vois que la route qui poudroie et les herbes qui ondoient...Et puis, je ne suis pas ta soeur.

- Mais non, mon vieux, tu n'y es pas ! Sir est le mot qu'emploient les Anglais pour dire Monsieur.

- Ne te moque pas de moi, mon maître. Moi aussi, je pourrais me moquer de toi. C'est facile. D'ailleurs, puisque tu me cherches, prends bien garde à toi : il me semble que ta barbe a sérieusement bleui...

J'étais sous son cou, à gratter les pattes crottées. Comme pour se venger, il me pinça le dos entre ses dents.

- Arrête, Tic Tac ! Ne fais pas ça ! Je te l'ai dit cent fois ! Tu pourrais me faire mal !

Il relevait sa tête par à-coups, sous mes invectives, en riant, heureux de son coup.

Finalement, il frotta gentiment sa tête contre moi pour se faire pardonner. Je me suis senti obligé de lui enserrer sa grosse tête, et de poser la mienne sur son mufle.

Comme je lui murmurais des mots affectueux, je ne pus m'empêcher de lui rappeler ce qu'il m'avait dit hier, pour le taquiner :

- Tu es gentil, mon Doudou du Poitou...

- Oh ! Tu te moques encore. Tu n'es pas charitable. Méfie-toi. A force de me provoquer, tu verras, un jour j'écrirai des lettres, moi aussi. Moi aussi je serai célèbre, comme toi. Car tu es célèbre, n'est-ce pas, depuis que tu écris tes sornettes ?...

- Euh !...S'il te plaît, Tic Tac, pardonne-moi, ce n'était pas méchant. Tu sais on ne taquine que ceux qu'on aime. Mais toi, tu n'as pas été gentil avec moi. Bien sûr que je suis célèbre. Mais tu me froisses en me disant que j'écris des sornettes. Sais-tu seulement ce que sont des sornettes ?...

- Evidemment que je le sais. Je ne suis pas comme toi, moi. Je n'emploie que des mots dont je connais le sens. Crois-tu, à ce propos, que ce que tu racontes chaque soir à tes lecteurs sur nous ce soit bien sensé ?...D'abord ça ne les regarde pas, ce qui se dit entre nous. Et puis, qui va te croire ?...C'est pour cela que je te laisse divaguer. Mais prends garde qu'on ne finisse par dire de toi : "Quel âne, ce poète !..."

 

Je suis reparti pensif. Il n'a pas tout à fait  tort, au fond. J'avais bien envie de demander à ma chienne ce qu'elle en pensait. Mais elle est si jalouse qu'elle en aurait sûrement rajouté une couche...

 

A suivre...

 

21 novembre 2012

Etats d'âne

Ce soir, j'étais très fier. Un admirateur m'avait fait part de son plaisir de lire mes âneries. Je me suis empressé de rapporter cette nouvelle à mon Tic Tac, bien sûr, trop content de lui clouer le bec : n'avait-il pas osé suggérer, il y a deux jours, qu'on allait se rire de moi à propos de ces écrits ?...

Il m'a regardé de toute sa hauteur, impassible, et m'a dit :

- Voilà qui m'étonne.

- Tu n'es pas beau joueur, mon âne, reconnais qu'il y a au moins une personne qui a semblé apprécier ma prose.

- Cela ne signifie pas que ce que tu écris est bon.

- Tu as raison, hélas, mon Doudou. Vois-tu, néanmoins, je vais poursuivre cette chronique encore un peu. Juste pour le plaisir. Mon plaisir. Mais c'est vrai que si personne n'appréciait, je devrais arrêter de la publier. Je ne l'écrirais plus que pour moi seul. Cela, toutefois, m'attristerait.

- Tu ferais mieux de t'occuper de moi au lieu de me raconter tes états d'âne.

- Tes états d'âme, tu veux dire ?

- Non. Tu as bien entendu.

- Non, Tic Tac. Tu deviens obsédé par ton univers. Ce sont bien mes états d'âme que je te confiais.

- Peut-être, mais ton admirateur a utilisé cette expression. Je n'ai pas rêvé ?

- C'est de l'humour, Tic Tac. C'était un jeu de mots.

- Oui, mais vous, les humains, ne dites-vous pas d'une sotte personne que c'est un âne ?

- C'est exact, mais...

- Ce n'est pas flatteur pour la gent asine, c'est vrai, mais en l'occurence, mon cher, je me demande, de nous deux, lequel est l'âne...

 

J'ai coupé court à ce dialogue inintéressant. Je lui caressais le museau pendant qu'il mangeait tranquillement sa pitance, dans le seau que j'ai suspendu à une poutre de sa cabane à cet effet.

Je songeais que tout à l'heure, gravissant le chemin qui monte au pré, dans la nuit qui tombait, j'avais été ému de le voir, obscure silhouette sur les dernières pâleurs du jour finissant, ses grandes oreilles dressées découpées finement sur le ciel, près de la barrière : il m'attendait.

 

Chaque soir, il m'attend à cet endroit. Parfois, il me réclame à grands cris, s'impatientant. J'ai senti, comme souvent, monter en moi une grande tendresse pour ce massif animal.

Je laissais courir mes doigts dans la toison frisée de son front.

Je peux toujours lui parler, quand il mange : il ne répond pas. Il ne tolère généralement pas que je le caresse pendant ses repas. Ce soir, il a condescendu à laisser mes mains s'enfouir dans la laine de son cou.

Puis, quand il eut fini ses amuse-gueules, il se dirigea vers le râtelier, que je venais de regarnir de paille d'orge.

- Encore de la paille d'orge ! Tu pourrais en donner un peu moins souvent. Tu sais bien que je préfère le foin.

- Je sais, Tic Tac, mais il faut varier un peu les menus de temps en temps.

- Oh ! la diététique, moi, tu sais...

- Oui, je sais. Mais c'est nourrissant la paille, aussi.

- Je pense à quelque chose, mon maître. Les nuits commencent à être fraîches, tu sais. Toi, évidemment, tu ne t'en rends pas compte, au fond de ton lit. Quand m'achèteras-tu des chaussettes ?

- Heu ! ...des chaussettes ! Qu'est-ce qui te prend, mon ami, tu déraisonnes ! Des chaussettes ! J'aurai tout entendu !

- Ben quoi ! Oui, des chaussettes. Tu n'en portes pas, peut-être, toi ?

- Si, bien sûr, mais ce n'est pas pareil. Je n'ai pas de poil aux pattes, comme toi.

- Achète-moi des chaussettes.

- Tu es têtu. C'est tout simplement impossible. Les ânes ne portent pas de chaussettes. Et puis, tant que tu y es, demande-moi des bottes aussi...

- Non, des bottes, je m'en passerai. J'ai déjà des sabots. Mais un pull, j'aimerais bien.

- N'importe quoi ! Avec le manteau que tu as sur le dos, tu ne risques pas de mourir de froid.

- C'est vrai, je n'y pensais pas. Mais alors, un bonnet ? Achète-moi un bonnet.

Il a vraiment la tête dure, mon âne. Quand il a une idée il ne la lâche pas.

- Mais, mon doudou, il y a belle lurette qu'on ne trouve plus de bonnets d'âne. C'est vrai qu'au cours de ma longue carrière de maître d'école, j'ai souvent porté le bonnet, et j'ai vu bien des petits enfants affublés de cette coiffure. Entre nous, ce n'était pas bien élégant. Et la mode en est passée, vois-tu.

Tout en parlant, je m'étais glissé sous son cou pour attraper le seau que Robin avait vidé de son orge (lui aussi a droit à un peu de cette céréale).

C'est alors que, toujours facétieux, mon baudet, prenant délicatement entre ses dents mon bonnet, me l'enleva en riant, et reculant, voulut s'enfuir avec son butin.

Heureusement, je réussis à le lui reprendre au vol. Mais il ne voulait pas le lâcher ! Il tirait, le coquin, de son côté, et moi du mien !

- Mais lâche mon bonnet, bougre d'âne ! dis-je en colère.

Lui tirait de plus belle en riant.

Au bout d'un moment, je réussis à le persuader que mon bonnet ne lui irait pas du tout. Qu'il serait moche ainsi affublé.

Il lâcha prise, mais ajouta, fort sérieux :

- Ça, c'est bien vrai. Avec ton bonnet, tu as une drôle d'allure.

Là-dessus, il partit d'un grand éclat de rire.

- Bravo ! Ah ! C'est fin ! Tu ne t'es pas vu, toi, avec tes oreilles ?

- Ben quoi ! Qu'est-ce qu'elles ont, mes oreilles ? Elles ne te plaisent pas, mes oreilles ?....

Bon. Voilà que je l'avais vexé. Il allait me faire la tête. D'ailleurs, il était retourné vers son râtelier, boudeur.

- Allez ! On fait la paix, maintenant. Tu as les plus belles oreilles qui soient, mon roudoudou. Oublie ce que j'ai dit. Pardonne-moi, tu veux bien ?

Il tourna la tête vers moi, mâchant une bouchée de paille, sans répondre. Il me regardait de ses grands yeux doux.

- Eteins donc ta lampe, je n'ai pas besoin d'y voir clair pour trouver ma nourriture.

Et il se remit à tirer la paille d'entre les barreaux.

Je décidai, puisque la nuit était tombée et que le ciel était dégagé, d'aller contempler les étoiles. La lune était en son premier quartier. Les constellations étiraient leurs lignes imaginaires au milieu de toutes ces petites lumières au firmament.

Je ne l'ai pas entendu venir.

J'ai senti soudain sur mon épaule le souffle chaud de ses naseaux. Il a posé ses grosses lèvres sur mon épaule. C'était bien lourd. Mais j'étais heureux de le sentir si proche.

- Que c'est beau ! As-tu vu ce ciel, mon roudoudou ?

- Bien sûr que c'est beau, mon maître. Tu sais, j'ai largement le loisir de le contempler le ciel, moi.

Ça, c'était une allusion. Je ne l'ai pas relevée.

- Vois-tu ces étoiles ? dis-je en lui montrant le dessin d'une grande casserole, en direction de la Commanderie.

- Oui, je sais, dit-il. C'est la Grande Ourse.

- Tu t'y connais, toi, en matière d'étoiles ? fis-je surpris. Alors, montre-moi Pégase.

- Non.

- Comment, non ?

- Non

- Tu ne sais pas, voilà tout.

- Non. Une autre, si tu veux, mais pas Pégase.

- Mais pourquoi pas Pégase ?

- Parce que.

- Parce que quoi ?

- Je n'aime pas cette constellation.

- Ah bon ! Et pour quelle raison ?

- Parce que Pégase était un cheval.

- Et alors ?

- Et alors ?...Pourquoi les hommes n'ont-ils pas choisi un âne pour nommer celle-ci ?

- Ah ! Je vois ! Tu es jaloux !

- Jaloux ? Pas du tout. Mais c'est injuste. Vous avez nommé vos constellations de toutes sortes de noms d'animaux, mais à aucune ne fut donné le nom de ma race.

Après mûre réflexion, je m'avisai de lui faire remarquer que ledit cheval n'était pas ordinaire : il était ailé.

- Et alors, me rétorqua-t-il. Pourquoi un âne ne porterait-il pas d'ailes, lui aussi ?

- Oui, c'est juste. Mais on n'a jamais vu d'ânes dans le ciel.

- A part le Cygne, on pourrait en dire autant de la plupart des constellations, non ? Et puis, ne dis-tu pas, à la fin de ton histoire de Bourru et Bouton d'Or, que Bourru est parti vers les étoiles ?...

- Je l'ai écrit, en effet. Mais c'était une parabole, une image...

- Peut-être, mais elle me plaît bien, cette image d'un âne dans le ciel, vois-tu, mon maître. Après tout, ce n'est pas plus idiot que d'autres suppositions que vous faites, vous, les hommes, à propos d'un certain personnage qui vivrait dans les cieux. Qu'en penses-tu ?

- Sans doute, fis-je, pensif.

Sur ce, je décidai de rentrer, car le froid s'était fait plus vif.

- A demain, mon Tic Tac...


Il n'a pas répondu. Il semblait absorbé dans la contemplation de la voûte céleste, méditant sans doute, prolongeant tout seul notre conversation dans le silence de la nuit...

 

A suivre...

Vendredi 23 novembre 2012

Je panse, donc je suis

Si vous rendez visite à mon Tic Tac, du plus loin qu'il vous verra, il accourra au triple galop. Non pour vos beaux yeux, même s'il n'y serait pas insensible, bien sûr, mais parce qu'il subodore que vous lui portez un quignon de pain rassis. Et ça, il adore ! Plus gourmand, il n'y a pas. Méfiez-vous seulement qu'il ne vous morde pas les doigts dans sa gloutonnerie.

Nous en parlions justement hier soir ensemble, lui et moi.

 

- Tu es trop gourmand, Tic Tac, lui disais-je. Ça finira par te jouer des tours. Par exemple, tu finiras par mordre la menotte d'un gentil bambin qui te tend une friandise. Alors, là, tu seras vexé ! Les gens penseront de toi que tu es méchant. Et moi ? As-tu pensé à ma déception ? Crois-tu que je ne serais pas mal disposé contre toi, alors ?...Je t'assure, mon gros, tu devrais te maîtriser un peu. Tu n'es pas raisonnable.

 

De grosses larmes coulaient de ses bons gros yeux noirs. Il baissait le nez piteusement.

 

- Je sais bien pourquoi tu as du chagrin, Doudou. Tu repenses que cela t'est déjà arrivé, et tu regrettes. Cela montre que tu n'as pas mauvais fond. Mais je t'en prie, mon gros, dorénavant, contrôle-toi.

 

Tout en parlant, je lui tamponnais les yeux avec un mouchoir en papier imbibé de sérum physiologique. Il adore ça.

 

- C'est de votre faute, aussi, me dit-il alors en reniflant, à vous les humains. Qu'avez-vous besoin de me gâter tant ? Voilà à quoi on en arrive. Sans compter qu'à me goinfrer de la sorte, je pense moins, mais je panse plus.

 

Je n'avais pas bien compris sur le coup. Mais en le regardant de plus près, je constatai qu'en effet il avait pris du ventre.

Je sifflai d'admiration.

 

- Eh bien dis-donc ! Quel humour ! Je ne trouve pas que tes pensées soient altérées, bien au contraire. Bravo, mon Roudoudou. Quel esprit !

 

J'étais admiratif, réellement très fier de lui. Mais je n'aurais pas dû le lui dire. Il prit un air supérieur.


- Peuh ! Ce n'est rien. Combien de fois je fais de l'esprit, et tu ne comprends pas.

- Oh ! Là, tu exagères, Doudou. Dis que je suis sot, tant que tu y es.

- Je ne dis pas ça, mais...


Voilà bien comme il est, mon baudet : très simple, voyez-vous. Pas prétentieux pour un sou.

 

Je l'ai quitté pour aller chercher une fourchée de foin dans le fenil.

Vlan ! La porte soudain se ferma avec violence dans mon dos, me plongeant dans l'obscurité.

En même temps, il cognait dans la porte de son sabot.

 

- Mais qu'est-ce qu'il te prend, bougre d'âne ? Pourquoi fermes-tu cette porte, imbécile ? Ouvre-moi.


Il m'était impossible de pousser la porte. Il se tenait appuyé de tout son corps contre elle !

 

- As-tu fini tes âneries ? Ouvre-moi.


Il partit d'un grand rire.

-  Ah ! Tu as bonne mine ! Dis-moi donc comment tu vas t'en sortir, maintenant, fit-il entre deux éclats de rire ?


Je vous l'avais dit. Il est facétieux, ce Tic Tac. Cependant, je goûtais moyennement la plaisanterie.

Il resta sourd à mes invectives. Il sentait qu'il avait la situation bien en main. Façon de parler, bien sûr.

Je dus me résoudre à sortir à quatre pattes par la trappe que j'avais ménagée au bas de la cloison extérieure, du temps que j'élevais des chèvres en compagnie de mon âne.

Heureusement qu'il ne m'avait pas vu dans cette position ridicule, moi, le poète de Villegats ! Il se serait bien moqué !

Je le surpris par une petite tape amicale sur les fesses. Il tressaillit, fléchissant un peu son arrière-train.


- Ah ! Te voilà ! Et comment t'es-tu libéré, mon maître ?

- Sot animal, réfléchis un peu. Je ne suis pas content. Tes blagues ne font rire que toi. Ne t'avise pas de recommencer, sinon...

- Sinon quoi ?...Tu me menaces, maintenant ?...


Nous étions sortis de l'abri.

Sur ce, il partit au triple galop autour du champ.

Quand ça le prend, Louve s'enfuit, la queue entre les pattes, la tête basse, et cherche à se mettre à l'abri. Il est vrai qu'elle n'a pas oublié comment, en pareilles circonstances, elle a roulé entre ses pattes. Visiblement, elle ne tient pas à renouveler l'expérience.

Dans ces manifestations sauvages de sa joie, Tic Tac décrit un grand cercle autour du pré, qui le ramène à moi à fond de train. Il me fonce dessus. Je lève alors les bras en criant. C'est un jeu entre nous. Alors, il vire brusquement, lève les pattes arrières en ruade, et lâche un pet sonore en ma direction, avant de repartir dans une nouvelle galopade effrénée.

J'aime le voir manifester ainsi sa joie.

Après qu'il se fut un peu calmé, il vint à moi, soufflant fort par les naseaux.

- J'ai vu soeur Anne, au fait, tout à l'heure.

- Ah ? Et que t'a-t-elle dit ?

Anne et Jean-Claude sont mes amis.

- Pas grand-chose. Elle est timide avec moi, tu sais.

- Forcément, tu lui as fait peur, la dernière fois qu'elle est entrée dans le pré pour te caresser. Déjà, tu es impressionnant, mais tu as voulu l'embrasser. Il faut se mettre à sa place. Tu ne connais pas ta force. Tu aurais pu la blesser.

- Oh ! Tu exagères. D'accord, je suis impressionnant. Ce n'est pas tous les jours qu'on rencontre un âne qui parle le langage des hommes. Et qui soit aussi brillant, en outre ! Mais comment l'aurais-je blessée ? Je ne lui veux aucun mal. Elle est si belle !

Là-dessus il poussa un gros soupir, rêveur.

- Tic Tac. Sois un peu modeste, je te prie. Tu n'as rien d'exceptionnel, au fond. Il ne manque pas d'ânes qui parlent pour dire des âneries, sur cette terre. Ce n'est pas ton cas, d'accord. Mais enfin, un peu de modestie, que diable ! Et puis, ne rêve pas. Anne est belle, d'accord, mais ce n'est pas une ânesse, si tu vois ce que je veux dire. Quant à la blesser, tu pourrais involontairement lui écraser les pieds, comme un mauvais danseur peut le faire parfois maladroitement avec sa partenaire.

- Tu es stupide ! Primo, je suis modeste. Secundo, c'est vrai que j'ai un faible pour cette femme. Tertio, je n'ai pas l'intention de danser le tango avec elle. Tu vois ça d'ici ? Tu n'aurais pas fini de te moquer de moi.

- C'est surtout que le tango, c'est passé de mode, tu sais. Elle est bien loin, la belle époque du romantisme.

Un long silence s'était établi, chacun poursuivant ses pensées.

Il le rompit pour me dire tout à trac :

- A propos, quand m'amènes-tu cette ânesse dont tu m'as parlé l'autre jour ? J'ai hâte de la voir.

- Tout doux, mon beau. D'abord, je t'ai dit cela, mais je n'avais pas bien réfléchi. Laisse-moi le temps d'y penser. Ensuite, je me demande si c'est une bonne idée. J'avais dit ça, en pensant qu'une compagnie aurait rompu ta solitude. Oh, bien sûr ! Tu n'es pas tout à fait seul. Robin te tient compagnie. Mais je gage que tu préfèrerais celle d'une jolie petite ânesse. Cependant, vu le cours de tes pensées, je crains que tu ne l'effarouches. Ou pire encore...

- Ah ! Je vois à quoi Monsieur fait allusion. De toute façon, mon maître, tu sais bien que je ne risque pas de lui faire grand mal...


Le ton amer qu'il avait pris me serra la gorge. Il faisait évidemment allusion à la castration qu'il avait subie étant jeune, et qui l'empêchait définitivement d'envisager d'assurer sa descendance. Je savais combien il en souffrait secrètement. Il n'aurait jamais aucun ânon à qui conter ses histoires, et transmettre ses savoirs. Moi aussi, cela m'attristait.

Il approcha sa grosse tête frisée et la frotta longuement le long de mon épaule.

Je lui caressais le museau, qu'il a si doux et si blanc, puis il téta mes doigts de ses grosses lèvres molles et sensibles.

Un corbeau passant par là croassa. Robin ruminait en silence. Louve courait après les rats que le foin attire.

Il frissonna de tout son corps, soupira en relevant brusquement sa tête, regardant au loin.

Puis il repartit à pas lents vers le haut du pré, songeant sans doute aux petits ânons qu'il n'aurait jamais...

Moi, je sifflai Louve, et reprit, songeur, le chemin de la maison.

 

A suivre...





Lundi 26 novembre 2012

Tic Tac nous préfère velus

Eh! eh!eh!

Me voici, mon bonhomme ! Tu es encore là, à m'attendre, derrière la barrière, dans l'obscurité. Tu m'as vu venir de loin, je le sais. Tu marches de long en large, près de la clôture, impatient. Je pose mon seau et mes lampes à terre. J'avance ma main à travers le grillage, prudemment, car chaque soir, tu le sais, je te tends la carotte en signe d'amitié. Et si elle n'y est pas, gare aux doigts, n'est-ce pas, galopin !

Je te flatte le museau. J'ouvre le cadenas, défais la chaîne, je reprends mon matériel, et je pousse le vantail de bois grillagé.

Louve – c'est ma chienne - est la première à entrer. Elle se faufile entre tes pattes. Robin bêle faiblement. On se voit à peine : le ciel est couvert, la lune est absente. Toi, gros balourd, tu me domines de ta haute stature. Je repousse la barrière derrière moi, et tu en profites pour avancer ton mufle vers le seau. Il n'y a donc que cela qui t'intéresse, les friandises que je t'apporte ? Je le pense parfois. Tu te dérobes sous ma main qui cherche ton contact, en guise de salut.

- Dis-donc, Roudoudou, tu n'as que ça en tête, le contenu de mon seau ?

- Dépêche-toi donc, au lieu de causer, mon maître.

- Donc, c'est bien ce que je dis. Au lieu de t'intéresser à moi, tu ne penses qu'à ton ventre, qui est bien assez gros comme ça. Ne t'énerve pas. Je te donne ta manne quotidienne.

Il est sur mes talons, cherchant à fourrer son nez dans le seau, que je suis obligé de changer de côté. Aussitôt, je sens son souffle vers le seau. Il connaît bien le truc.

Tant qu'il n'aura pas satisfait sa gloutonnerie, je ne pourrai pas lui parler, il ne m'écoutera pas.

- Tout de même, Tic Tac, tu exagères, tu pourrais faire montre d'un peu d'affection. Manger, toujours manger ! Il ne faut pas vivre pour manger, mais manger pour vivre. Ce n'est pas la même chose, gros patapouf.

Il se goinfre, le mufle dans le seau. Robin se presse pour se régaler d'orge, lui aussi. Louve attend que j'ouvre la porte de la cabane pour chasser les rats. J'allume ma lampe à pétrole, à l'abri des coulis d'air. L'odeur de foin me réjouit le coeur. Louve farfouille dans la paille et l'herbe sèche, toute excitée d'odeurs qui m'échappent : celles des rats, je suppose.

Bien sûr, comme chaque soir, je me cogne à la poutre basse. Bien sûr, comme chaque soir, ce sot de Tic Tac se moque. Il rit tellement qu'il manque de s'étouffer avec sa bouchée d'orge.

- Ah ! Gros malin ! Etouffe-toi donc ! Ça t'apprendra à te moquer de moi !

- Tu me fais rire, mon maître. Il ne se passe pas de soir que tu ne te cognes à cette poutre. Méfie-toi, des cornes vont bientôt te pousser !

- Oh ! Je vois que Monsieur fait le malin, ce soir. Quel humour ! Des cornes ! Fais donc attention toi-même, il pourrait bien t'en pousser, des cornes ! Une, du moins, en tout cas ! N'as-tu jamais entendu parler des licornes ?...Si quelqu'un te jetait un sort, tu pourrais bien te trouver avec une belle corne sur le front.

Cette fois, c'est moi qui ris de bon coeur, à la pensée de mon Tic Tac en licorne !

Il grommelle :

- N'importe quoi. Tu dis bien n'importe quoi. Il y a longtemps qu'il n'y a plus de sorciers pour jeter des sorts. D'ailleurs, l'existence des licornes n'a jamais été prouvée, tu le sais bien.

- Qu'en sais-tu, gros dadais ? N'as-tu jamais entendu parler du narval ? De l'espadon ?...

- Ah oui ! Ces grosses bêtes sans poils qui vivent dans la mer ?...C'est moche, ces bestioles...

- Tu n'en as jamais vu. Comment peux-tu dire ça ?

- Certes, mon maître, je n'en ai jamais vu, mais je le sais, qu'elles n'ont pas de poils. Et toute bête sans poils est dénaturée et laide.

- Bravo ! Merci, Tic Tac. Donc, si je te suis bien, je suis moche ?

- Oh ! Toi, ça va encore à peu près. Avec ta barbe, ça passe. Mais ton copain Christian, par exemple, tel que tu me l'as décrit, imberbe, les cheveux ras, il ne doit pas être très chouette.

- Tic Tac ! Je te défends de dire du mal de mes copains ! Il est superbe, mon ami, il est plein de charme, séduisant, sémillant, fringant. II a tout pour lui, tu sais. Et puis, il est d'une telle gentillesse ! D'ailleurs, tu ferais bien de changer d'opinion sur lui. Je ne serais pas surpris qu'il vienne te rendre visite un de ces jours. Et puis, tu sais, il te trouve très beau.

- Ah bon ? C'est intéressant, ça. Tu as raison, il doit être observateur, malgré tout, pour avoir remarqué ma plastique. Tu ne me racontes pas des blagues ? Tu lui as montré ma photo ?

- Oui. Sur mon site web, j'ai mis ta photo. Je t'assure, il te trouve superbe. Il a craqué pour toi. Il adore les ânes. D'ailleurs, j'oubliais : tu as son bonjour.

- Décidément, il est bien, cet homme, pour un homme. Je retire ce que j'ai dit. Je suis certain que nous nous entendrons bien.

- Tu as aussi le bonjour de sa femme, Fabienne.

- Ah, ah ! Voilà qui commence à devenir intéressant. Dis, elle est belle, Fabienne ? Aussi belle que soeur Anne ?

- Bien sûr, mon gros. Elles sont toutes deux très belles, mais, bien sûr, d'une beauté différente, tu comprends ?

- Mmmmmh !...Je vois...J'ai hâte que tu me la présentes, elle aussi. Tu crois que je pourrai l'embrasser ? Elle voudra bien ?

- Je ne peux pas répondre à sa place, Doudou. Tu verras bien. En tout cas, tu seras gentil, hein ? Ne va pas lui sauter au cou comme tu as fait à soeur Anne ? Modère tes ardeurs.

- Oh la la ! ça va comme ça ! Laisse tomber tes allusions, tu es lourd.

- Ok ! Mais je te préviens, c'est tout. Tu dois y aller doucement avec le sexe faible.

 

Il n'était pas affamé, mon baudet, ce soir. Forcément, je lui avais donné de la paille. Et si, cette fois, il n'avait rien dit, du moins se détournait-il du râtelier. Il se dirigeait vers l'abreuvoir, de son pas d'âne tranquille et maladroit.

Je l'ai accompagné. J'ai dégagé les feuilles de noyer tombées de l'arbre, qui encombraient l'eau.

Il s'est approché de moi, quêtant une caresse.

- Alors, mon maître, comment s'est passé ton salon ? As-tu bien vendu ? As-tu retrouvé tes amis écrivains ?

- Oui et non.

- Comment oui et non ? Je ne comprends pas.

Tout en caressant son arcade sourcilière – il adore ça, que je le gratte au-dessus de ses yeux – je lui expliquai qu'il venait de me poser deux questions, et que la réponse était opposée pour chacune d'elles.

- Donc tu as bien vendu mais tu n'as pas vu tes amis, reprit-il ?

- C'est le contraire, Doudou.

- Ah ! C'est triste.

- Non, ce n'est pas triste, puisque j'étais heureux de retrouver mes camarades de plume.

- De plume ! C'est vite dit ! Il y a beau temps que les écrivains n'utilisent plus la plume d'oie. Même le stylo, je suis sûr que bien peu l'utilisent. Depuis que vous avez inventé l'ordinateur et son clavier, bien peu d'entre vous, je gage, manient encore le crayon.

- C'était une façon de parler, Tic Tac. Tu as raison.

- N'empêche ! J'aimerais bien que tu vendes beaucoup de tes livres. Tu le mériterais.

J'ai ri de bon coeur. Je l'ai frotté entre les oreilles, la joue contre son mufle.

- Tu es gentil, mon Roudoudou. Mais tu sais, cela ne me préoccupe guère. Je prends plaisir à écrire, et je suis heureux si quelques personnes prennent elles aussi quelque plaisir en me lisant .

- Moi j'aime ce que tu fais, me dit-il. Tes contes sont très bien tournés, crois-moi, c'est un âne qui te le dis, certes, mais pas n'importe quel âne, tu ne l'ignores pas. D'autres que moi te l'ont confié, je le sais. Oh ! Bien sûr, tu ne seras jamais aussi puissant que Daudet. Peu importe au fond...

-Ah bien ! Merci, mon ami. Tu exagères un peu, je trouve. Je vois que ton admiration pour ce personnage ne te lâche pas. Il la mérite, assurément, mais ne me rabaisse pas trop, quand même. Parlons d'autre chose, tu veux bien ?

- Tu n'aimes pas qu'on te flatte, mais tu n'aimes pas non plus qu'on te dise la vérité, somme toute, ajouta-t-il en riant. Tiens ! Pour parler d'autre chose, j'ai vu des petits ce soir.

- Parfait. Tu étais content, je suppose ?

- Oh oui, mon maître. Ils m'avaient apporté du pain dur et des pommes. Un régal ! La plus petite avait peur, et le pain tombait toujours dans l'herbe avant que je ne l'attrape. Pauvre petite ! Elle avait l'air si gentille. Elle parlait à peine. Elle était si menue. Elle m'a rappelé Bouton d'Or.

- Tu vois ! Maintenant, les enfants se méfient de toi. Ils craignent que tu ne leur happes la menotte quand ils te tendent du pain dur ou des carottes. J'avais bien raison de te mettre en garde. Par contre, je sais que tu adores les enfants, qu'en leur présence, tu ne bouges pas d'un poil pour éviter de les blesser, et je sais aussi que ton plus grand plaisir est quand l'un d'entre eux est juché sur ton dos. C'est normal que tu aies repensé à l'histoire de Bourru et Bouton d'Or. C'est une belle histoire, cette histoire d'amitié entre une fillette et un baudet du Poitou.

- Forcément. C'est moi qui te l'ai racontée. Et puis, dès lors qu'il est question de quelqu'un de ma race, c'est une belle histoire.

- Là, je te trouve un peu prétentieux, Tic Tac. Je connais des gens qui vous préfèrent le petit âne gris de Provence. Ils sont très beaux aussi, tu sais, dans un autre genre, avec leur croix de Saint André sur les épaules, c'est vrai, mais ils sont très doux, aussi.

- Bon...Ils ne sont pas mal, c'est vrai, mais, néanmoins, honnêtement, nous, les baudets, nous sommes les seigneurs de la race asine.

- Dis-donc, Tic Tac, tu ne sens pas tes chevilles enfler au niveau du canon ? Tu y vas un peu fort, je trouve. Redescends sur terre, un peu. A ce propos, sais-tu que le Seigneur, puisque tu en parles, avait choisi de monter sur le dos d'un petit âne gris pour entrer à Jérusalem, lors de la fameuse Pâques ? Tu connais l'histoire, bien sûr ?

- Forcément, tu me l'as racontée cent fois. Mais rien ne dit que l'âne qui le réchauffa, bébé, de son souffle, alors qu'il venait juste de naître, était un grison. Nous, les baudets, nous pensons que c'était un des nôtres. En outre, avec son épaisse fourrure, notre ancêtre n'aura pas eu de peine à le tenir au chaud. Mais peu importe. Je te ferai remarquer que c'est notre race asine qui a été choisie en ces deux occasions importantes pour votre humanité, pour accompagner ce Jésus. Je vous trouve bien ingrats de nous considérer si mal.

- C'est un peu vrai, mon gros nounours. Et c'est injuste. Mais, d'abord, tout ça, ce ne sont peut-être que des histoires. Cependant, je suis un peu de ton avis : si, en effet, c'était sur le dos d'un baudet que le Christ était juché ?... et si c'était un baudet aussi qui l'avait réchauffé, pourquoi pas ?...Voici deux images que je trouve sympathiques.

Mon âne n'a rien répondu. Il semblait méditer. Moi, je revoyais ces petits grimpés sur ses reins, s'agrippant de leurs petits doigts à sa toison drue, et je revoyais leur visage rayonnant de plaisir...et j'imaginais un autre personnage, rayonnant, sur son échine, comme dans ma chanson Tic Tac...

 

A suivre...



Lundi 26 novembre  2012 (le soir)

 Les facéties de Tic Tac

Tout à l'heure, j'étais près de mon Tic Tac. Pour une fois, j'y étais de jour. Je voulais lui faire un brin de toilette (c'est bien quelque chose qu'il ne me réclame pas), nettoyer l'abri, bref, mettre un peu d'ordre dans le domaine de mon âne.

J'ai commencé par lui donner ses friandises. Pendant qu'il mangeait, j'ai ôté à la fourche sa litière, qu'il avait copieusement souillée. Allez savoir pourquoi, c'est sous l'abri qu'il s'ingénie à soulager sa vessie. Impossible de tenir cet endroit sec. Il me dépose aussi ses crottes juste devant la porte du fenil. Je ne comprends pas pourquoi il s'entête dans ces sales habitudes. Qu'est-ce que je peste, chaque jour !

Lui, placide, m'observe d'un oeil indifférent.

« Nom d'un petit bonhomme, Tic Tac, tu exagères, tout de même, de venir faire tes besoins sous l'abri, surtout de crotter devant la porte ! Chaque jour, je suis obligé de nettoyer avant d'entrer dans la cabane. Vraiment, je n'apprécie pas, tu sais. Tu n'es pas gentil.

Il ne répond pas, en général. Il tourne la tête d'un air nonchalant, regarde ailleurs, comme s'il ne m'avait pas entendu.

« Hé ! Gros plein de poils ! Tu entends ce que je te dis ?...

« ...

« C'est ça, fais la sourde oreille. Tu crois que je ne vois pas clair dans ton manège ? Gros cochon !

A cette apostrophe, il a réagi. Il a tapé du sabot sur le sol, a daigné me considérer de toute sa hauteur, avant de me confier :

« Je ne suis ni gros ni cochon. Je ne vois d'ailleurs aucune ressemblance en moi avec ce puant animal. Tes insultes ne me touchent guère. La bave du crapaud n'atteint pas la blanche tourterelle.

J'en fus abasourdi.

Je sifflai d'admiration.

« Eh bien dis donc, quel vocabulaire ! J'avoue que tu m'épates. C'est vrai que pour le Daudet du Poitou que tu es, c'est normal de si bien manier la langue française. Mais dis-moi un peu : d'où tu me sors ça, hein ? Qui t'a appris cette si belle expression ?

« Peuh ! Jean-Claude, pardi !

« Jean-Claude ?...Mais comment ?...

« Que t'importe ? Je suis heureux de voir que ses leçons m'ont profité. Et ce n'est rien. Tu n'as pas encore tout vu !

« Ça, je n'en doute pas, mon bonhomme. Je sens que je vais lui en toucher deux mots, à Jean-Claude. Après tout, tu es mon âne. Il ne faudrait pas qu'il t'influence à mon insu, mon ami Jean-Claude. Je l'aime bien, mais s'il se met à t'enseigner le français sans m'en parler, c'est une trahison. Il t'apprend beaucoup de choses, dis-tu ? Lesquelles, par exemple ?...

« Je vois bien, mon pauvre maître, que tu es jaloux. Tu voudrais être le seul à m'apprendre ce que je ne connais pas encore très bien. Mais tu sais, il est vraiment très chic, ton pote.

« Comment tu parles, maintenant ! Ne sois pas si familier dans tes expressions, jeune âne. Puisque tu prétends qu'il est si chic, mon pote, eh bien, demande-lui donc de venir nettoyer ton crottin.

« Oh la la ! Comme il se vexe ! Comme il est susceptible ce soir, mon maître ! Mais arrête de me faire une scène, je t'aime bien, toi aussi.

« C'est ça, tu m'aimes bien, « moi aussi » ! J'aurai tout entendu. Tu me dégoûtes, tiens. Tu ferais mieux de m'aider à rouler ton fumier, au lieu de dire n'importe quelle ânerie.

Je ne sais pas ce qu'il y avait de drôle dans ce que j'ai dit, mais il est parti dans un long éclat de rire sonore, qui fit encore fuir Louve à l'autre bout du pré.

J'ai décidé de ne plus lui adresser la parole de la soirée.

J'ai continué à charger la brouette à l'aide de la fourche. Robin me regardait faire en silence. Lui aussi, rigolard.

Je l'ai ignoré.

J'avais presque achevé de remplir la brouette. Je m'apprêtais à y poser la dernière fourchée, quand ce grand nigaud, avant que j'aie pu faire un geste, approchant son museau d'un mancheron, le souleva d'un coup, renversant la brouette si laborieusement chargée !

« Tic Tac ! Non ! Mais quelle fripouille tu fais ! Tu n'es pas gentil ! Je t'ai dit cent fois de ne pas me faire cette blague ! Ce n'est vraiment pas drôle !

J'étais vraiment très en colère. Je m'étais avancé vers lui et avais levé le bras comme pour le frapper, ce que je n'avais pas l'intention de faire, bien sûr, mais je voulais néanmoins lui signifier fermement que je n'appréciais guère ses facéties.

Il reculait, riant de plus belle, levant la tête par à-coups, craignant quelque horion, mais aussi, impressionné par ma colère verbale, qui n'était pas feinte.

Tic Tac est très sensible au ton que j'utilise quand je m'adresse à lui. En général, je n'ai guère besoin d'accentuer mes paroles, il perçoit parfaitement mes sentiments par les moindres nuances de ma voix.

Il finit par se sauver au triple galop, ce qui eut le don de faire fuir Louve qui vint se réfugier dans mes jambes.

Tout en maugréant, je rechargeai la brouette. Il est coutumier du fait. Il adore ce genre de blague.

 

Lorsque je travaille sur la clôture, il ne cesse pas de me faire des niches. Sa bêtise de prédilection, c'est de me renverser ma caisse à outils dans l'herbe, dès que j'ai le dos tourné. Il ne me reste plus alors qu'à me mettre à quatre pattes dans le gazon pour tenter de ramasser le plus de pointes possibles éparpillées dans la verdure du pré.

Ce qu'il aime beaucoup aussi, c'est me dérober mes outils. Si je laisse traîner mon marteau ou mes tenailles, et que je m'éloigne de quelques mètres, je peux être certain qu'il va se les accaparer. L'été dernier, je cherchais mon marteau partout : dans mes poches, au pied du grillage de la clôture que je réparais, au pied des piquets de clôture, dans la brouette...en vain. Lui me regardait, l'oeil pétillant de malice : de ses babines pendait le marteau qu'il pinçait entre ses dents ! Je lui cours après, bien sûr, partagé entre la colère et le rire. Lui part au galop, mon outil dans la gueule. Il a bien voulu se laisser approcher. Mais il ne voulait pas lâcher l'outil ! J'ai eu recours à une ruse, comme d'habitude.

« Viens, mon gros Doudou. Regarde ce que j'ai pour toi dans ma poche. Ce disant, j'avais fourré ma main dans la poche de ma veste.

« Oh ! Tu ne m'auras pas comme ça, mon maître. Je sais bien que tu n'as rien de bon à manger dans ta poche.

« En effet, gros malin, mais tu vois, pour parler, il a bien fallu que tu lâches le marteau...Le maître est plus rusé que l'âne !

J'avais récupéré mon marteau, un peu gluant, il est vrai.

Tic Tac me regardait, penaud.

« Peuh, fit-il ! Tu n'as rien inventé. C'est directement copié de La Fontaine.

J'avais posé ma caisse à outils, la barre, la masse, le fil de fer et les cavaliers dans la brouette, que je déplaçais au fur et à mesure de l'évolution de mes travaux.

Comme toujours quand je travaille dans le clos, il reste à côté de moi. Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées que le bruit de la brouette renversée me faisait sursauter. Et ce gros malin, tout content de lui, s'enfuit en courant à l'autre bout du pré, où il va braire tout à son aise !

Je dois dire qu'alors j'ai perdu mon calme. Je l'ai traité de toutes sortes de noms d'oiseaux ! Cela ne l'a pas empêché de revenir sur mes talons, littéralement, quelques instants plus tard.

J'étais agenouillé dans l'herbe, tirant d'une main sur le fil à l'aide des tenailles, tentant d'enfoncer un cavalier dans le bois du piquet de l'autre. Exercice hautement périlleux. Lui était au-dessus de moi. Et hop !

« Mon chapeau ! Tic Tac, rends-moi mon chapeau ! mais tu es infernal ! Enfin ! Calme-toi ! Arrête de me persécuter, s'il te plaît !

Voilà qui l'amuse beaucoup.

Comme, en outre, il n'a pas tout à fait assimilé le principe « les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures », il en remet systématiquement une couche dans les minutes qui suivent.

Cette fois, prévoyant, je n'ai pas remis mon chapeau sur ma tête, mais l'ai coincé sous mes genoux. C'est alors qu'il se met à me brouter les cheveux !

« Tic Tac ! Tu es incorrigible ! Vas-tu cesser, oui ? Arrête de m'importuner !

Mais, à son air égrillard, son allure pataude, ses yeux rieurs, je fonds, et ne puis m'empêcher de lui pardonner.

« Allons, viens me voir, mon gros benêt ! Approche !

Il se méfie un peu, tout de même, sur la défensive. Il remue sa tête de haut en bas, fait claquer ses oreilles, qu'il a très grandes, comme vous savez, et me laisse approcher pour les embrassades de réconciliation. Mon coeur s'attendrit devant mon gros nounours si touchant. Il frotte longuement sa tête le long de mes jambes. Nul besoin de mots, dans ces moments-là.

Louve jappe, pas contente de ces câlins. Elle aura sa part, bien sûr.

Robin, heureux sans doute de ces démonstrations d'affection, lui si peu communicatif, se dresse sur ses pattes arrière, les genoux antérieurs pliés, la tête baissée, présentant ses cornes, en posture d'attaque. C'est un jeu. Je fais semblant de l'attaquer. Il recule, puis se remet en posture verticale. Avec lui, ça ne dure jamais. Il tourne très vite les talons et s'enfuit en sautant bizarrement comme un cabri.

C'est alors qu'un bruit insolite me fait me retourner. Mon baudet est sur le dos, les pattes en l'air, roulant de côté et d'autre, en émettant d'étranges grognements de plaisir, puis reste un moment allongé sur le côté (comme il a le ventre rond comme une barrique, il ne peut pas tenir en équilibre sur son échine, et bascule forcément sur le flanc), avant de se relever de façon totalement maladroite.

« Mon pauvre Tic Tac ! Comment parviens-tu à te relever ? Je me demande si un jour tu ne resteras pas coincé au sol.

« Oh ! Ne te moque pas, mon maître. C'est vrai que ce n'est pas très aisé ; que je suis obligé de prendre de l'élan avec mes pattes pour basculer sur les genoux avant de me relever, mais enfin, que veux-tu, la nature m'a fait comme ça, qu'y puis-je ? Attends de vieillir un peu, et qui sait si ça ne t'arrivera pas de rester par terre sans pouvoir te relever ?

« Ce n'était pas méchant, mon Doudou. Mais tu me fais rire, voilà tout.

« Je comprends. Bergson a dit que le rire prend souvent sa source dans le ridicule d'autrui. En voici la preuve.

« Bergson ?

J'étais ahuri. D'où tenait-il cela ? Encore un coup de Jean-Claude, pensai-je.

Tic Tac se tenait immobile, pensif, plongé dans ses réflexions.

« Tu as bien dit Bergson ?

« Oui, c'est cela. C'est un de vos philosophes, comme vous dites. Il a écrit un traité sur le rire.

« Oui, je sais, Tic Tac. Mais tu m'impressionnes. Où ton savoir s'arrêtera-t-il ?

« Mon savoir n'a pas de limites, mon maître. Tu sembles l'ignorer ?

« Pour sûr. J'étais loin de penser que tu en savais si long sur la matière philosophique. Par contre, tu devrais peut-être écrire un traité sur la modestie, hein ? Qu'en penses-tu ?...

Il souffla bruyamment par ses naseaux, fit claquer bruyamment ses oreilles, lâcha un vent sonore, et s'en fut de son pas saccadé en direction des abreuvoirs.

 

Je dois dire que j'étais un peu interloqué. Il me fallut du temps pour m'en remettre. C'est bizarre. Je me suis senti soudain tout chose, comme abattu. Un brusque coup de déprime, sans aucun doute.

Je retournai à ma clôture, où je redoublais d'ardeur pour enfoncer mes clous, au point que je m'écrasai un doigt sous le marteau...

 

A suivre...

 



29 novembre 2012

 Les bêtises de Tic Tac

Bien sûr, hier après-midi, il me fit la tête. C'était prévisible.

La veille au soir, je ne suis pas allé les voir, Robin et lui. J'étais rentré tard de ma séance d'enregistrement chez Pierre, à Confolens, et j'étais épuisé (on n'a plus vingt ans...).

Donc, il n'avait pas eu ses friandises et son foin.

Déjà, il était impatient et tournait en rond nerveusement près de la barrière. A mon arrivée, trouvant sans doute que je n'allais pas assez vite à pousser le vantail, alors que je décadenassais la chaîne, il donna des coups de sabot dans la barrière.

« Oh ! Arrête, Tic Tac ! Tu vas tout démolir ! Un peu de patience, que diable !

« Eh bien ! C'est pas trop tôt ! Pourquoi n'es-tu pas venu hier soir ? me dit-il, agressif.

« Oh la ! On se calme, mon Doudou. Je sais. Je comprends ton ressentiment, mais néanmoins, il n'y a pas péril en la demeure, ce me semble...

«  C'est cela, bien sûr. Toi, tu t'en moques, tu as mangé en arrivant chez toi. Moi, j'ai dû dormir le ventre vide.

J'avais mauvaise conscience, et il le sentait bien, le bougre !

De mauvaise foi, je lui répondis, un tantinet agacé :

« Dis donc ! N'exagère pas. Le ventre vide, c'est vite dit. D'abord, tu as de l'herbe verte sur ton pré, non ? Ensuite, avec la ration de foin que je t'avais donnée avant-hier, tu n'étais pas totalement à jeun. Et puis, tu as eu certainement de la visite dans la journée : tes amis qui viennent te voir ont bien dû te gâter, j'imagine ? D’ailleurs, tu es trop gros. Maigrir un peu te ferait le plus grand bien.

« Tu y vas fort, je trouve. Trop gros, trop gros ! Tu ne t'es pas vu toi-même ?...

Voilà qui commençait bien. Il était froissé.

En outre, il refusait catégoriquement toute caresse ou toute approche. Une seule chose comptait : le contenu de mon seau.

Je me dirigeai donc sans attendre vers la cabane, lieu de ses agapes. Je l'avais sur les talons, le mufle cherchant le seau, pour y plonger sans attendre, tantôt à gauche, tantôt à droite, selon que je basculais celui-ci d'un côté ou de l'autre, justement pour qu'il ne commence pas sa dégustation sur le champ.

Il me pressait. Je dus me retourner et faire face :

« As-tu fini, garnement ? Attends un peu. Laisse-moi le temps d'arriver.

Il relevait sa tête à chaque parole un peu forte, reculant.

« Calme-toi, voyons, mon maître. Je ne fais pas de mal. Mais je suis affamé, comprends-tu ?

« Oh ça oui ! Je crois que j'ai compris que tu étais affamé. Tu es toujours affamé, gros nounours.

Je me hâtais de lui verser le contenu de mon seau dans le sien, qui demeure suspendu en permanence à un poteau de la cabane. Robin me bousculait dans sa hâte, lui aussi. Je lui posai son récipient dans la paille qui jonche le sol de l'abri. Et chacun ingurgita sa pitance fébrilement.

J'en profitai pour entrer chercher le foin dans la cabane.

Quand je réapparus, mon âne avait chassé Robin et lui volait sa part !

Pas content, je le grondai d'importance. Il recula précipitamment vers son seau. Je dus surveiller la suite des opérations, sinon le pauvre bouc, son souffre-douleur, n'aurait rien eu à se mettre sous la dent.

Je garnis copieusement le râtelier, et les laissai à leur repas.

Je décidai d’inspecter les lieux et de vérifier le niveau d'eau dans les timbres. Tour du propriétaire habituel, somme toute.

Quelle ne fut pas ma surprise de constater qu'ils étaient à sec ! Il est vrai qu'il y a deux ou trois jours, ils étaient pleins, et que j'avais négligé cette vérification journalière, vu que le temps n'est pas à la canicule en cet automne pluvieux. Je décidai donc de retourner au plus vite à la maison faire le plein de mes bidons.

En effet, il n'y a pas de puits, pas de fontaine, pas l'adduction d'eau sur le pré. Je dois donc chaque jour, l'été, chaque semaine, l'hiver, veiller à l'approvisionnement en eau des deux abreuvoirs. Je la récupère à mon bac qui reçoit l'eau des pluies coulant de mes toits. Je la transvase dans des bidons, que je transporte dans la benne de mon pick-up. Ensuite, j'utilise la brouette pour l'acheminer jusqu'aux abreuvoirs en ciment, situés sous le noyer.

J'ai ramené une petite pelle rouge en plastique afin d'ôter les feuilles mortes et les branchages tombés dans les bacs et qui finissent par l'encombrer. En fait, cette opération est plus aisée à réaliser quand les bacs sont vides.

Le nettoyage exécuté, je versai le précieux liquide dans les récipients, et les remplis au maximum. J'ai dû faire deux tours avec ma brouette pour transporter les bidons pleins, sur le terrain bien gras, où mes bottes glissaient. Louve, joyeuse, jappait et gambadait autour de la brouette.

Tic Tac, ayant fini son repas, m’avait rejoint, et, comme à l’habitude, léchait les bidons vides, cherchait une bêtise à faire. Cette fois, l’objet de sa convoitise était la petite pelle. Dès que j’importe quelque objet nouveau sur son territoire, il faut qu’il l’inspecte et le manipule. Mais la dite pelle était si fragile qu’il me l’aurait brisée sans attendre. Je dus bagarrer pour l’empêcher d’y mettre ses lèvres. Dès que je tournais le dos, il se dépêchait de tendre le cou vers ce qui l'attirait tant. Je dus la retirer de son champ de vision.

« Mon pauvre baudet ! Que tu es agaçant avec cette manie de tout porter à ta bouche. Tu m’as déjà percé deux bidons. Arrête un peu.

« Pourquoi ne me laisses-tu pas découvrir cette pelle, mon maître ? Elle est fort appétissante, tu sais. Je ne la briserai pas, je t’assure…

« Non, Tic Tac, je ne cèderai pas : tu ne toucheras pas à cet objet, tu me le casserais.

 

Mais une autre surprise m'attendait.

Je stocke le foin et la paille nécessaires à l'alimentation de mon baudet et de mon bouc sur le terrain, dans un petit enclos protégé d'une clôture de fils ronce. Ces grosses bottes cylindriques sont empilées sur deux rangs, deux accolées font la base de ce long tas triangulaire, une à cheval sur elles formant la pointe haute, le tout recouvert d'une bâche polyane noire (eh oui ! du plastique !).

« Qu’as-tu fait, Tic Tac ! Encore une bêtise !

Il prit le large au petit trot, craignant les remontrances que, à coup sûr, il le savait, je ne manquerais pas de lui adresser.

La bâche était trouée. De la paille jonchait le sol alentour.

Je n’eus pas de mal à reconstituer l’histoire.

Vexé de ne pas me voir, mais surtout de ne pas toucher sa provende, comme à l’accoutumée, ce bougre de nigaud, tendant le cou par-dessus la clôture, avait déchiré le film polyane de ses dents pour croquer les belles tiges dorées de la paille d’orge cachées derrière ! Et, selon son habitude, il avait gaspillé, en étalant partout !

Ah là, oui, il allait m’entendre, le coquin ! Certes je n’étais pas content ! A son corps défendant, cependant, il devait avoir eu faim, en effet, pour me jouer ce tour détestable. Mais je notai au passage qu’il n’avait pas oublié nos manœuvres, au printemps, pour entasser et protéger sa nourriture. Je décidai donc de ne pas l’agonir de mes récriminations.

Cependant c’était ennuyeux : la pluie et le vent allaient s’engouffrer dans ce trou. D’une part, la paille serait gâtée ; d’autre part, s’engouffrant dans ce pertuis, le vent ne manquerait pas de soulever la bâche ou de la déchirer, et c’est toute la protection de ma réserve qui était menacée.

Lui arrivait, benoîtement, comme si de rien n’était…

Il voyait bien que j’étais occupé. Il vint frotter vivement son chanfrein sur mon dos, et me fit perdre l’équilibre !

« Mais c’est pas vrai ! Vas-tu cesser, fripon ? Tu n’en rates pas une !

« Allons, mon maître, ce n’est pas si méchant tout ça. Je ne voulais pas te faire tomber, mais juste te manifester mon affection.

« Oui, j’avais bien compris. Tu ne te rends pas bien compte de ta force, je te l’ai déjà dit. Ce n’est rien. Mais pour ce qui est de ce trou dans la bâche, bravo ! Toutes mes félicitations ! C’est du propre ! Comment vais-je faire pour le réparer ? Te rends-tu compte que le vent désormais va s’engouffrer par là et tout m’emporter ? Tu réalises ? Et s’il pleut sur ta nourriture, elle va pourrir, et sera perdue. Tu comprends ça ? C’est une bêtise que tu m’as faite là, mon Tic Tac. Ne recommence pas.

Il avait regardé ailleurs distraitement, pendant ma tirade, secouant ses oreilles.

«Oh la la ! C’est pas fini tout ce foin ?...Tiens, c’est pas mal ce jeu de mot, tu ne trouves pas, mon maître ?

« En effet. Quel à-propos ! Mais je n’ai pas le cœur à rire de tes bêtises. Je dois réparer maintenant, avant que les choses n’empirent. Et ce n’est toujours pas toi qui vas m’aider, si j’ai bien compris ?

« Arrête ! Quel râleur tu fais ! Tu n’as vraiment pas le sens de la plaisanterie.

« Ah oui ? Tu trouves ?...

J’étais passé de l’autre côté de la clôture pour tenter de réparer avec les moyens du bord. C'est-à-dire, des bouts de planches et de ficelles de lieuse, et les pneus usagés que j’utilise pour bloquer la toile noire.

Il n’y avait pas large du tas à la clôture. Pendant que je m’échinais à placer une vieille porte vermoulue contre le polyane à l’endroit du trou, et à entasser des pneus par-dessus les palettes qui coincent la protection à sa base, il fredonnait.

Plus d’une fois j’accrochai les manches ou le dos de mon blouson aux barbelés, quand ce n’était pas la chair vive.

Mon âne me considérait gravement par moments, avec une certaine commisération.

« Pourquoi me regardes-tu ainsi, mon Roudoudou ? Ne prends pas cet air condescendant. C’est ta bêtise que je répare, andouille.

« Ne m’insulte pas, je te prie, ou…

« Ou quoi ? Tu vas porter plainte auprès de ton syndicat, c’est ça ?

« Rassure-toi, les ânes ne sont pas syndiqués. Néanmoins, j’aimerais bien que tu cesses de m’insulter.

« Ah bon ! Voyez donc Monsieur, qui se vexe. Mais tu m’énerves à fredonner toujours le même air. C’est vrai, c’est agaçant, à la fin. D’abord quel est cet air que tu serines depuis un moment ? Le sais-tu seulement ?

Il me regarda d’un air outragé :

« Mais c’est l’air des bijoux, dans le Faust de Gounod, cet air célèbre que chante la Castafiore ! tu ne l’as seulement pas reconnu ! Mais tu es ignare, mon maître !

Mon baudet chantonne l’air de Marguerite de Faust ! J’aurai tout entendu ! En plus, il connaît ses classiques, même en BD !

« Mais je rêve, mon pauvre ! D’où sors-tu cela ? Qui t’a fait entendre cette mélodie ?

« Que t’importe, mon maître. Je voulais juste t’être agréable pendant que tu travaillais. Mais je vois que c’est raté. Je te laisse. D’ailleurs, il commence à pleuvoir. Je vais de ce pas me mettre à l’abri.

Il fit volte-face et s’en fut, l’air contrarié, vers son abri.

 

Avant de quitter le champ, j’ai avancé sous la cabane pour lui parler un peu. Il récitait un poème de Du Bellay : D’un vanneur de blé aux vents. Mon bouc écoutait, impavide, la déclamation de son compagnon.

« Tu connais cette pièce, mon Tic Tac ? Je l’aime beaucoup, tu sais.

« Moi aussi, je l’aime beaucoup, car elle parle de nous.

« Elle parle de vous, les ânes ? Tu fais erreur, mon Roudoudou.

« Non non, je t’assure ; écoute :

 

                        …Eventez ce séjour   

Cependant que j’ahane

                        A mon blé, que je vanne

A la chaleur du jour

 

« Eh bien, je ne vois pas.

« Mais tu es sourd ? L’auteur dit que l’âne est dans son blé.

« Mais tu n’as rien compris, Tic Tac ! Il dit : que j’ahane ; ahaner est du vieux français, qui signifie peiner en poussant des « ahan » pour accompagner ses efforts.

« Des hi-hans ? Mais alors, j’ai raison, tu vois bien !

« Pas des « hi-hans », des « ahans » ; c’est une onomatopée. Tu sais ce que c’est une onomatopée, Doudou ?

« Pour qui me prends-tu ? C’est un mot qui reproduit un son naturel.

« Eh bien voilà ! Tu y es ! Pousser des « ahans » c’est souffler très fort en accompagnant un geste qui demande un effort. Il ahane en vannant son blé, mais les ânes n’ont rien à voir avec ça.

 

J’ai dû lui expliquer que son erreur était excusable. Mais j’ai eu beau le réconforter, il était très triste, et n’a pas voulu me laisser l’embrasser, quand je suis parti. Il a tourné la tête de l’autre côté.

J’étais ennuyé de le laisser ainsi, soudain dépressif. Mais quoi faire ?...

Je suis parti dans le brouillard du soir qui tombait, glacial. Je me suis senti triste, moi aussi, brusquement. Je me suis retourné, de loin. Il était immobile, la tête basse, et semblait accablé…

 

A suivre...



3 décembre 2012

 Les promenades de Tic Tac

Vous ai-je déjà raconté nos sorties ? Je ne pense pas.

Aux beaux jours, quand le soleil inonde nos contrées, que la campagne verdoie de la plus belle manière, que l’air printanier s’emplit des ramages des oiseaux, avant que le temps des chaleurs excessives ne survienne, il arrive que nous partions en expédition à travers champs.

Je dois tout d’abord amener le matériel. Car on ne sort pas sans bagages chez les ânes. Question de prestige.

Je ramène donc tout le harnachement de chez moi.

Pour commencer, j’opère une grande toilette, afin de rendre Monsieur mon Baudet le plus propre du monde (des ânes, s’entend). Je le nourris copieusement. Je lui fais les ongles, bien sûr. Je pousse le luxe jusqu’à lui badigeonner les sabots de vernis à ongles. Je rigole. Mais ça y ressemble. En fait, je les enduis au pinceau de goudron de Norvège. Ce produit nourrit la corne du sabot, favorise sa croissance. Il noircit aussitôt que passé, et brille. Voilà qui lui fait un beau pied. Avez-vous remarqué que le pied de mon âne est plus fin et élégant, plus distingué que celui de ses cousins les chevaux ? Celui du cheval est plus pataud et plat, plus écrasé, et n’a pas cette finesse raffinée de celui du baudet. C’est Tic Tac lui-même qui me l’a fait remarquer un jour que j’étais sous son ventre à passer le produit sur ses extrémités.

« As-tu observé la finesse de mes pattes ? Ce n’est pas comme celles des chevaux, mes cousins. Ce n’est pas que je veux paraître plus « classe », mais c’est la vérité.

Il a raison. Mais je lui ai tout de même répondu.

« Tu sais, mon bon, c’est une question de goût.

Il a tordu le bec, déçu. Il s’attendait visiblement à plus d’enthousiasme de ma part.

Mais je m’éloigne. Revenons-en à notre équipage.

Tic Tac est tout beau, bien peigné, les sabots – comme dans le conte de la Chèvre de M.Seguin, d’un dénommé Alphonse, si cher à mon âne – noirs et luisants. Il ne lui manque que la houppelande. En fait, c’est une couverture carrée fort épaisse que je dépose sur ses reins, en guise du fameux manteau d’autrefois.

Tic Tac se dérobe.

« Reste tranquille, mon bonhomme. Laisse-moi poser la couverture sur ton dos.

« Mais je n’ai pas froid, fait-il régulièrement. Enlève-moi cela de mon dos, je te prie. Je vais transpirer là-dessous.

« Allons, mon ami ! Il faut souffrir pour être beau. Une fois que j’aurai fini de t’équiper, tu seras magnifique, mon Doudou.

« Mais je n’ai nul besoin de ton déguisement pour être magnifique. Je le suis naturellement, n’est-il pas vrai ?

« Oh ! Quel prétentieux tu fais ! Voyez-moi ça ! Bien sûr que tu es magnifique, mon garçon, mais tu le seras davantage encore avec ce que je t’installe sur le dos.

« Alors, c’est uniquement pour que je sois plus beau que tu m’habilles ainsi ?

« Pas seulement, mais en grande partie, oui. Tu comprends, si je veux poser mon sac ou ma veste sur ton dos, avec le bât, ce sera plus facile.

Tout en parlant, j’ai tendu les harnais, serré les sangles qui vont retenir le bât. Ces courroies de cuir passent sur le poitrail, sur les flancs et courent jusqu’autour des fesses. Une autre entoure son abdomen. Je puis alors poser sur son dos cet appareillage barbare que je viens de nommer deux fois : le bât. C’est une construction de bois qui s’emboîte sur le dos de l’animal. Pour cette raison, j’ai posé la couverture épaisse qui le protègera des frottements des morceaux de bois contre sa peau. Cela consiste en deux planches latérales posées de part et d’autre de l’échine. Deux montants verticaux y sont fixés, qui se croisent au-dessus de son dos. Cet espèce de chevalet à croisillons est maintenu par des sangles reliées au harnachement. Ainsi, ce solide appareil repose en équilibre sur le dos de Tic Tac, bien amarré par les lanières de cuir. Je puis donc y déposer deux sacoches, le long de ses flancs, qui contiendront mon menu bagage. Il me reste à remplacer le licol par un caveçon, sorte de mors mais qui n’est pas pris dans la bouche ; il enserre le museau assez fortement sans le blesser. Ainsi tenu, Tic Tac pourra être dirigé sans aucune difficulté.

Déjà il tire sur son lien pour hâter le départ. Moi, je sais bien ce qui le presse. Ce n’est pas la joie de se promener avec son maître. C’est simplement la gourmandise. Eh oui ! Ne croyez pas qu’il se réjouisse de marcher en ma compagnie. Ce qui l’intéresse en vérité, c’est brouter les herbes du bord des chemins, qui sont forcément meilleures que celles de son pré !

Je le mène à la barrière, que j’ouvre, et nous sortons de son domaine.

Je l’attache un instant pour refermer la barrière, car notre ami bouc n’a pas droit à la promenade. Ce n’est pas qu’il ne veut pas, bien au contraire ! Il bêlera désespérément pendant longtemps, nous voyant nous éloigner sur le chemin. Mais comprenez-moi bien. Comment ferais-je pour mener en laisse mes trois bestioles ? Vous imaginez-vous la scène ? Déjà Louve est attachée à ma ceinture par sa laisse, et tire de toutes ses forces devant à gauche. Tic Tac, que je tiens à la bride, tire de toutes ses forces derrière, à droite, pour attraper les épervières et les touffes de plantain de la berme. Je n’aurais pas assez de bras pour mon Robin ! A moins de le laisser vagabonder à son gré en notre compagnie. Mais, en notre siècle de voitures, je parie que nous ne ferions pas un kilomètre sans qu’il ne soit percuté par un véhicule.

Nous touchons ici du doigt un sujet majeur et récurrent qui ne laisse pas d’alimenter les entretiens que j’ai avec mon âne.

A chaque randonnée, je laisse Louve libre de vagabonder par les champs cultivés. Elle part en chasse, et s’en donne à cœur joie. Elle erre, courant au gré de ses fantaisies, disparaît à notre vue, puis surgit à l’improviste sur nos arrières, surprenant Tic Tac qui prend peur. Bref, je la laisse libre tant qu’il n’y a pas de raison de la tenir en laisse.

Eh bien mon Tic Tac est jaloux.

« Oui. Elle, tu la laisses courir librement. Pas moi. J’aimerais bien galoper où bon me semble, moi aussi. Allez ! Lâche-moi, mon maître ! Je t’en prie.

« Non, Tic Tac. C’est impossible. Ne tire pas ainsi, je ne te laisserai pas libre.

« Mais pourquoi donc ? Ta chienne, tu la laisses libre et pas moi. C’est injuste.

Et il donne de violents coups de tête, et cherche à m’échapper.

Je me fâche, fais ma grosse voix.

« Arrête, garnement ! Tu perds ton temps ! Je ne te lâcherai pas. D’abord, Louve, elle m’obéit. Je l’appelle, et elle revient aussitôt à moi. Elle est o-bé-is-sante. Tu comprends ce que cela veut dire ? Toi, te souviens-tu de tes deux fugues ? Jamais tu ne m’as obéi. Tu m’as fait trotter des heures à tes basques sans vouloir ni revenir au pré, ni te laisser approcher : l’as-tu oublié ?

« Ce n’est pas tout à fait vrai. A la fin, je t’ai laissé me passer le licol autour du cou.

« Oui, à la fin, comme tu dis. Après m’avoir fait arpenter les champs et les abords du village pendant je ne sais combien de temps. Tu n’en fais qu’à ta tête. Tu es incorrigible. Il est impossible de te laisser vagabonder, tu serais dangereux. Forcément, une voiture ou un camion te heurterait, c’est inévitable. Sans compter que, à chaque fois, tu te dirigeais droit vers la nationale 10, toute proche, qui supporte un trafic très dense, la plupart du temps. Et puis, je n’ai pas oublié qu’un jour où nous étions de sortie vers la dix, justement – je voulais te faire emprunter le boviduc – t’en souviens-tu ?...

« Oh oui ! Je m’en souviens bien. Mais je n’aime pas le terme de boviduc. Je lui préfère celui de tunnel, si tu veux bien, mon maître…

« Pourquoi dis-tu cela, mon Roudoudou ?

« Parce que je ne suis pas un bovidé. Ne m’assimile pas à ces stupides animaux, je te prie. C’est humiliant.

« Mais, Tic Tac, c’est ainsi que s’appelle ce passage sous la quatre voies, je n’y peux rien.

« S’il te plaît, tu dis « tunnel ».

« Bon, si tu y tiens. Donc, tu t’es arrêté brusquement au haut du tertre qui domine le paysage avant la descente vers le tunnel

J’insistai sur le mot pour bien montrer ma désapprobation.

« Je sais. J’ai longuement regardé ce triste spectacle du va-et-vient incessant de vos autos et poids lourds. Voilà qui me donnait le vertige. Et puis cette intolérable odeur des gaz d’échappement…

« Oui, bien sûr. J’ai senti ta panique. Avant que tu n’y cèdes, je t’ai fait faire demi-tour et t’ai éloigné de cet endroit. Mais tu tremblais comme une feuille. Nous nous sommes arrêtés quelques instants à la lisière d’un bois, hors de vue de la dix. Tu semblais te calmer peu à peu. Mais alors, Louve a surgi brusquement des fourrés, dans un bruissement de feuillages écartés. Tu as pris peur. Et soudain, comme si une mouche te piquait, tu es parti tel un coureur de cent mètres. Mais moi, je ne lâchais pas ta corde. Tu m’as traîné sur cinq ou six mètres. Je t’ai forcé à t’arrêter. Tu tremblais de peur. Mon pauvre Roudoudou ! Tu vois bien que tu ne peux pas te promener seul dans la nature. Le monde que les hommes ont façonné n’est pas fait pour toi, mon gros. Libre, tu y serais en danger.

« Je le sais bien, mon maître. C’est bien triste. Alors, si j’ai bien compris, je n’accèderai jamais à la liberté ?...

Je me suis arrêté de marcher, le cœur gros. J’ai posé ma tête sur son museau.

« Je crains qu’il n’en soit effectivement ainsi, mon gros nounours. Mais n’es-tu pas heureux dans ton pré ?

Il eut un gros soupir et cueillit un rameau de chêne dont il se régala.

« Bien sûr, je suis heureux…derrière mes barrières…

Il me regardait avec un sourire triste.

« Alors, c’est pour cela que tu suis toujours Louve des yeux quand elle gambade, au lieu de te tourner vers moi quand je viens te voir chaque jour ? Tu rêves de la liberté, cette liberté qu’elle a de galoper dans le champ d’à côté ? C’est pour cela qu’à travers le grillage de la clôture tu cherches à la sentir quand elle retourne de ses tours et vient te narguer ?

« Bien entendu. J’aimerais galoper librement dans les grandes étendues immenses, libre dans le vent, la pluie, le soleil…

Quoi répondre à cela ?

En effet, n’est-il pas affligeant de songer que nos ânes ne seront plus jamais libres d’aller où bon leur semble ? Depuis des lustres, en fait, l’homme leur a ravi leur liberté, et ils ne sont pas à la veille de la retrouver…

Ce débat sur la liberté, je le pressentais depuis longtemps, il devait se tenir.

Invariablement, quand je monte le chemin qui mène à son domaine, Louve vaquant dans l’immense étendue des champs qui s’étalent vers le sud, en direction du château d’eau de Lonnes et des éoliennes, lui, posté le long du grillage, le plus possible dans cette direction, je puis le voir tendu, les oreilles bien dressées au-dessus de sa tête, légèrement vers l’avant : il ne quitte pas ma chienne du regard. Il suit de loin ses évolutions, sans que rien ne l’en distraie.

Depuis ce jour, je respecte sa tristesse. Je la comprends. Aussi, quand nous marchons le long des sentiers fleuris d’églantines, aux tièdes souffles printaniers, je tiens bien serré dans ma main le bout de chanvre qui nous attache, lui et moi, et lui parle doucement, le flattant de temps à autre sur le mufle, afin de tenter de lui faire oublier ses idées de vagabondage…

 

A suivre…



6 décembre 2012

 Tic Tac et les chèvres

 « Tiens, mon Tic Tac ! J’ai vu Anne hier soir.

« Elle t’a parlé de moi ?...

« Un peu, bien sûr. Mais tu vas rire. Figure-toi qu’elle m’a surpris. Par le plus grand hasard, elle était habillée en brun de la tête aux pieds. Ses chaussons étaient d’une espèce de fourrure bouclée marron qui évoquait immanquablement la tienne. Là s’arrête la comparaison avec toi. Pour le reste, seule la couleur était à peu près similaire. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui faire remarquer qu’elle te ressemblait un peu, ainsi vêtue.

« Alors, je suis fier qu’elle s’habille pour me ressembler. Elle mérite de plus en plus que je l’appelle sœur Anne. Ce qui m’ennuie, c’est que vous, les humains, vous réservez généralement, dans votre langage, le terme de « sœur » pour la désignation d’une religieuse ; et, qu’en outre, Anne est un prénom fort communément usité dans leurs communautés. L’avais-tu remarqué, mon maître ?

« Tu trouves ? Mais c’est un peu vrai. Ça m’avait échappé. Il ne faudrait pas qu’elle se vexe, à s’entendre ainsi appelée. Quoiqu’il n’y ait pas lieu de se froisser pour cela. En vérité, elle n’a rien d’une religieuse. Mais elle a si bon caractère qu’elle ne t’en voudra pas, je pense, que tu l’appelles ainsi. Elle sait bien qu’il n’y a pas une once de méchanceté en toi, bien au contraire…

« Oh oui !…Bien au contraire, tu l’as dit !

Il est une telle emphase dans son expression que je m’arrête net et le regarde par en-dessous. Il en pince vraiment pour Anne !

« Je lui ai raconté ton dernier exploit, au fait.

« Mon dernier exploit ?...Lequel ?...J’en produis tellement, n’est-ce pas.

« Oh ! Arrête un peu, tu veux, Tic Tac. N’en rajoute pas, je t’en prie. Tu en fais en effet bien assez comme ça. Et il n’y a pas de quoi être fier, grand dadais !

« Ben quoi ? Qu’ai-je dit ?...

« Allons, ne fais pas l’innocent, tu vois très bien de quoi je veux parler.

« Non, je t’assure, mon maître. Dis-moi à quoi tu penses.

« Je pense à l’autre jour, où j’ai commencé de rentrer du foin à l’aide de la bâche utilisée comme un traîneau…

« Ah oui ! J’y suis !

Il part de son rire tonitruant qui fait fuir ma chienne au bout du pré.

« Là, tu peux dire que c’était amusant. Toi tu traînais à travers le pré la bâche emplie de mon foin si odorant, si appétissant…et moi, je n’ai pas pu résister. Je me suis approché et j’en ai chipé une brassée au passage.

« Effectivement, tu t’es servi sans attendre, m’en éparpillant tout autour sur l’herbe, mais tu oublies de rappeler que tu avais posé tes sabots sur le polyane…

Il repart de plus belle dans son rire énorme.

« …et que tu en as été stoppé net dans ton élan ! Même que tu as bien failli tomber.

« Oui ! J’avais oublié. Mais ce n’est pas ce que je veux dire.

« Ah ? Tiens ! J’aurais parié que c’était de cela dont tu voulais parler.

« As-tu vraiment oublié ta bêtise de ce jour-là ? Tu ne le fais pas exprès, gros malin ?

Il se frottait rudement contre moi, au risque de me casser mes lunettes.

 

Ce jour-là, j’étais venu avec pelle, pioche et barre à mine. J’avais amené avec moi un jeune plant de peuplier que je voulais repiquer sur le terrain. Dès qu’il aperçut cet arbre qui possédait encore ses feuilles, il voulut les brouter, pensant sans doute que c’était une nouvelle friandise que je lui avais apportée. J’avais eu toutes les peines du monde à l’empêcher de les cueillir au passage.

Je lui rappelai cet épisode.

 

« C’est qu’elles étaient rudement appétissantes ! Et puis cela faisait si longtemps que je n’avais pas eu de feuillage à me mettre sous la dent ! La tentation était trop forte.

« Pour sûr, ça, j’avais compris. Bref ! J’étais parvenu à mettre cet arbrisseau à l’abri dans l’enclos intérieur où je tiens ta réserve de foin. Et toi, de l’autre côté du grillage, les oreilles dressées comme celles d’un lièvre aux abois, tu humais la délicieuse odeur du jeune peuplier, narines palpitantes. C’est vrai que celle-ci, pour toi, semble apéritive.

Donc, je creuse péniblement un trou dans cette terre qui n’a pas été labourée depuis des lustres, et qui est encombrée de tout le réseau inextricable des racines des épines et des ronces qui constituent la haie proche. J’en bave, tu comprends. Je pensais à toi : dans quelques années, mon baudet appréciera de se mettre à l’ombre de ce bel arbre ; il humera avec délice le parfum suave que ce dernier exhalera, il aimera le chant apaisant du vent dans ses feuilles…

 

Tic Tac tourna la tête comme il fait quand je lui reproche une bêtise.

« Ah ! je vois que la mémoire te revient ? Je n’avais pas refermé la barrière qui donne accès à l’enclos. Quand je suis revenu du fenil avec ma bâche pour une seconde tournée de foin, je n’ai pu que constater le désastre. Robin et toi vous étiez dans l’enclos. Et mon peuplier fraîchement planté, tu l’avais en travers de ta bouche ! Tu avais tout bonnement arraché l’arbrisseau pour en brouter les feuilles vertes !

Quelle contrariété ! Adieu bel ombrage ! Adieu la chanson du vent dans les branches du peuplier ! Adieu la suave odeur de cet arbre ! Ma colère était grande, tu sais. Je me battais pour faire vivre ce végétal, et toi, gros balourd, en un instant de gourmandise, tu l’as tué !

« Oh ! n’exagère pas. Des arbres, il n’en manque pas par ici. Et puis, il faut bien que je me nourrisse. Ce n’est pas une catastrophe, après tout.

« Je vois bien, mon pauvre gros Doudou, que tu cherches à minimiser tes fautes. N’as-tu pas seulement un peu de remords ?

« Si, bien sûr. Je te demande pardon. Je ne le ferai plus. Je te le jure.

« Ne jure pas, Tic Tac. Mais que ta promesse soit sincère. C’est vrai que ce n’est pas si grave. N’en parlons plus.

 

Je repris le pansage. Il y avait fort à faire. La belle toison brune était souillée partout de terre humide agglutinée dans ses poils. Je devais travailler dur pour rendre à peu près propre son chaud manteau.

« Finalement, j’aime bien que tu me grattes le dos, dit-il, se tournant vers moi.

Au passage, il chercha à fourrer son museau dans ma poche, où il avait décelé la présence de carottes et de pain rassis.

« Pour moi aussi, c’est agréable, tu sais. Mais j’aimerais bien que tu ne te roules plus dans la gadoue, tout de même, gros dégoûtant.

« Tu es bien un homme, tiens ! ajouta-t-il. Vous, les hommes, vous ne pouvez pas comprendre le plaisir que l’on éprouve à se rouler dans l’herbe. Tu n’as qu’à regarder ta chienne : tourne-toi un peu. La vois-tu, là-bas, les pattes en l’air ?

« Ah ! tu peux le dire ! Sauf que ce n’est pas dans l’herbe qu’elle aime à se rouler, mais dans tes excréments. Tu n’imagines pas le plaisir que ça m’apporte, ensuite, à la maison !

« Tu n’as pas l’air enchanté de ça. Je ne comprends pas. Tu n’aimes pas mon odeur ?...Qu’a-t-elle de déplaisant, mon odeur ? Tu sais, elle vaut bien ton eau de toilette, à mon goût.

« Je crois que nous ne serons jamais d’accord sur ce point, mon gros, mais c’est sans importance.

Tu sais, Tic Tac. Je repense parfois à mes chèvres. Tu les aimais bien, toi, mes chèvres ?

« Oui, au fond. J’ai été peiné de les voir partir. Je les aurais bien gardées, moi.

« Tu sais pourquoi j’ai été forcé de me séparer d’elles, Doudou : la sécheresse était grande. Elles broutaient le peu d’herbage de la prairie à une vitesse folle. Il n’y en avait même plus pour te nourrir.

« J’avais bien compris. Je te sais gré de m’avoir gardé. C’est donc que tu as un peu d’affection pour moi. J’en suis touché. Mais je les aimais bien. Pas trop le bouc. Ce jeune fougueux cherchait toujours à faire son malin devant les femelles. Il cherchait noise sans cesse à Robin. Il était devenu vigoureux et ses cornes étaient du plus bel effet. Dire que je l’avais connu jeune chevreau ! Mais tu vois, mon maître, puisque nous parlons de cela, ce sont les chevreaux justement que je regrette le plus. Ces deux petits étaient si gentils. C’était le printemps. L’herbe du champ était abondante et tendre, parsemée de milliers de fleurettes : pissenlits, pâquerettes, mouron, et tant d’autres, si odorantes. Ces deux enfantelets sautaient autour de nous, joyeux de vivre. J’aime m’allonger dans cette verdure nouvelle qui embaume. C’est mon plus grand plaisir, sais-tu ? Eh bien alors, ces deux jeunes chevrettes, pas plus grosses que ma tête, jouaient à se poursuivre autour de moi. Souvent elles bondissaient sur mon ventre. Tu sais que c’est dans la nature des chèvres de grimper toujours. Et moi, j’adorais ça. Je ne bougeais pas, couché sur le flanc, les laissant m’escalader sans cesse en riant. Leurs petits sabots pointus me chatouillaient. Quelle heureuse époque !...

« En effet, mon bourru. Je me souviens de mon étonnement, un jour, de les voir juchées sur ton abdomen, petites boules blanches sur le brun de ta pelisse. C’était touchant. Je ne suis pas prêt d’oublier ce spectacle.

Il reprit, d’un ton soudain devenu dur :

« Pourquoi as-tu autorisé cet homme, un beau matin, à pénétrer sur mon territoire ? Tu n’as pas oublié ce sinistre jour où il les a capturées, et égorgées, je suppose ? C’était un crime odieux. Je n’ai jamais compris comment tu avais pu donner ta caution à un tel assassinat. Pour ça, je t’en veux beaucoup.

« Eh !...Je sais, Tic Tac ! Crois-tu que c’était de gaieté de cœur ? Hélas ! Ainsi va la vie ! De toute façon, je ne pouvais pas les garder avec nous. Vous étiez trop nombreux. Il n’y aurait pas eu suffisamment de nourriture pour vous tous. Et tu sais bien que l’homme est un prédateur. Nous ne nous nourrissons pas seulement de végétal, comme vous, les herbivores. Il nous faut de la viande animale. Mais je te l’ai expliqué cent fois. Cette conversation, combien de fois l’avons-nous eue ensemble ! La femme à qui je les ai données, ces chevrettes, cherchait justement des chevreaux, pour une fête qu’elle voulait donner à Pâques, une communion, je crois. De toute façon, toute vie a une fin, tu le sais aussi bien que moi. C’est le destin.

« N’empêche. Vous êtes cruels, vous les humains. Un jour, je suppose, un homme entrera chez moi pour m’égorger, et me transformera en saucisson. Je le sais bien allez ! Crois-tu que je sois ignorant à ce point ? Tu vois comme vous êtes. Vous trouvez les animaux charmants, surtout lorsqu’ils sont petits, puis, lorsque vous vous en êtes lassés, vous les rejetez, quand vous ne vous en débarrassez pas ou ne les supprimez pas ! Je ne vous comprendrai jamais. Pour ces jeunes chevrettes, tu n’as pas de remords ?...

 

Là-dessus Tic Tac poussa un gros soupir. J’avais achevé le pansage. Je détachai le licol et lui rendis la liberté. De ma poche je sortis mes friandises, que je lui donnai au creux de ma main. Ses grosses lèvres douces caressèrent ma paume.

« Je sais tout cela, mon Roudoudou. La vie est cruelle, c’est vrai. Allons ! n’y pensons plus. Viens. Je vais te donner ton foin.

 

J’ai ramassé le licol, la boîte de pansage, et je me suis dirigé vers la cabane. Il m’a suivi, le mufle à me toucher les épaules.

A bien réfléchir, il a raison, pensé-je. Que c’est triste de devoir se nourrir de chair animale !

« A notre corps défendant, nous ne sommes pas les seuls à agir ainsi, ajouté-je à mi-voix, moitié pour moi, moitié pour lui. Tous les carnassiers tuent pour se nourrir. Nos savants ne disent-ils pas que les végétaux mêmes souffriraient ? En ce cas, Tic Tac, toi aussi, tu as fait souffrir ce malheureux arbuste, qui ne demandait qu’à vivre. Songes-y.

Il m’a regardé d’une façon énigmatique. Nous étions soudain moroses, lui comme moi. Mais qu’y faire ?...

 

A suivre…