Ils ont saccagé le bocage
Ils ont saccagé le bocage,
il n'y aura plus de haies vives,
il n'y aura de paysage
qu'une plaine immense en dérive.
Ils sont venus en bulldozers
arracher les fragnées, les souches,
où la barque glissait naguère,
soulevant des nuées de mouches.
Il n'y a plus que des moignons,
des corps d'écorce déchirés,
ce n'est pas du tout nos oignons
s'ils nous ont détruit le marais.
Ils ont saccagé le bocage,
il n'y aura plus de haies vives,
il n'y aura de paysage
qu'une plaine immense en dérive.
Sous l'épais feuillage des frênes,
debout à la pigouille, mon père
trouait le silence et, sans peine,
menait son bateau de l'arrière.
Les lentilles s'ouvraient en silence ;
j'écartais les feuilles des branches ;
un martin-pêcheur qui s'élance,
le remous, dans l'eau noire, d'une tanche…
Ils ont saccagé le bocage,
il n'y aura plus de haies vives,
il n'y aura de paysage
qu'une plaine immense en dérive.
Les champignons à odeur d'eau
que l'on cueillait dans la rosée,
les grenouilles prises à l'escargot
et les anguilles à la vermée…
Cet homme en bottes qui cueillait
dans un sabot, au bout d'un bois,
l'eau du fossé et, sous la haie,
à l'abreuvoir, la vache boit…
Ils ont saccagé le bocage,
il n'y aura plus de haies vives,
il n'y aura de paysage
qu'une plaine immense en dérive.
Ils ont brûlé toute racine,
ils ont comblé chaque fossé,
ils ont arraché les épines
et le marais, l'ont asséché…
Si vous passez par l'autoroute,
à cent quarante, dans cette plaine,
vous n'y verrez sans aucun doute,
qu'une barque et quelques frênes…
Ils ont saccagé le bocage,
il n'y aura plus de haies vives,
il n'y aura de paysage
qu'une plaine immense en dérive.
Ils ont bouleversé leurs demeures
qui sont maintenant en ciment,
et si les cheminées demeurent,
n'y brûlent ni bouses, ni sarments…
Ils ont saccagé le bocage,
il n'y aura plus de haies vives,
il n'y aura de paysage
qu'une immense plaine en dérive.
Francis BELLIARD
(cf "Entendre mes chansons")