L'île des Morts


Ecoutez, gentils sires,

écoutez, gentils pages,

écoutez, gentes dames,

oyez ce très vieux conte :

 

 

 

Il était une fois, en les brumes d'Istrande,

en ces contrées sauvages, un pays de légende

où le vent seul osait cheminer par les brandes :

nulle âme n'eût voulu s'égarer en ces landes.

 

On dit que Brunehilde et Guilhelm le Pieux,

s'aimant de fol amour, durent fuir en ces lieux,

n'étant de leur désir ni maîtres ni glorieux,

car aultre époux avait chacun par-devant Dieu.

 

Renault des Basses Terres, serf de Sire de Bracourt,

raconte qu'une nuit d'éclairs et de vent lourd,

sur un grand cheval blanc, s'enfuirent en leurs atours

vers ces sombres marais protéger leur amour.

 

Au matin de ce jour, Hermelin le Pêcheur

a vu jaillir des brumes, devant l'île aux Prêcheurs,

bien étrange équipage, d'une sombre blancheur :

une barque de pêche, avançant sans rameur,

 

avecques, à sa proue, en un suaire à fleurs d'or,

Brunehilde et Guilhelm, s'embrassant sans remords,

et grise ombre à trous noirs au visage et sans corps,

les menant par une porte dedans l'île des Morts.

 

Francis BELLIARD