Côtes charentaises



J'aimerais beaucoup te faire découvrir nos côtes et nos îles, dont je suis, tu l'as compris, amoureux.

 

La marée rythme mon enfance, et ma vie d'adulte. Ce mouvement puissant de flux et de reflux est fascinant.

Ce que je préfère parmi toutes les manifestations de ce phénomène, c'est peut-être la découverte de l'estran, cette zone que l'océan se plaît à couvrir et à découvrir deux fois par jour, tout en décalant chaque jour l'horaire et l'amplitude de ses rendez-vous. Je garde les souvenirs émerveillés, de ma plus tendre enfance à aujourd'hui, de ces rochers humides et glissants de varechs, des bassins où l'eau retenue prisonnière, claire et transparente sous le soleil des beaux jours, laisse voir la vie qui les habite : crevettes, crabes, petits poissons, coquillages aux cornes mobiles sous leurs drôles de chapeaux calcaire…Les anémones tendres et sombres aux tentacules qui flottent, bercés par d'invisibles mouvements de l'eau, les algues même, bref, toute cette vie en microcosme rythmée par la venue et le retrait des eaux. Parfois les vaguelettes courent à l'assaut des "casses" (c'est ainsi que nous nommons chez nous ces petites retenues), en friselis, très vite et délicatement, envahissant progressivement les trous des roches pour tout niveler. Le goémon reprend son mouvement de va-et- vient au rythme des vagues successives…

 

On entend toujours ce grondement sourd de l'océan qui bourdonne en fond sonore, au point qu'on n'y prête plus attention que par moments. L'air est vif, iodé. Car toujours il accompagne la montée de l'élément liquide. Il s'inverse souvent à la renverse (la marée descendante). Sur la plage, sur la zone la plus proche – toujours le sable est en pente et fait un vaste tablier plat et lisse, ocre, entre le bas de l'estran et la "laisse"(ainsi nommée en raison des dépôts de toutes sortes que les vagues ultimes de la marée haute, le jusant, ont apportés du large ou de la côte, et abandonnés là) – sur cette zone idéale qui nous attire tous petits ou grands, on peut marcher pieds nus, ou courir. C'est une surface absolument plane, parfois ridée de vaguelettes, de sable durci. On peut y écrire de son doigt, y dessiner, y laisser des messages éphémères que l'on sait voués à l'effacement rapide, y creuser le sable et l'entasser en châteaux forts que les vagues bientôt vont assaillir de toute part, inexorablement , face à l'effarement impuissant des enfants qui les ont érigés…

Le sable, ce matériau si fin qu'il coule entre les doigts en filet chatouillant la peau, quand il est chaud, si résistant quand il est mouillé que les architectes, des débutants aux plus audacieux, ne cessent de voir leur imaginaire déborder d'audace en concevant des merveilles…ou de simples pâtés. Le sable insidieux que le noroît1 instille sournoisement sur chaque parcelle de notre peau, jusqu'au moindre interstice de nos orifices ou à la racine des cheveux…

 

La laisse, dont je parlais tout à l'heure, est pour la plus grande part constituée d'algues sèches, noircies, d'oeufs de seiche racornis, de méduses perdues, d'une multitude de coquilles vides des plus insignifiants animalcules aux plus gros des coquillages : huîtres, moules, coques, patelles…, toutes de nacre aux roses pâles, opalescente ou irisée, usées, polies, laminées, creusées, perforées, fragmentées jusqu'aux débris pour les plus anciennes, colorées de manière encore si vive, pour les plus récentes, qu'on s'attend toujours à en voir bouger des cornes. Des galets, des plus minuscules aux plus gros, tous de forme patatoïdale, grossièrement ronde, mais le plus souvent calcaires, blanc comme la crème, et qui laissent au toucher une fine poussière au bout des doigts. Et tous ces minéraux forment dans un amoncellement incroyable de désordre, une richesse de couleurs et de formes, qui fait la joie des chercheurs de trésors. Les bois rongés par le sel et leur long séjour dans l'eau ont des formes étranges, insolites, mais le toucher si doux qu'on a de la peine à ne pas les caresser. On y trouve aussi de nos jours, hélas! moult débris de notre civilisation : tout ce qui est en plastique, souvent rejeté par les marins pêcheurs eux-mêmes à la mer : la mer poubelle, en somme : débris de cordages, cageots plastiques cassés, bouteilles plastique, etc, etc…quand ce ne sont pas des galettes noires ou brunes de mazout…

 

La dune ondule du mouvement incessant de ses oyats si fins au vert cérusé unique, parsemés des piquants des chardons pâles et hérissés, agressifs aux pieds tendres. Des immortelles jaune pâle exhalent leur parfum épicé que le vent s'empresse toujours de porter aux narines. Et, sous les pins, soudain c'est le calme et le silence, car la dune est un écran formidable. Les petits lapins y foisonnent, on en voit leurs crottes qui parsèment, sèches, le sable envahi d'herbes rases, au pied des bouquets d'arbustes rabougris où le chêne vert, ou yeuse, domine.

Là, au retour d'une longue journée de soleil, de chaleur cuisante comme un four, de courses, d'ébats et plongeons dans les vagues salées, du bruit incessant du ressac, on est frappé de la qualité de ce silence et de la fatigue qui nous accable alors.

 

Cet océan immense, vu du haut de la dune, est parfois plat et tranquille, luisant sous la lumière cendrée des nuages, parfois étincelant des mille feux des mille diamants que l'astre solaire se plaît à casser à sa surface. A d'autres moments, il rugit, se déchaîne et fait peur. Toujours cette immense vastitude pousse à la contemplation et à la méditation. Souvent, tapi au creux de la dune entre les oyats, j'ai passé des heures à observer les mouettes, planant dans le flux aérien, à quelques brasses de moi, au-dessus de ma tête, me regardant de leur œil curieux. Merveilleux oiseaux : planeurs, coureurs, plongeurs, chasseurs, aussi à l'aise sur terre, sur l'eau que dans l'air, dans la brise d'été comme dans les tempêtes, au plumage immaculé, ce blanc crayeux où j'aimerais poser mes doigts…Mouettes, mes amies criardes…Mon emblème…Vivez longtemps encore …

 

 

La Bourrache, mardi 22/12/09

1 Vent de "nord-ouest"; on dit aussi, en langage des pêcheurs : le nordet, pour le vent de nord, ou suret (suroît) pour celui du sud…