Tigre d’orient

 


Feulement

dans la nuit

d’encre de Chine…

 

Sur l’étang,

nappe d’argent luisant

décline

ronde et blanche

la lune

au bout d’une

branche

telle

prunelle

divine…

 

Tel une ombre,

le tigre glisse

sombre

entre les tiges des bambous…

 

Sous les sourds roulements de tambour

qui courent par la jungle hindoue

des couples s’adonnent à l’amour

nus sur des nattes de papier froissé

dans la moiteur des corps enlacés…

 

Entre les jonc endormis glissent

fantôme étrange

ma pelisse

orange

zébrée de noires rayures

les sabres laiteux de mes crocs durs

et la fente

de mes yeux jaunes dans le soir…

Attente …

 

À la diète

depuis de si longs jours

je guette

sur mes pattes de velours

cette

petite chèvre bêlante

qui me tente

et que je croquerais bien,

nom d’un chien !

 

 

 

 

Dans la chaude nuit d’orient

senteurs de miel et d’origan

j’imagine

son sang coulant

sur mes babines…

 

Hélas !

Je le sais

quoi que je fasse

jamais le fauve que je suis

n’aura sa robe de sang tachée !

jamais n’assouvirai mon appétit

féroce !...

 

Pourtant véloce

et sans pitié

je resterai bloqué sur la laque de ce bureau

bien calé sur mes doigts de pieds

né des dix doigts de mon bourreau

à bayer nuit et jour aux corneilles

avant que, pauvre tigre de papier,

ne sois jeté à la corbeille…

 

 

 

Francis BELLIARD