Mouroir

 

Mouroir

antichambre de la mort

corridor

du désespoir

chambres du bout du monde

ultime station dernier quai de gare

sans bagages et sans valises

veilleur de nuit tu fais ta ronde

au couloir des ombres grises

ombres d'un monde à part

Mouroir

plus morts que vifs nous errons

sans avenir

que demain

mourir

demain…après-demain…

quelques semaines

quelques nuits blanches

avec au cœur peut-être comme un reste de haine

mon dernier lit sans baldaquin

c'est quatre planches de sapin

mon temps n'est pas le vôtre

où les heures passent si lentes

de silence en silence

de vagues sommes en vagues songes

et les paroles des bons apôtres

assemblée de vieillards éponges

édentés déglingués cassés

tordus rapiécés

déformés défigurés enlaidis

avec encore un souffle de vie

nous voici ici rassemblés

laids

abandonnés

dans nos chariots dans nos bavoirs

en ce morne parloir

par la vitre le cyclamen

fané

et l'herbe folle des allées

les souvenirs de mes années

de ma lointaine enfance

de mes amours et de mes haines

de mes enfants mes joies mes peines…

Que tout en moi a goût de rance !

Oh ! la terrible solitude

quand on est loin de son foyer !

c'est le désespoir des noyés

constatant leur décrépitude

inutiles encombrants dérangeants

pas même des gens

nous voilà prisonniers dans nos murs

et ma voix déjà n'est plus qu'un murmure

ce n'est pas vivre que végéter

hébétés

chahutés

des nourrices sévères

des mégères

rarement dorlotés

les rictus des folles

et les cris des vieux hagards

déchirent mon intimité

les regards

lointains et troubles de la démence

m'affolent

aussi l'incoercible incohérence

des bavards

qui bavent sur leurs lèvres de papier buvard

Mouroir

salle des pas perdus

hôtel du terminus

je suis perdu

seul !

et mes mains distendues

couleur fleurs de tilleul

et froissées comme du papyrus

tremblent d'un incompressible tremblement

un froid glacial

glace mon corps

et mon cœur :

j'ai peur

de la mort !

 

 

Francis BELLIARD