Je ne tarderai pas, mon amour



 

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Mars déchire les nuées des bourrasques de ses giboulées, et semble laver le ciel après ce long hiver sinistre. Je me requinque peu à peu. Je sens, certains matins, au lieu du dégoût habituel face à l’absurdité des choses, une bouffée d’envies de vivre. C’est le cas ce matin. J’ai marché un peu dans le parc ravagé pour goûter la fraîcheur vivifiante des averses printanières. Un merle sifflait. Une mésange chantait. J’ai soufflé un peu. Je me suis senti à la fois une furieuse envie de courir et une immense lassitude, dans l’instant d’après.

Au retour de ma promenade, je me suis attablé face à mon clavier : les mots couraient tout seuls sur l’écran. Je ne sais pas combien de temps a pu passer. On a sonné. On ne sonne jamais. Personne ne vient jamais ici. Assez fâché d’être interrompu en pleine inspiration, je laisse ma phrase en suspens, ma pensée aussi, me dirige l’esprit toujours dans l’histoire de Pénicaud, ouvre la porte d’entrée…et me trouve en face de Clotilde.

Elle me sourit sous son ciré jaune trempé, ses cheveux frisés sous la pluie, son regard planté dans le mien.

- Bonjour, Francesco. Tu as l’air surpris de me voir ?…Tu sais, j’avais besoin de réconfort. Je ne te dérange pas trop, j’espère ?…

- Clotilde…Entrez, je vous en prie…Excusez mon désordre…

Je me sens soudain bête comme chou dans ma vieille robe de chambre et mes savates éculées. Ma barbe doit bien avoir six jours. Je me sens confus tout à coup.

Elle me serre dans ses bras, m’étreint longuement de cette étreinte si forte, si poignante qui est celle du cimetière, il y a maintenant si longtemps. Je ne sais combien de temps a passé ainsi. Immobiles. Silencieux. Elle laissait ses larmes couler contre ma joue hérissée. Et puis elle s’est défaite comme un ressort cassé, s’est laissée tomber sur le vieux fauteuil en rotin du vestibule, les mains inutiles sur ses genoux si maigres.

Je n’ai pas pu m’empêcher de m’agenouiller, de prendre doucement ses pauvres mains glacées et de les garder un long moment à mes lèvres. Elle ne s’est pas dérobée. Et puis, je me suis relevé sans quitter ses mains, l’ai doucement entraînée vers le salon.

- Allons, viens, Clotilde. Tu dois être fatiguée, et tu es trempée. Je vais te faire un café, ou du thé, ou une tisane, si tu préfères.

Je l’ai aidée à retirer son vêtement. Elle était gelée. Je l’ai enveloppée dans ma robe de chambre, ai rajouté une bûche dans l’âtre, ai fait bouillir de l’eau. Quand je suis revenu de la cuisine, elle n’avait pas bougé. Elle m’a regardé avec un triste sourire :

- Comment vas-tu, Francesco ?…Raconte-moi comment tu vis maintenant, malgré tout.

Elle m’invitait gentiment à venir prendre place à côté d’elle sur le canapé à l’antique cuir ocre râpé. Je l’avais ramené d’Emmaüs pour maman avec Marie-Paule, un matin de printemps comme celui-là. Marie-Paule avait son jean de velours que j’aimais tant, son pull marin, et ses nattes nouées de rubans roses, et ses yeux riaient de faire la surprise à maman. Et maman de s’exclamer :

- Oh ! mes chéris ! Marie-Paule, Francesco !…Vous êtes fous, vous avez encore fait des folies pour moi !…Je vous avais interdit !…

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