Shaonang et le tigre blanc



 

 C'était il y a bien longtemps. En un temps si reculé que nul ne saurait dire aujourd'hui si Shaonang exista vraiment.

Shaonang naquit sur les rives d'une rivière qui descend des plus hautes montagnes du monde. Dans une cahute enfumée, d'une mère aveugle, qui nourrissait comme elle pouvait ses sept enfants, en faisant pousser de son mieux un peu de riz sur la maigre terre concédée par le Roi. Son père était mort peu de temps après sa naissance. Ses frères ne cessaient de se chamailler, et ne pensaient qu'à faire des bêtises. Seul Shaonang demeurait près de sa mère, l'aidant dans toutes ses tâches du mieux qu'il pouvait. Mais une chose le préoccupait au plus haut point : comment fallait-il s'y prendre pour rendre la vue à sa pauvre mère ?

Il partit donc pour la ville, un beau matin, en chantonnant.

 

            « Je suis sur le chemin cherchant qui me dira

            des mystères cachés qui aveuglent ma mère

            l'obscure résolution, et qui la guérira,

            lui retirant son ombre, lui rendra la lumière... »

 

Quand il fut arrivé dans la ville, malgré la grande surprise que lui causait tout ce remuement de bêtes et de gens, il retrouva vite sa détermination et demanda à un passant l'officine de l'apothicaire.

Après avoir patiemment attendu son tour, il exposa sa requête au vieil homme.

« Maître, s'il vous plaît, j'aimerais savoir comment je pourrais rendre la lumière à ma pauvre mère, qui ne peut aller qu'à tâtons. »

Après avoir longuement réfléchi en se caressant la barbiche, qu'il avait fort longue, le vieil homme lui dit :

« Mon garçon, il se pourrait que je puisse t'aider. Mais ici-bas, rien n'est donné pour rien...

Es-tu prêt à travailler pour moi, en échange de mon précieux savoir ? »

« Shaonang réfléchit un instant et répondit :

« Si tu m'enseignes tes secrets, alors je travaillerai pour toi. »

« Tu es malin, Shaonang. Entendu comme cela. Tu commences tout de suite. »

 

Pendant sept années, Shaonang demeura dans l'arrière-boutique de Yu, à étaler des feuilles, des herbes des champs et de la montagne, des fleurs et des baies sauvages sur des claies, pour les faire sécher ; à les écraser avec un pilon dans un mortier ; à les peser, les mélanger à des huiles et des onguents mystérieux, dont le maître ne lui dévoilait jamais le secret que petit à petit. Mais Shaonang ne perdait pas une miette des consultations et des remèdes que celui-ci accordait à son innombrable pratique.

Si bien qu'au bout de toutes ces années, il décida de prendre congé de son maître.

 

S'inclinant respectueusement devant le vieil homme, il commença par le remercier de son enseignement.

« Maître. Tu m'as appris, des gens, à connaître les humeurs et leurs dérèglements, les maladies bénignes comme les plus cruelles. Tu m'as appris les vertus des simples : du benjoin et de la bourdaine, de la bourrache et du ginkgo biloba, du prunier et de l'ortie, et de toutes les plantes que la nature fait croître à profusion autour de nous.

Mais tu ne m'as pas révélé le secret qui guérirait ma chère mère de sa cécité. »

Le vieux Yu se gratta longuement la barbiche, plissant ses yeux, et regarda Shaonang d'un air embarrassé :

« Mon ami, je ne connais pas de remède capable de rendre la vue à ta pauvre mère.

Tu m'as servi fidèlement pendant toutes ces années. Aussi, je veux t'être agréable.

Il existe dans la montagne un sage qui connaît peut-être les plantes qui la guériraient. Huong vit dans une grotte à deux jours de marche de la ville. Peut-être pourrais-tu le consulter ? Je te souhaite bonne chance, Shaonang. »

 

Certes, il avait beaucoup appris chez le vieil apothicaire. Mais le vieux Yu ne lui avait pas donné la réponse à sa question. Il décida donc de suivre le conseil de son ancien maître et de se rendre auprès du Sage Huong.

Celui-ci vivait en ermite dans une grotte, très haut dans la montagne.

 

Quittant la ville et longeant la rivière , Shaonang prit donc le chemin de la montagne.

 

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