Le moulin





du Treuil secret





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Une belle nuit d’été - à la Saint-Jean, tiens ! -, la lune était pleine alors, l’Anaïs sentit venir les douleurs de l’enfantement. Et c’est seule, évidemment qu’elle mit au monde le Jean-Baptiste, drôle de nom pour un enfant du diable, dirent les mauvaises langues, un petit bossu.

Oui, c’était bien surprenant que d’aussi belles natures se fussent unies pour concevoir un avorton ! Mais les desseins de Dieu sont impénétrables !

Dire que l’Anaïs en fut ravie serait mentir. Mais enfin, n’ayant que ce petiot, elle ne l’en aima que plus. Peut-être, aussi, cette disgrâce l’attacha-t-elle davantage encore à l’enfant. Toujours est-il qu’il dut apprendre à grandir sous les moqueries et les quolibets de la population, et les mioches n’étaient pas plus tendres que les adultes, qui voyaient en lui la preuve de la désapprobation divine quant à cette liaison interdite.

Jean-Baptiste grandit avec cette haine et ces railleries constantes à son encontre, et hors sa mère, l’on ne se gênait pas de la traîner dans la boue. Aussi apprit-il à se battre. Il n’était pas de jour qu’il ne rentrât à la maison en sang, déchiré au visage et aux jambes, cabossé de partout, les yeux enflés des coups reçus par la nuée des vauriens du village. L’enfance est cruelle. Impitoyable.

Du moins cela lui apprit-il aussi ce que valaient ses semblables.

Jean-Baptiste était exceptionnellement intelligent. Il était d’un tempérament calme, rêveur, à l’ordinaire. C’était un poète. Il touchait fort habilement de la harpe, de la flûte et du violon. Ce qui ne l’empêchait pas de travailler dur au moulin, aux côtés de son père. Oh ! Il n’avait pas, loin s’en faut, les qualités physiques de ce dernier, mais enfin, il était courageux et habile, et cela compensait largement la force brute. C’est d’ailleurs ce que, très vite, certains apprirent à leurs dépens. Ce qui fit que, approchant de l’âge adulte, notre garçon était parvenu à apaiser les médisances à l’encontre de son foyer. Mieux, on avait fini par le respecter, et cela avait rejailli sur les parents. La paix peu à peu s’établit autour de ceux du moulin.

Il arriva même que l’on vînt chercher Jean-Baptiste à mainte occasion : pour démêler quelques comptes nébuleux où le tabellion cherchait à exploiter le pauvre, pour quelques conseils délicats, bref, le fils de la belle meunière devint vite indispensable. Les affaires du moulin prospéraient de plus belle, et il se disait que l’or entrait à flots sur la colline.

Certains disaient, des jaloux sans doute, que le Diable y était pour beaucoup. Qui sait ?... Car alors, le Malin qui rôde sans cesse par les landes et les bois, parvenait à soumettre encore aisément à sa loi plus d’un paroissien…

Il est vrai que quelques rares voyageurs égarés avaient pu constater des allées et venues anormales, au plus sombre de nuits sans lune, et des bruits étranges parfois, aux alentours du moulin. Un certain personnage difforme, au visage caché, un sac sur l’épaule, avait été aperçu, paraît-il, peu de temps avant la mort de l’ancien meunier. Mais tout cela n’était probablement que fables, racontars de bonnes femmes…

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