Vendredi 24 janvier 2014

 

Je vous propose deux extraits de mon avant-dernière nouvelle : "L'ocarina de Ranrahirca", (à paraître dans un troisième recueil de nouvelles, sans doute dans quelques mois) :

 

Il a posé délicatement mon offrande entre ses genoux.

«  Muchas gracias. Voy a tocar la ocarina para ti[1]. »

Il a porté l’ocarina rouge à ses lèvres.

Une mélodie très pure en est sortie. Le temps s’est suspendu. Il ne me quittait pas des yeux. Des siens des larmes coulaient…

 

Majestueuse, ma montagne, ses sommets enneigés couronnant les massifs dénudés…

La grande plaine pelée. Le vent froid passe en sifflant et emporte les convois de nuages blancs dans l’immensité du ciel.

Les troupes de lamas et de vigognes broutent une herbe rase.

Les femmes, robes de laine aux couleurs vives, sous leurs chapeaux, mâchent la coca....

 

.../...

 

Le Nevado Huascarán[1], enneigé, domine tout le paysage andin, énorme, scintillant de tous ses feux sous les derniers rayons du soleil. Déjà, la vallée est plongée dans l’ombre. Ricardo vient de nous donner la lumière, de l’usine hydroélectrique. On ne l’a que quelques heures par jour. Moi, je dois passer la nuit chez mon oncle, non loin de celle-ci. Nous allons passer à table.

Je me vois, dehors…

Soudain, un grondement énorme explose, emplissant la vallée d’un vacarme assourdissant. Je me retourne. Un gros nuage de poussière blanche scintille en s’élevant du flanc de la montagne. Une avalanche ! Mais le bruit est si formidable que je reste sonné. Presque aussitôt, une masse monstrueuse de glace, de boue, de rochers plus gros que des maisons jaillit de la gorge et fonce vers le village. Elle explose tout sur son passage. Les lamas qui paissent sur les pentes, les arbres, les rochers, tout est englouti à une vitesse folle, dans un vacarme effrayant qui ne cesse de croître chaque seconde. Un courant d’air violent me fouette. J’ai le temps d’apercevoir le village de Yanamachico et les hameaux des alentours déchiquetés sous la gigantesque masse brune et blanche qui se rue sur nous. Je suis incapable de bouger. Ce qui arrive est tellement inimaginable ! C’est tout un pan énorme de montagne qui dévale vers moi à une vitesse incroyable, dans un rugissement de fin du monde ! En l’espace d’un instant, cette masse énorme a tout emporté.

Tout vibre, l’air, le sol. Il pleut des blocs de glace et des pierres. Je vois passer un rocher plus gros qu’une maison, porté à grande vitesse par le torrent de glace Des gens hurlent de terreur. Les maisons sont fracassées en un clin d’œil. Des femmes, des enfants, des hommes sont avalés comme des pantins par le fleuve de boue de cette énorme masse qui fonce, meurtrière et aveugle, à la vitesse d’un train en folie.

 Je ne sais plus ce qu’a duré cette apocalypse.

Quand tout se calme, je me retrouve assis à terre. Je tremble et pleure nerveusement. Le village a disparu. Il ne reste qu’une poignée d’habitations et l’usine électrique. L’avalanche est passée à quelques dizaines de mètres de la maison de mon oncle. Mais je réalise aussitôt que la mienne a disparu, et qu’ont aussi été emportés ma mère, mon père, mes sœurs et mes frères, mes autres oncles et tantes et mes cousines et mes cousins, et mes amis….



[1] Le Huascaran : sommet culminant du Pérou (6768 m)



[1] Je vais jouer de l’ocarina pour toi