Le chagne nègre



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Pierre suait à grosses gouttes. Il s’arrêta un moment au bout du sillon, laissant le cheval brouter le feuillage de la haie. De son large mouchoir à carreaux il s’épongea le front et le haut de la poitrine, par l’échancrure de la chemise ouverte. Il se retourna pour considérer l’ouvrage : les sillons s’ouvraient bellement dans un garret gras et aéré, d’une belle couleur foncée. L’odeur de la terre remuée mêlée de l’effluve de sa bête fumante lui monta aux narines. Il se sentait heureux de ces sensations simples et connues, habituelles, rassurantes. Un bien-être l’envahit. Le départ d’un merle sous les naseaux de La Grise lui remua le cœur aux larmes. Dans l’instant il revit Marie, sa tendre épouse, qu’il aimait tant : cette vision l’émut plus qu’il n’aurait voulu et lui donna l’envie de dételer et de rentrer de suite. Mais il se ravisa bien vite. Ce n’était point raisonnable. Le temps était propice aux labours. On n’était pas encore dans la mauvaise saison. La pluie n’était survenue, il y a quelques jours, que pour ameublir le sol. On ne pouvait espérer meilleures conditions pour le soc. Il nettoya le versoir de l’araire de son couteau et de ses godillots, avant de reprendre les mancherons, relança La Grise qui chassait les mouches de ses oreilles mobiles en tapant du sabot de temps à autre. Elle eut un mouvement de tête comme pour lui signifier qu’elle avait compris, et l’attelage repartit dans la pente du coteau. 

 

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